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25 novembre 2023, place de la Nation, une dizaine de femmes enfilent un jogging gris qu’elles barbouillent de peinture rouge au niveau de l’entre-jambe. L’action symbolise le kidnapping de Naama Levy. © A.T

Féministes juives : que s'est-il vrai­ment pas­sé lors de la marche du 25 novembre ?

Des mili­tantes fémi­nistes juives ont-​elles été empê­chées de mani­fes­ter lors de la jour­née inter­na­tio­nale pour l’élimination des vio­lences à l’égard des femmes ? Le sujet n'en finit pas, depuis, d'agiter la sphère fémi­niste. Causette fait le point. 

Depuis same­di, une ques­tion agite la sphère fémi­niste et média­tique fran­çaise. Des mili­tantes fémi­nistes juives dénon­çant des vio­lences sexuelles et des fémi­ni­cides, ont-​elles été empê­chées de mani­fes­ter lors de la jour­née inter­na­tio­nale pour l’élimination des vio­lences à l’égard des femmes ? Nous vous en par­lions same­di, si les dra­peaux pales­ti­niens ont flot­té tout au long du bou­le­vard Voltaire, de la place de la Nation à celle de la République, un cor­tège de fémi­nistes juives s’est effec­ti­ve­ment tenu à l’écart.

De nom­breux médias, dont Causette, qui était pré­sente lors de la mani­fes­ta­tion pari­sienne, ont relayé cette infor­ma­tion ce week-​end. Pour y répondre, les col­lec­tifs orga­ni­sa­teurs de la manif ont publié un com­mu­ni­qué com­mun lun­di tard dans la soi­rée. Pour décryp­ter la polé­mique qui enfle depuis sur les réseaux sociaux et cris­tal­lise la frac­ture qui s’opère dans le milieu fémi­niste depuis l’attaque du Hamas et les bom­bar­de­ments de l’armée israé­lienne dans la bande de Gaza, il faut en reve­nir aux faits. Que s’est-il pas­sé exac­te­ment à la mani­fes­ta­tion pari­sienne du 25 novembre dernier ?

Lire aus­si I Le conflit israélo-​palestinien s'invite à la Marche du 25 novembre : entre large sou­tien aux pales­ti­niennes et mise à l'écart des fémi­nistes juives 

Il faut noter pre­miè­re­ment que cette année, la marche n’était pas seule­ment orga­ni­sée par le col­lec­tif fémi­niste #NousToutes comme c’est le cas depuis 2018. Il s’agissait d’une inter­or­ga avec d’autres asso­cia­tions et col­lec­tifs comme #NousToutes, La Relève fémi­niste, le col­lec­tif Du Pain et des Roses, Le mou­ve­ment des mères iso­lées. Ces der­niers n’appelaient pas d’ailleurs à mar­cher seule­ment contre les vio­lences de genre mais aus­si contre les vio­lences sociales et d’État.

Samedi donc, aux alen­tours de 13h30, envi­ron deux cents per­sonnes qui se sont consti­tuées en col­lec­tif sous le nom de "Nous vivrons", en majo­ri­té des femmes de confes­sion juive, se ras­semblent à l’angle de l’avenue de Taillebourg, sur la place de la Nation dans le 11ème arron­dis­se­ment. Il s’agit d’une démarche citoyenne, rap­pelle à Causette, Maya, l’une des orga­ni­sa­trices. « J’ai vou­lu orga­ni­ser quelque chose car je n’étais pas bien à l'idée de cette jour­née qui allait se pas­ser sans nous, j’avais envie d’honorer la mémoire des femmes israé­liennes tuées et vio­lées le 7 octobre », dit-elle.

