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Photo : Tingey Injury Law Firm / Unsplash

Inscription du consen­te­ment dans la défi­ni­tion du viol : le débat qui divise les juristes

Des vic­times de Georges Tron aux vio­lences sexuelles dénon­cées par Judith Godrèche, le consen­te­ment est la pierre angu­laire des affaires de viol. La notion pour­rait être intro­duite dans la défi­ni­tion pénale fran­çaise, mais les juristes res­tent divisé·es quant aux chan­ge­ments réels de cette mesure sur le trai­te­ment des plaintes. 

“C’est une très bonne nou­velle que les choses bougent”, réagit auprès de l’AFP Audrey Darsonville, pro­fes­seure de droit pénal à l’université Paris-​Nanterre, après des pro­pos en ce sens d’Emmanuel Macron. Le 8 mars, le chef de l’État a expri­mé son inten­tion de faire évo­luer la notion de consen­te­ment, alors que la France s’oppose depuis des mois à une défi­ni­tion euro­péenne du viol basée sur le consen­te­ment et visant à rap­pro­cher la réponse pénale des vingt-​sept pays membres. 

Si revi­re­ment il y a, la ques­tion res­te­ra “la tra­duc­tion de cette annonce dans la loi : il ne suf­fi­ra pas d’ajouter le mot consen­te­ment, mais il fau­dra por­ter une réforme vrai­ment réflé­chie”, estime Audrey Darsonville. “Pas de poudre de per­lim­pin­pin”, abonde Me Élodie Tuaillon-​Hibon, qui réclame l’inscription du consen­te­ment pour “contraindre les juges à exa­mi­ner l’accord libre et éclai­ré en fonc­tion des cir­cons­tances”.

Actuellement, le terme ne figure pas dans la défi­ni­tion fran­çaise, qui entend par viol "tout acte de péné­tra­tion sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-​génital com­mis sur la per­sonne d'autrui ou sur la per­sonne de l'auteur par vio­lence, contrainte, menace ou sur­prise".

Les partisan·nes d’une ins­crip­tion sou­tiennent qu’elle contrain­drait les procureur·es à carac­té­ri­ser si et dans quelle cir­cons­tance le consen­te­ment a été don­né, s’il est éclai­ré et valable. “Ce que l’on veut”, explique Me Tuaillon-​Hibon “c’est que la France rem­plisse ses obli­ga­tions natio­nales et ins­crive [dans les textes fran­çais] le texte de la conven­tion d’Istanbul”, signée en 2011 par le Conseil de l’Europe et dont l’article 36 pré­cise que le viol et tout acte sexuel sans consen­te­ment mutuel sont consi­dé­rés comme des infractions.

Pour les scep­tiques, en revanche, si la notion est incluse, une pos­sible com­pli­ca­tion dans le recueil des preuves est à pré­voir. Le risque pour ses opposant·es est aus­si celui de dépla­cer le cur­seur sur la vic­time dont le com­por­te­ment serait pas­sé au tamis judiciaire.

Changement du droit, un “faux débat” ? 

Les pro­cé­dures actuelles se foca­lisent sur les élé­ments maté­riels et inten­tion­nels de
l’agresseur dénon­cé, en s’appuyant sur les quatre cri­tères qui défi­nissent le viol. “J’ai beau­coup d’appréhension sur le fait que ce texte, à force de sur­ajouts et de réformes, devienne de plus en plus nébu­leux” et ne soit “affai­bli”, redoute l’avocate péna­liste Marie
Dosé. L’introduction ris­que­rait aus­si de “conte­nir les pré­mices d’un ren­ver­se­ment de charge de la preuve qui serait contre­pro­duc­tif, et je sais à quel point en défense on se réfu­gie der­rière cette notion de consen­te­ment alors que le texte n’y ren­voie pas expli­ci­te­ment”, déclare l’avocate, selon qui “cette ques­tion est suf­fi­sam­ment grave pour qu’elle mérite un autre trai­te­ment qu’un micro-​trottoir pré­si­den­tiel”.

Si le mot n’est nulle part, l’idée du consen­te­ment est par­tout dans ces dos­siers”, sou­ligne par ailleurs un magis­trat, sous cou­vert d’anonymat. “C’est ce qu’on explique aux jurés popu­laires et cela revient sou­vent durant les pro­cès.” Les notions de “vio­lence, menace ou sur­prise” ont en outre été éten­dues de façon consi­dé­rable par la juris­pru­dence, relèvent plu­sieurs professionnel·les.

Pour Fabienne Averty, secré­taire natio­nale de l’Union syn­di­cale des magistrat·es, inclure la notion de consen­te­ment n’améliorerait pas néces­sai­re­ment la dif­fi­cul­té des vic­times à recueillir des preuves. Néanmoins, cela “pous­se­rait notre socié­té à évo­luer vers une autre façon d’aborder la sexua­li­té”, ajoute-​t-​elle.

Sur le fond, en droit”, prou­ver le non-​consentement, lorsque la vic­time est en état de sidé­ra­tion, est par­ti­cu­liè­re­ment com­plexe, prend-​elle comme exemple. “Ce qu’il faut sur­tout, c’est des enquê­teurs et du temps pour mettre en confiance la vic­time et recueillir sa parole, du temps pour entendre des témoins, notam­ment pour les ques­tions d’emprise”, ajoute-​t-​elle. Me Laure Heinich, qui défend beau­coup de vic­times, affirme que l’on assiste à “un faux débat”. Le pro­blème “n’est pas la loi […], mais l’absence d’enquête”, estime-​t-​elle. “Le taux de clas­se­ment sans suite n’est abso­lu­ment pas en rela­tion avec le pro­blème de preuves. Les 80 % des plaintes qui sont clas­sées le sont car elles ne sont pas enquê­tées.”

Finalement, pour réduire “l’écart assez effrayant entre le nombre de plaintes et le nombre de condam­na­tions”, “il fau­dra plus qu’un simple mot”, estime pour sa part Nelly Bertrand, secré­taire géné­rale du Syndicat de la magistrature.

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