Des militantes féministes juives ont-elles été empêchées de manifester lors de la journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes ? Le sujet n'en finit pas, depuis, d'agiter la sphère féministe. Causette fait le point.
Depuis samedi, une question agite la sphère féministe et médiatique française. Des militantes féministes juives dénonçant des violences sexuelles et des féminicides, ont-elles été empêchées de manifester lors de la journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes ? Nous vous en parlions samedi, si les drapeaux palestiniens ont flotté tout au long du boulevard Voltaire, de la place de la Nation à celle de la République, un cortège de féministes juives s’est effectivement tenu à l’écart.
De nombreux médias, dont Causette, qui était présente lors de la manifestation parisienne, ont relayé cette information ce week-end. Pour y répondre, les collectifs organisateurs de la manif ont publié un communiqué commun lundi tard dans la soirée. Pour décrypter la polémique qui enfle depuis sur les réseaux sociaux et cristallise la fracture qui s’opère dans le milieu féministe depuis l’attaque du Hamas et les bombardements de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, il faut en revenir aux faits. Que s’est-il passé exactement à la manifestation parisienne du 25 novembre dernier ?
Il faut noter premièrement que cette année, la marche n’était pas seulement organisée par le collectif féministe #NousToutes comme c’est le cas depuis 2018. Il s’agissait d’une interorga avec d’autres associations et collectifs comme #NousToutes, La Relève féministe, le collectif Du Pain et des Roses, Le mouvement des mères isolées. Ces derniers n’appelaient pas d’ailleurs à marcher seulement contre les violences de genre mais aussi contre les violences sociales et d’État.
Samedi donc, aux alentours de 13h30, environ deux cents personnes qui se sont constituées en collectif sous le nom de "Nous vivrons", en majorité des femmes de confession juive, se rassemblent à l’angle de l’avenue de Taillebourg, sur la place de la Nation dans le 11ème arrondissement. Il s’agit d’une démarche citoyenne, rappelle à Causette, Maya, l’une des organisatrices. « J’ai voulu organiser quelque chose car je n’étais pas bien à l'idée de cette journée qui allait se passer sans nous, j’avais envie d’honorer la mémoire des femmes israéliennes tuées et violées le 7 octobre », dit-elle.
Dans le communiqué des collectifs de l’organisation de la manifestation publié lundi soir, il est pourtant mentionné que « des organisations et des personnes juives féministes étaient présentes aux côtés des autres organisations et collectifs féministes ». « Il avait été annoncé que la manifestation porterait aussi sur cette lutte », ajoute le communiqué. Dans l’appel publié sur le site de Grève féministe, on peut lire « nous manifestons particulièrement notre soutien aux femmes d’Ukraine, de Birmanie, de Palestine, d’Israël, du Haut-Karabakh ».
Happening symbolique
Retour sur la place de la Nation. Rapidement, une dizaine de femmes enfilent un jogging gris qu’elles barbouillent de peinture rouge au niveau de l’entre-jambe. L’action symbolise le kidnapping de Naama Levy, cette militante israélienne retenue en otage par le Hamas. Sur une vidéo, qui a depuis fait le tour des réseaux sociaux, on la voit descendre d’un pick-up à Gaza, vêtue d’un jogging tâché par ce qu’on devine être du sang, ses chevilles cisaillées et les mains liées derrière le dos.
Elles portent une large banderole violette, sur laquelle on peut lire « Violées, mutilées, tuées par le Hamas. Qu’attendez-vous pour condamner et agir ? » ainsi que de petites pancartes « #Metoo unless you are a Jew », « Féministes, votre silence vous rend complices », « Silence le Hamas viole », « Féminicide de masse, féministes à la Hamas ».
Présence de CRS
Vers 14h45, alors que les premiers cortèges – les familles et les proches de victimes de féminicides en tête, suivi du cortège solidarité internationale où flottait la majorité des drapeaux palestiniens – s’élancent sur le boulevard, le cortège des militantes juives stationne toujours à l’angle de la rue Taillebourg. Un cordon de CRS entoure alors les manifestantes. Des hommes assurent la protection sur les côtés. Selon le communiqué de l’interorga publié lundi soir, « beaucoup d’hommes portaient des gants coqués, ce qui a inquiété les organisations présentes et la police qui y ont reconnu des personnes d’extrême-droite ».
Le collectif féministe de Révolution permanente, Du Pain et des Roses, souligne de son côté dans un communiqué publié sur Instagram hier que « le collectif ‘Nous vivons’ [qui s’est constitué le 25 novembre, ndlr] s’est muni d’un large service d’ordre, dans lequel des militants antifascistes auraient reconnu des membres de la Ligue de Défense Juive, organisation d’extrême droite ». Une description « très questionnable » pour Maya. Elle assure auprès de Causette avoir « recruté [elle]-même les personnes présentes ». « Ce ne sont pas des personnes d’extrême droite », ajoute-t-elle.
