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Sonia Devillers, Apolline de Malherbes et Rebecca Manzoni (©Radio France/RMC)

« Les lignes ont énor­mé­ment bou­gé en dix ans » : à la radio, des femmes plus pré­sentes et reines des audiences

Totémic, L'Invité de 9h10, Apolline Matin… Au pre­mier tri­mestre 2023, les jour­na­listes femmes ani­mant des émis­sions ou pas­tilles à la radio voient leurs audiences décol­ler. Tentative d'analyse, avec les pre­mières concer­nées, à pro­pos de cette ascen­sion des voix fémi­nines dans un médium où règne, aujourd'hui, la quasi-parité.

À la fin du mois d'avril, les yeux de tous·tes les patron·nes, producteur·trices et jour­na­listes radio étaient rivés sur les audiences du pre­mier tri­mestre 2023, dévoi­lées par Médiamétrie. Si par­mi les don­nées mar­quantes, France Inter se démarque avec 7,09 mil­lions d'auditeur·trices quotidien·nes, d'autres résul­tats attirent l'œil. Ceux des tranches et émis­sions diri­gées par des femmes, qua­si toutes en pro­gres­sion et dépas­sant pour cer­taines des records.

Rebecca Manzoni, en charge de Totémic, l'émission cultu­relle des matins d'Inter, s'est féli­ci­tée sur Twitter que le 9h30-​10h soit deve­nu « pour la pre­mière fois numé­ro 1 avec 1,3 mil­lions d'auditeurs ». Sa col­lègue Sonia Devillers, qui offi­cie dans la tranche pré­cé­dente avec son Invité de 9h10, a fait gagner 196.000 afi­cio­na­dos à la radio publique en un an, dépas­sant le mil­lion quo­ti­dien­ne­ment. « C’est dingue !!!!!!!!! », écrit-​elle ravie sur le même réseau social. Quant à Charline Vanhoenacker, à la tête de C'est encore nous, l'annonce du pas­sage, à la ren­trée de sep­tembre, de l'émission en for­mat heb­do plu­tôt que quo­ti­dien mer­cre­di 10 mai a eu de quoi sur­prendre : sa case de l'après-midi attire 1,2 mil­lions d'oreilles, s'approchant dan­ge­reu­se­ment des Grosses Têtes, l'émission concur­rente de RTL, dont seule­ment 91.000 auditeur·trices les séparent.

Sur RTL, Yves Calvi réunit 3,1 mil­lions de per­sonnes chaque matin, avec des audiences en hausse pour l'interview poli­tique d'Amandine Bégot. Enfin, sur RMC, Apolline Matin, l'unique mati­nale pré­sen­tée par une femme seule aux com­mandes, Apolline de Malherbe, compte 1,5 mil­lion d’auditeur·trices chaque jour, avec une pro­gres­sion de 138.000 nou­velles per­sonnes en un an. « La mati­nale signe ses meilleurs résul­tats depuis 2 ans », se réjouit le groupe dans un com­mu­ni­qué.

« Pas un direc­teur de pro­gramme ne construi­rait une grille sans alter­ner les voix »

« Aujourd’hui, toutes les grilles de radio et télé ont été fémi­ni­sées », constate l'une de ces cham­pionnes de l'audience, Sonia Devillers, auprès de Causette. Avant d'affirmer : « Pas un direc­teur de pro­gramme ne construi­rait une grille sans alter­ner les voix ou, du moins, sans prendre garde à ne pas enchaî­ner que des voix mas­cu­lines. » En 2022, selon les der­nières don­nées de l'Autorité de régu­la­tion de la com­mu­ni­ca­tion audio­vi­suelle et numé­rique (Arcom), les femmes repré­sentent 42% des présentateur·trices et 45% des jour­na­listes à la radio. Des chiffres, en effet, qua­si­ment paritaires.

L'ancienne pré­sen­ta­trice de L'Instant M pointe le côté pré­cur­seur de sa mai­son avec des voix fémi­nines « pas majo­ri­taires » à l'époque mais qui ont « mar­qué l'histoire de cette radio » : Kriss, Macha Béranger, Ève Ruggieri, Pascale Clark, Kathleen Evin, Anne Gaillard, Paula Jacques… Au cours de sa car­rière, Sonia Devillers dit ne pas avoir subi de sexisme, ni avoir dû se battre plus en tant que femme : « J’ai bos­sé d’arrache-pied pour impri­mer ma patte, impo­ser ma légi­ti­mi­té et construire un lien avec les audi­teurs. Ni plus ni moins qu’un mec dans ma posi­tion. »

À lire aus­si I Représentation dans les médias audio­vi­suels : seule­ment 32% des invi­tées poli­tiques sont des femmes

De son côté, Rebecca Manzoni, qui a tra­vaillé à ses débuts, à la fin des années 90, en tant que repor­ter aux info géné­rales pour RTL, se sou­vient avoir reçu « ponc­tuel­le­ment » des remarques sexistes à ce moment-​là. Il faut, selon elle, les remettre dans le contexte de l'époque : « Les voix fémi­nines n'avaient pas la même place, ni la même fonc­tion. Elles avaient pour but d’apporter du liant, de la dou­ceur, de la fraî­cheur. On m’avait d'ailleurs fait une pro­po­si­tion dans ce sens-​là, mais je l’avais refu­sée. J’ai eu peur de plus en avoir, mais j’ai fina­le­ment pu faire mon che­min sans res­sen­tir un sexisme bas du front. Enfin, avec du recul, il y a peut-​être eu des choses sexistes dont je me suis pas ren­du compte. »

Selon la pré­sen­ta­trice de Totémic, « les lignes ont énor­mé­ment bou­gé depuis dix ans ». « Sur France Inter, que ce soit au niveau des pro­duc­trices, jour­na­listes, atta­chées de pro­duc­tion ou tech­ni­ciennes, la pari­té est atteinte avec les hommes, poursuit-​elle. Concernant les invi­tés, chaque mois je reçois un mail qui me donne le pour­cen­tage de femmes et d'hommes à l'antenne et on me dit qu’il est impor­tant de res­pec­ter la pari­té. Il existe une vraie vigi­lance sur ce sujet. Il faut ins­crire tout cela dans une his­toire plus grande, dans l'évolution de la socié­té. »

« Jouer des coudes, mettre le pied dans la porte »

Apolline de Malherbe, qui offi­cie à la fois à la radio et à la télé­vi­sion, estime que cet équi­libre entre les jour­na­listes hommes et femmes a mis plus de temps à arri­ver dans le pre­mier médium. « À la télé­vi­sion, les postes de pré­sen­ta­tion des grands jour­naux, comme celui du 20h, et les inter­views poli­tiques, ont plus rapi­de­ment étaient confiés aux femmes. Être une femme est un atout : c’est plu­tôt si vous êtes un homme de 40 ans que vous avez du sou­ci à vous faire », affirme-​t-​elle en rigo­lant. « À la radio, les inter­views poli­tiques du matin, long­temps trus­tées par les hommes, de Jean-​Pierre Elkabbach à Alain Duhamel en pas­sant par Jean-​Michel Aphatie, sont main­te­nant presque toutes diri­gées par des femmes, analyse-​t-​elle. Le point où les direc­tions res­tent fri­leuses, c'est de nous confier la direc­tion des mati­nales. Il n'y a que moi, actuel­le­ment. Tout ce qui est de l'ordre de la direc­tion, d'être le "boss", est encore vu comme quelque chose de masculin. »

L'ancienne cor­res­pon­dante de BFMTV aux État-​Unis affirme avoir par­fois eu « à jouer des coudes, à mettre le pied dans la porte », dans sa car­rière, notam­ment au moment de prendre la tête de la mati­nale de RMC après 19 ans de Jean-​Jacques Bourdin. « Il ne m’a pas fait beau­coup de cadeaux, glisse-​t-​elle aujourd'hui. Ses moti­va­tions n’étaient pas for­cé­ment sexistes, mais il a eu du mal à lais­ser sa place à quelqu'un d'autre, à ima­gi­ner qu'une autre per­sonne puisse faire le même job. »

