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© Capture écran Youtube / ABC News

Amanda Nguyen, pre­mière femme ori­gi­naire d’Asie-du-Sud-Est à voya­ger dans l’espace

Amanda Nguyen, astro­phy­si­cienne de for­ma­tion et fon­da­trice de l'association Rise, qui défend les survivant·es de vio­lences sexuelles, sera la pre­mière femme d'Asie du Sud-​Est à réa­li­ser un vol spa­tial. Portrait d'une mili­tante à l'intersection de la lutte contre les vio­lences sexistes et racistes. 

Il y a deux ans, à tout juste 30 ans, Amanda Nguyen était nomi­née pour le prix Nobel de la paix puis élue Femme de l’année par le Time, mal­gré un par­cours secoué par les oppres­sions. Le 25 mars der­nier, afin de saluer, entre autres, son tra­vail pour la défense des survivant·es de vio­lences sexuelles, l’ONG amé­ri­caine Space for Humanity (S4H) a annon­cé qu’elle par­rai­ne­rait le vol spa­tial de l’Américaine de 32 ans dans le cadre du pro­gramme Astronaute citoyen. Ce der­nier s’adresse à des “acteurs du chan­ge­ment de tous les hori­zons : ceux qui peuvent par­ta­ger une vision du monde éclai­rée par la vue d’ensemble, créant un effet d’entraînement”. Ils et elles peuvent can­di­da­ter afin de pro­fi­ter de l’effet pro­cu­ré par l’observation de la Terre depuis l’espace. D’origine viet­na­mienne, Amanda Nguyen sera donc la pre­mière femme ori­gi­naire d’Asie du Sud-​Est à effec­tuer cette prouesse à bord du véhi­cule spa­tial Blue Origin New Shepard. 

Certains détails ne sont pas encore publics : nous ne savons pas quand se dérou­le­ra le voyage ni qui se tien­dra à ses côtés. L'heureuse dési­gnée a tou­te­fois déjà décla­ré qu’elle se pré­pare en dis­cu­tant avec des astro­nautes fémi­nines sur­nom­mées ses “sœurs de l’espace”. Elle s’entraîne, par exemple, à faire des exer­cices de res­pi­ra­tion et à déjeu­ner dans un envi­ron­ne­ment en microgravité. 

"Un rêve retardé"

Amanda Nguyen a déjà béné­fi­cié d’une for­ma­tion en astro­phy­sique, qu’elle a sui­vi à Harvard. Université pres­ti­gieuse où elle est aus­si vio­lée, en 2013. Ses pair·es lui avaient alors mar­te­lé qu’il serait épui­sant voire impos­sible de deve­nir astro­naute et d’espérer rece­voir, en même temps, une jus­tice pénale pour le viol qu’elle a subi. Celle qui renonce à por­ter plainte se défi­nit aujourd'hui comme une per­sonne “dont les rêves ont tou­jours été d'aller dans l'espace mais qui ont été repor­tés et retar­dés – comme tant de per­sonnes, tant de femmes, en par­ti­cu­lier, qui sont confron­tées à des vio­lences basées sur le genre”.

Après avoir par­ta­gé son expé­rience auprès de celles de nom­breuses autres survivant·es qui se sont cas­sé les dents face au sys­tème juri­dique amé­ri­cain, Amanda Nguyen a fon­dé l’association Rise en 2014. Depuis sa créa­tion, cette der­nière a contri­bué à l’adoption de 33 lois aux États-​Unis, cou­vrant plus de 84 mil­lions de survivant·es de viol. La mili­tante née dans le sud de la Californie a aus­si par­ti­ci­pé à la pro­po­si­tion et à la rédac­tion de la loi sur les droits des survivant·es d'agressions sexuelles, qui a été adop­tée à l'unanimité par le Congrès avant d'être pro­mul­guée par l'ancien Président amé­ri­cain Barack Obama en 2016. 

Ces textes juri­diques portent notam­ment sur la dis­tri­bu­tion et la pré­ser­va­tion des “kits de viol” qui per­mettent de recueillir des preuves ADN sur les lieux du crime, à par­tir du corps, des vête­ments et des objets per­son­nels de la vic­time. À ce jour, ils ne sont pas encore gra­tuits, coû­tant par­fois jusqu’à plu­sieurs mil­liers de dol­lars, et sont détruits si la vic­time ne dépose pas plainte rapi­de­ment. Pourtant, nombre de survivant·es attendent plu­sieurs années avant de por­ter leur affaire à la jus­tice. Amanda Nguyen lutte encore pour que ces kits soient gra­tuits et conser­vés dans les ins­ti­tu­tions requises autant de temps qu’il le faudra.

La future astro­naute était reve­nue sur ces expé­riences auprès de Teen Vogue en 2020 et avait décla­ré : “J’ai gran­di en croyant en ces droits sacro-​saints qui m’ont été ensei­gnés en tant que citoyenne amé­ri­caine : que le sys­tème de jus­tice pénale était juste et que l’égalité devant la loi, une chose à laquelle j’avais accès.” Et d’ajouter : “J’ai vite décou­vert que ce n’était pas le cas des sur­vi­vantes. Au début, c’était la rage. Cela a chan­gé après que j’ai com­pris que mon his­toire n’était pas la mienne seule. La rage joue un rôle très impor­tant dans la construc­tion du mou­ve­ment, mais elle ne peut pas la main­te­nir. La joie et l’espoir sont ce qui fait avan­cer les mou­ve­ments, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de colère et d’injustice en cours de route.”

Durant la pan­dé­mie, Rise a orien­té son exper­tise vers les vic­times de vio­lence iso­lées avec leurs agresseur·euses. L'association a donc lan­cé le pro­gramme Safe Haven : les res­tau­rants pro­po­sant des plats à empor­ter et les espaces publics encore ouverts devaient four­nir de l'aide aux vic­times d'abus domes­tiques et sexuels (les mettre en contact avec la police et, éven­tuel­le­ment, les mettre à l'abri) si elles pro­non­çaient le mot de passe "RiseUp19". "Une chose mal­heu­reu­se­ment pré­vi­sible est la mon­tée des vio­lences sexuelles pen­dant les crises. On le voit dans les zones de guerre, les crises sani­taires", avait-​elle alors expliqué. 

#AsianExcellence 

Les parents de l'astrophysicienne sont des immigré·es vietnamien·nes et sa mère est arri­vée aux États-​Unis en bateau. Amanda Nguyen qui, enfant, pas­sait tous ses week-​ends dans le quar­tier de Little Saigon du com­té d'Orange (Californie) majo­ri­tai­re­ment peu­plé par la dia­spo­ra viet­na­mienne, ne cesse de mettre en avant ses ori­gines asia­tiques et le par­cours de sa famille. Elle a notam­ment pris la parole sur les dis­cri­mi­na­tions qu’elle subit au tra­vail où les per­sonnes asia­tiques sont sous-​représentées, mais aus­si sur le sen­ti­ment “d’hypervigilance” que nour­rissent les vic­times de racisme, tou­jours à l’affût d’une pro­chaine humiliation. 

Durant la pan­dé­mie mon­diale, qui s’était aus­si cou­plée à une recru­des­cence de la haine anti-​asiatique, Amanda Nguyen avait lan­cé le #AsianExcellence pour mettre en valeur les per­son­na­li­tés asia­tiques et leurs réus­sites. Selon elle, cette “excel­lence asia­tique” est “vrai­ment ancrée dans la joie”, comme elle l’expliquait à Teen Vogue. Et de pré­ci­ser : “Ce que je veux que beau­coup d’Américains d’origine asia­tique com­prennent, c’est que le suc­cès ne se tra­duit pas néces­sai­re­ment par le fait d’être avo­cat ni par le choix d’un domaine spé­ci­fique qui cor­res­pond de manière sté­réo­ty­pée à ce que l’on attend de nous. Il s’agit d’être heu­reux. Celle qui s’envolera bien­tôt très loin rap­pe­lait éga­le­ment : “Je veux que les gens com­prennent que nous [les Asiatiques, ndlr] avons abso­lu­ment notre place. Nous avons le droit d’exister, de pros­pé­rer. Personne n’est impuis­sant lorsque nous nous réunis­sons. Personne n’est invi­sible lorsque nous exi­geons d’être vus.”

Et c’est en par­tie là que s'exprime tout son génie. Amanda Nguyen porte un dis­cours qui valo­rise les par­ti­cu­la­rismes des cultures asia­tiques, tout en défen­dant la mul­ti­pli­ci­té de nos iden­ti­tés. "Vous pou­vez être un acti­viste sans avoir à être un mar­tyr, sans avoir à sacri­fier d’autres par­ties de vous-​même. Vous pou­vez être une acti­viste, aimer l’espace, être un nerd et aus­si aimer la mode" avait-​elle décla­ré, tou­jours à rebours des sté­réo­types réduc­teurs. Vous pou­vez aus­si être une sur­vi­vante de viol et la pre­mière femme ori­gi­naire d’Asie-du-Sud-Est à voya­ger dans l’espace, mais ça, elle est encore la seule à pou­voir le dire. 

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