Dans le com­mu­ni­qué des col­lec­tifs de l’organisation de la mani­fes­ta­tion publié lun­di soir, il est pour­tant men­tion­né que « des orga­ni­sa­tions et des per­sonnes juives fémi­nistes étaient pré­sentes aux côtés des autres orga­ni­sa­tions et col­lec­tifs fémi­nistes ». « Il avait été annon­cé que la mani­fes­ta­tion por­te­rait aus­si sur cette lutte », ajoute le com­mu­ni­qué. Dans l’appel publié sur le site de Grève fémi­niste, on peut lire « nous mani­fes­tons par­ti­cu­liè­re­ment notre sou­tien aux femmes d’Ukraine, de Birmanie, de Palestine, d’Israël, du Haut-​Karabakh »

Happening sym­bo­lique

Retour sur la place de la Nation. Rapidement, une dizaine de femmes enfilent un jog­ging gris qu’elles bar­bouillent de pein­ture rouge au niveau de l’entre-jambe. L’action sym­bo­lise le kid­nap­ping de Naama Levy, cette mili­tante israé­lienne rete­nue en otage par le Hamas. Sur une vidéo, qui a depuis fait le tour des réseaux sociaux, on la voit des­cendre d’un pick-​up à Gaza, vêtue d’un jog­ging tâché par ce qu’on devine être du sang, ses che­villes cisaillées et les mains liées der­rière le dos.

Elles portent une large ban­de­role vio­lette, sur laquelle on peut lire « Violées, muti­lées, tuées par le Hamas. Qu’attendez-vous pour condam­ner et agir ? » ain­si que de petites pan­cartes « #Metoo unless you are a Jew », « Féministes, votre silence vous rend com­plices », « Silence le Hamas viole », « Féminicide de masse, fémi­nistes à la Hamas ».

Présence de CRS 

Vers 14h45, alors que les pre­miers cor­tèges – les familles et les proches de vic­times de fémi­ni­cides en tête, sui­vi du cor­tège soli­da­ri­té inter­na­tio­nale où flot­tait la majo­ri­té des dra­peaux pales­ti­niens – s’élancent sur le bou­le­vard, le cor­tège des mili­tantes juives sta­tionne tou­jours à l’angle de la rue Taillebourg. Un cor­don de CRS entoure alors les mani­fes­tantes. Des hommes assurent la pro­tec­tion sur les côtés. Selon le com­mu­ni­qué de l’interorga publié lun­di soir, « beau­coup d’hommes por­taient des gants coqués, ce qui a inquié­té les orga­ni­sa­tions pré­sentes et la police qui y ont recon­nu des per­sonnes d’extrême-droite »

Le col­lec­tif fémi­niste de Révolution per­ma­nente, Du Pain et des Roses, sou­ligne de son côté dans un com­mu­ni­qué publié sur Instagram hier que « le col­lec­tif ‘Nous vivons’ [qui s’est consti­tué le 25 novembre, ndlr] s’est muni d’un large ser­vice d’ordre, dans lequel des mili­tants anti­fas­cistes auraient recon­nu des membres de la Ligue de Défense Juive, orga­ni­sa­tion d’extrême droite ». Une des­crip­tion « très ques­tion­nable » pour Maya. Elle assure auprès de Causette avoir « recru­té [elle]-même les per­sonnes pré­sentes ». « Ce ne sont pas des per­sonnes d’extrême droite », ajoute-​t-​elle.

Du Pain et des Roses, indique éga­le­ment qu’« un cor­tège de plus d’une cen­taine de per­sonnes a com­men­cé à faire le tour de la place de la Nation en scan­dant des slo­gans comme “Hamas ter­ro­riste, fémi­nistes, com­plices”. Des mots d’ordre diri­gés contre le sou­tien de sec­teurs fémi­nistes à la Palestine, qui amal­gament la défense de la Palestine avec l’antisémitisme et le sou­tien au Hamas ». Selon le col­lec­tif, s’en serait alors sui­vi un « court moment de ten­sions » entre le cor­tège de mili­tantes juives et celui de l’association Urgence Palestine. 

"Nous n’étions pas violentes "

Maya raconte de son côté qu’elles n’ont, fina­le­ment, pas pu quit­ter la place de la Nation. Il était au départ ques­tion qu’elles attendent que les autres cor­tèges partent pour par­tir elles-​aussi vers la place de la République. « À un moment, des gens de notre cor­tège ont été mena­cés quand ils ont fait le tour de la place, ils bran­dis­saient des dra­peaux pales­ti­niens alors les CRS nous ont entou­rés. Nous n’étions pas vio­lentes », assure-​t-​elle. Elle explique que c’est la police qui a rete­nu le cor­tège sur la place de la Nation, par mesure de sécu­ri­té. Quand elles ont appris que la manif était déjà à République, elles ont fina­le­ment dépo­sé leur pan­carte sur les terre-​pleins de la place de la Nation et ont quit­té les lieux. Sur les rai­sons exactes de cet empê­che­ment, la pré­fec­ture de police de Paris n’a pas répon­du aux sol­li­ci­ta­tions de Causette.