Elle se sou­vient de deux moments qu'elle juge « fon­da­teurs ». Quand, il y a une dizaine d'années, elle était joker de Bourdin pour l'interview poli­tique de 8h30 sur RMC : « Je suis arri­vée avec quelques minutes d'avance dans le sas qui mène au pla­teau. Je crois que j'interviewais un ministre, il y avait donc toute son équipe, com­po­sée d'hommes, et les chefs de mon média. Ils étaient 7 ou 8 hommes à dis­cu­ter de manière infor­melle et en arri­vant j'ai eu l'impression de déran­ger, de ne pas faire par­tie d'un petit club. Quand le chef de pla­teau est venu me cher­cher, en me disant que c'était à moi, j'ai lan­cé : "On y va". Je suis entrée la pre­mière en essayant d'être la plus triom­phante pos­sible. » Gênée, Apolline de Malherbe a ensuite fait exprès d'arriver pile à l'heure « pour ne plus vivre ce malaise ».

Son deuxième évé­ne­ment mar­quant est lorsqu'en pleine inter­view, en février 2022, Gérald Darmanin lui lance : « Ne vous vexez pas, calmez-​vous Madame, ça va bien se pas­ser ! » La jour­na­liste affirme, sur le moment, ne pas avoir res­sen­ti l'échange comme sexiste. « J'ai réagi ins­tinc­ti­ve­ment, en enten­dant son ton, que je n'ai pas appré­cié, se souvient-​elle. Mais ce qui m'a frap­pé, ensuite, c'est le nombre de femmes, de tous les âges et de tous les milieux, qui m'en ont par­lé. Certaines m'ont dit que je les avais libé­rées, que ce n'était pas nor­mal. »

« Faire mon­ter d'autres femmes »

Sonia Devillers et Rebecca Manzoni affirment que leurs bonnes audiences ne sont pas dues au fait qu'elles soient des femmes. « Je sor­ti­rais de la logique des genres, explique cette der­nière. J'aurais du mal à l'expliquer, mais la seule chose que je sais, c’est que l’esprit dans lequel je fabrique l’émission c'est l’art pour tous et tous pour l’art. Je crois pro­fon­dé­ment que la musique, les livres et les images font par­tie de la vie de cha­cun à des degrés dif­fé­rents et peuvent nous rassembler. »

Apolline de Malherbe note, de son côté, tra­vailler au sein d'une radio au public his­to­ri­que­ment plu­tôt mas­cu­lin. « Jean-​Jacques Bourdin a long­temps sur­joué un côté ultra-​viril pen­dant la mati­nale, ajoute celle qui a vu son métier évo­luer et com­pose désor­mais avec une radio fil­mée et archi­vée sur la toile. Je pense appor­ter une forme de conti­nui­té, avec mon côté très franc, mais je me com­porte évi­dem­ment dif­fé­rem­ment d'un homme, je ne m’habille pas pareil, porte mes che­veux lâchés… Nous ne sommes plus à l'époque où les femmes essayaient de sin­ger les hommes à la radio. Je res­sens une grande satis­fac­tion d'avoir aidé à redres­ser les audiences. Je pense que j'ai eu besoin de m'approprier la voi­ture, d'apprendre à pas­ser les vitesses, à appuyer sur l'accélérateur. J'ai récem­ment appris que 95% des acci­dents de voi­ture étaient dus aux hommes. Je pense qu'il ne faut plus hési­ter à nous don­ner le volant. »

D'ailleurs, si toutes les trois sou­lignent que ce sont d'abord des hommes, alors majo­ri­taires dans les postes de pou­voir, qui leur ont fait confiance dans leur car­rière, les pro­blé­ma­tiques ne sont plus les mêmes aujourd'hui. « Maintenant que nous sommes les boss à notre tour, nous devons mon­trer que nous savons nous entou­rer et faire mon­ter d'autres femmes, sou­ligne Apolline de Malherbe. Nous ne devons pas res­ter les pion­nières mais faire que le mou­ve­ment se pour­suive ! » Quand la soro­ri­té se fraie une place au sommet.

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