Du Pain et des Roses, indique également qu’« un cortège de plus d’une centaine de personnes a commencé à faire le tour de la place de la Nation en scandant des slogans comme “Hamas terroriste, féministes, complices”. Des mots d’ordre dirigés contre le soutien de secteurs féministes à la Palestine, qui amalgament la défense de la Palestine avec l’antisémitisme et le soutien au Hamas ». Selon le collectif, s’en serait alors suivi un « court moment de tensions » entre le cortège de militantes juives et celui de l’association Urgence Palestine.
"Nous n’étions pas violentes "
Maya raconte de son côté qu’elles n’ont, finalement, pas pu quitter la place de la Nation. Il était au départ question qu’elles attendent que les autres cortèges partent pour partir elles-aussi vers la place de la République. « À un moment, des gens de notre cortège ont été menacés quand ils ont fait le tour de la place, ils brandissaient des drapeaux palestiniens alors les CRS nous ont entourés. Nous n’étions pas violentes », assure-t-elle. Elle explique que c’est la police qui a retenu le cortège sur la place de la Nation, par mesure de sécurité. Quand elles ont appris que la manif était déjà à République, elles ont finalement déposé leur pancarte sur les terre-pleins de la place de la Nation et ont quitté les lieux. Sur les raisons exactes de cet empêchement, la préfecture de police de Paris n’a pas répondu aux sollicitations de Causette.
Face à l’intensification de la polémique sur les réseaux sociaux, les collectifs de l’organisation de la manifestation ont donc publié un communiqué lundi soir. Les militantes y condamnent « sans ambiguïté les crimes sexistes et sexuels, les viols et les féminicides commis par le Hamas ». Maya a lu le communiqué. « J’ai l’impression qu’elles reconnaissent et condamnent les viols et les féminicides commis par le Hamas, c’est une bonne chose mais en même temps, je trouve qu’elles noient un peu le poisson en parlant d’instrumentalisation de l’extrême droite », estime-t-elle.
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Au sujet de l’invitation “officielle” à la marche du 25 novembre que le collectif féministe juif regrette de ne pas avoir reçue, Maya admet auprès de Causette que personne n’a contacté l’interorga pour participer. « Même si on avait demandé je pense vraiment qu’on se serait fait jeter », explique-t-elle. Sur ce point, Maelle Noir du collectif #NousToutes l’assure pourtant à Causette : « Toutes les personnes/militantes qui avaient contacté les organisatrices pour participer à la manifestation ont eu une réponse positive et une invitation à se placer dans le cortège solidarité internationale. Le collectif qui a organisé l’action ne nous a jamais contactées », affirme-t-elle.
Pour une autre militante de #NousToutes, « il aurait fallu intégrer les militantes juives, qu’elles se sentent les bienvenues », estime-t-elle. « Il aurait fallu que les militantes féministes juives disent qu’elles avaient envie de participer mais qu’elles ne se sentaient pas en sécurité et alors l’interorga aurait dû prendre ses responsabilités, d’autant plus vu le contexte, et aller contacter des collectifs de femmes juives pour qu’elles participent. »
“Personne ne s’est tourné vers le collectif des féministes juives, c’est une faute de féminisme pour moi. “
Reste que parmi les militantes féministes qui ont marché jusqu’à République, règne aujourd’hui un climat d’incompréhension et de colère. Certaines se sont senties oubliées par les organisations, voire effacées des luttes collectives au profit de mots d'ordre exclusivement pro-Palestinien·nes. « De manière générale, j’ai eu l’impression d’être dans une manifestation pro-palestinienne, regrette aujourd’hui l’une d’elle. Personne ne s’est tourné vers le collectif des féministes juives, c’est une faute de féminisme pour moi. » Le communiqué publié lundi soir par les organisateur·trices n’a pas non plus calmé la déception de Maya. « J’éprouve toujours de la tristesse et de la déception de ne pas avoir pu marcher pour dénoncer les viols et les féminicides commis par le Hamas, dit-elle. Je me suis sentie hyper seule et triste alors que ce combat devrait être universel. »
À l’image du témoignage de Maya, ce qu’il s’est passé le 25 novembre a ravivé le sentiment de solitude que ressentent certaines féministes juives depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre. Les militantes de #NousToutes subissent de leur côté des raids de cyberharcèlement, d’insultes, de menaces de viol et de mort.