Face à l’intensification de la polé­mique sur les réseaux sociaux, les col­lec­tifs de l’organisation de la mani­fes­ta­tion ont donc publié un com­mu­ni­qué lun­di soir. Les mili­tantes y condamnent « sans ambi­guï­té les crimes sexistes et sexuels, les viols et les fémi­ni­cides com­mis par le Hamas ». Maya a lu le com­mu­ni­qué. « J’ai l’impression qu’elles recon­naissent et condamnent les viols et les fémi­ni­cides com­mis par le Hamas, c’est une bonne chose mais en même temps, je trouve qu’elles noient un peu le pois­son en par­lant d’instrumentalisation de l’extrême droite », estime-t-elle. 

Lire aus­si I Féministes juives : “On se sent très seules”

Au sujet de l’invitation “offi­cielle” à la marche du 25 novembre que le col­lec­tif fémi­niste juif regrette de ne pas avoir reçue, Maya admet auprès de Causette que per­sonne n’a contac­té l’interorga pour par­ti­ci­per. « Même si on avait deman­dé je pense vrai­ment qu’on se serait fait jeter », explique-​t-​elle. Sur ce point, Maelle Noir du col­lec­tif #NousToutes l’assure pour­tant à Causette : « Toutes les personnes/​militantes qui avaient contac­té les orga­ni­sa­trices pour par­ti­ci­per à la mani­fes­ta­tion ont eu une réponse posi­tive et une invi­ta­tion à se pla­cer dans le cor­tège soli­da­ri­té inter­na­tio­nale. Le col­lec­tif qui a orga­ni­sé l’action ne nous a jamais contac­tées », affirme-t-elle.

Pour une autre mili­tante de #NousToutes, « il aurait fal­lu inté­grer les mili­tantes juives, qu’elles se sentent les bien­ve­nues », estime-​t-​elle. « Il aurait fal­lu que les mili­tantes fémi­nistes juives disent qu’elles avaient envie de par­ti­ci­per mais qu’elles ne se sen­taient pas en sécu­ri­té et alors l’interorga aurait dû prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés, d’autant plus vu le contexte, et aller contac­ter des col­lec­tifs de femmes juives pour qu’elles participent. »

“Personne ne s’est tour­né vers le col­lec­tif des fémi­nistes juives, c’est une faute de fémi­nisme pour moi. “

Reste que par­mi les mili­tantes fémi­nistes qui ont mar­ché jusqu’à République, règne aujourd’hui un cli­mat d’incompréhension et de colère. Certaines se sont sen­ties oubliées par les orga­ni­sa­tions, voire effa­cées des luttes col­lec­tives au pro­fit de mots d'ordre exclu­si­ve­ment pro-Palestinien·nes. « De manière géné­rale, j’ai eu l’impression d’être dans une mani­fes­ta­tion pro-​palestinienne, regrette aujourd’hui l’une d’elle. Personne ne s’est tour­né vers le col­lec­tif des fémi­nistes juives, c’est une faute de fémi­nisme pour moi. » Le com­mu­ni­qué publié lun­di soir par les organisateur·trices n’a pas non plus cal­mé la décep­tion de Maya. « J’éprouve tou­jours de la tris­tesse et de la décep­tion de ne pas avoir pu mar­cher pour dénon­cer les viols et les fémi­ni­cides com­mis par le Hamas, dit-​elle. Je me suis sen­tie hyper seule et triste alors que ce com­bat devrait être universel. »

À l’image du témoi­gnage de Maya, ce qu’il s’est pas­sé le 25 novembre a ravi­vé le sen­ti­ment de soli­tude que res­sentent cer­taines fémi­nistes juives depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre. Les mili­tantes de #NousToutes subissent de leur côté des raids de cybe­rhar­cè­le­ment, d’insultes, de menaces de viol et de mort. 

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