Le 8 février, l’Union nationale des familles de féminicides (UNFF) annonçait sa “prise de distance” avec le collectif féministe #NousToutes après quatre années de luttes communes. Une rupture révélatrice d’incompréhensions et de divergences plus larges. Tant sur la manière de lutter contre les violences faites aux femmes que sur le virage intersectionnel entamé par #NousToutes en 2022.
Neuf cents bougies pour neuf cents victimes de féminicides. Jeudi 8 février, au pied des marches du parvis du Trocadéro, à Paris, les collectifs féministes locaux parisiens de #NousToutes organisent un rassemblement en mémoire aux neuf cents femmes tuées en raison de leur genre depuis le 14 mai 2017, date qui marque le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Le parvis des Libertés et des Droits de l’homme, site touristique incontournable de la capitale, n’est pas choisi par hasard. “Nous voulons alerter le monde entier sur l’ampleur des féminicides en France et crier notre colère face à la complicité de l’État, tous les jours nous comptons nos mortes”, dénonce Célia, militante de #NousToutes, au micro. Preuve d’une volonté de visibiliser ces crimes : des pancartes ont été rédigées en anglais, en espagnol et en allemand et, sur les côtés, des militantes expliquent le contexte à des touristes un peu interloqué·es par la présence de cette nuée violette.
Derrière les centaines de bougies alignées sur le sol, une vingtaine de militantes portent une banderole sur laquelle sont inscrits, lettres blanches sur fond noir, les prénoms – et parfois juste le mot “anonyme” – des neuf cents victimes de féminicide. Pendant près d’une heure, les prises de parole se succèdent. Une proche de victime raconte sa souffrance, suivie de la psychologue Sonia Pino, cofondatrice de l’association Elle’s Imagine’nt, qui accompagne les femmes victimes de violences conjugales. Dans le froid et sous une pluie fine, une chorale féministe entonne ensuite en français la chanson mexicaine, Cancion sin miedo (la chanson sans peur), devenue un hymne mondial pour lutter contre le patriarcat.
“Prise de distance”
Le “femmage” de #NousToutes se conclut comme toujours par une minute de silence et une marée de poings levés. Une figure semble toutefois manquer à cette grande communion sororale. Sandrine Bouchait. La présidente et cofondatrice de l’Union nationale des familles de féminicides (UNFF) – qui rassemble une centaine de familles endeuillées – est pourtant souvent présente lors des femmages et actions de #NousToutes depuis la création de l’UNFF en 2019. Sauf que quelques heures plus tôt, Sandrine Bouchait a envoyé une lettre ouverte à une poignée de médias – dont Causette – dans laquelle elle annonce la décision de l’UNFF de “prendre ses distances” avec #NousToutes. Elle exprime aussi son refus d’assister à l’action du 8 février.
Dans cette lettre, Sandrine Bouchait, dont la sœur Ghylaine a été brûlée vive par son compagnon il y a sept ans, explique qu’en 2019 le collectif s’appuyait “sur l’expertise des associations de terrain et des syndicats, créant ainsi un espace bienveillant”. “Un lieu autrefois propice à la collaboration transformé en un cauchemar”, assène-t-elle.
Comment expliquer alors une telle rupture entre un collectif féministe et une association accompagnant les proches de victimes de féminicides ? Les tensions auraient pris racine tout au long de la préparation de la manifestation du 25 novembre 2023, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, jusqu’à l’action du Trocadéro. Sandrine Bouchait explique à Causette n’avoir appris l’existence de ce femmage que quatre jours plus tôt dans un message posté sur le groupe WhatsApp du comité politique de #NousToutes. “Une erreur de communication”, plaide Célia, l’une des organisatrices, qui précise l’importance d’inviter aussi d’autres associations féministes.
Faux-pas ?
La militante regrette que Sandrine n’ait pas été là. Même sentiment et même regret du côté de Maëlle Noir, membre de la coordination nationale du collectif. “On n’est pas des super-humaines ou des super-héroïnes, on fait forcément parfois des erreurs, admet-elle à Causette. Sans doute qu’il aurait fallu l’inviter personnellement.” Pour Diane Richard, ancienne membre de #NousToutes, c’est certain qu’un faux pas a été commis. “Je comprends la volonté de donner la parole à différentes personnes, mais à un moment, il faut quand même impliquer au moins la principale asso qui représente les familles de victimes de féminicides”, estime-t-elle auprès de Causette. Deux jours avant l’action, devant l’impossibilité de reporter la date, #NousToutes a finalement proposé à Sandrine Bouchait de prendre la parole lors du femmage. Cette dernière a refusé “par respect pour les familles de [son] association”.
Ce qui provoque en partie, aujourd’hui,[…]