Alors que le gouvernement cherche 300 millions d’euros d’économies dans le budget de la Sécurité sociale, les entreprises du médicament lancent une campagne de sensibilisation auprès des médecins pour les inciter à ne pas surprescrire. Mais aussi auprès du public, notamment des seniors, que le surdosage peut envoyer à l’hôpital.
Près de la moitié des plus de 65 ans prennent au moins cinq médicaments différents par jour, selon des données de l’Assurance-maladie. Et 14 % en prennent même plus de dix. C’est trop, et c’est risqué, car “au-delà de cinq médicaments, on ne sait plus ce qu’on fait, quel médicament agit et dans quelle mesure”, avec un risque d’effets indésirables, prévient Catherine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. De fait, selon les entreprises du médicament (regroupées dans l’organisation Leem), le mauvais usage et le surdosage des médicaments seraient à l’origine de plus de 200 000 hospitalisations et de plusieurs milliers de décès prématurés par an en France.
La France n’est plus la championne d’Europe de la consommation de médicaments depuis 2018. Mais, selon l’Assurance-maladie, “toutes populations confondues”, le pays est cinquième dans l’Union européenne pour la consommation d’antibiotiques, “soit 31 % de plus que la moyenne européenne”. Au-delà de l’aspect sanitaire, lutter contre la surconsommation de médicaments est aussi un enjeu pour contenir les dépenses publiques : cette thématique régulièrement répétée depuis vingt ans ressurgit à l’heure où la France cherche à redresser ses finances.
Dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale 2024, 300 millions d’euros d’économies doivent être réalisés par des baisses de volumes de médicaments. “Moins consommer certains produits de santé qui peuvent avoir des effets néfastes” est un “enjeu collectif de maîtrise budgétaire”, affirmait récemment, lors du salon Santexpo, Charles-Emmanuel Barthélémy, à la direction générale de la Santé. “On met déjà beaucoup d’argent dans la santé en France et on en mettra de plus en plus. Nous y sommes astreints, car les besoins explosent”, avec le vieillissement de la population et des innovations qui font augmenter les dépenses, observait à cette occasion l’économiste Nicolas Bouzou. Si la sobriété est un terme qui s’applique couramment à la consommation d’alcool et d’énergie, en matière de médicaments “c’est plus le sujet du bon usage qui va permettre de faire des économies”, estime ce directeur du cabinet d’études Asterès.
Focus sur les seniors
Le lobby Leem a présenté, mardi 4 juin, un nouveau plan d’action sur trois ans pour promouvoir ce bon usage. Première étape : sensibiliser sur les risques liés à l’accumulation des traitements des personnes âgées. Le Leem s’engage ainsi à financer une campagne d’information et de formations en ligne pour les généralistes et le déploiement d’un dispositif d’aide à la prescription : quand il ou elle recevra un·e patient·e de plus de 65 ans prenant plus de cinq médicaments, un·e praticien·ne aura une notification sur son logiciel l’invitant à “réviser l’ordonnance”.
Côté patient·es, la campagne de communication "Réduisons le volume" va être diffusée dès le 9 juin à destination du grand public (presse, puis affiches, télévision, réseaux sociaux) dans le cadre de cette opération représentant 2 millions d'euros d'investissement.
Travail sur la prescription
France Assos Santé, qui représente les patient·es, considère que "les prescripteurs ont leur part de responsabilité dans le gâchis, la gabegie et les risques qui en découlent". "80% des consultations de médecine générale donnent lieu à une prescription", soit près de deux fois plus qu'aux Pays-Bas (43%), admet Paul Frappé, président du Collège de médecine générale. Les facteurs sont multiples : "liens avec l'industrie", "attentes supposées des patients" et "mauvais plis" pris dans la pratique médicale, énumère-t-il.
Des outils pour accompagner la coordination des soins existent, mais restent sous-utilisés, soulignent plusieurs expert·es. Face à l’enjeu des erreurs de prescription, l’intelligence artificielle permet par exemple de “déceler des incohérences entre des pathologies et des prescriptions”, note Nicolas Bouzou. Au regard “des tensions sur les finances publiques, l’effort de productivité est une obligation”, mais “on sous-utilise des technologies comme l’IA dans des fonctions toutes simples comme prendre des rendez-vous et dans le diagnostic”, constate l’économiste.
De leur côté, les pharmacien·nes mènent des entretiens pour accompagner la personne âgée prenant plusieurs traitements, mais la pratique est peu répandue. “On a beau faire ces bilans, si le médecin n’est pas incité” à revoir l’ordonnance, “ça ne fonctionne pas”, défend Guillaume Racle, conseiller économie à l’Union de syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo).