Chief Photographers Mate CPHoM Robert F. Sargent Into the Jaws of Death 23 0455M edit
© Chief Photographer's Mate (CPHoM) Robert F. Sargent / Wikimedia Commons

Le 6 juin 1944, les Américains ont débar­qué, mais aus­si vio­lé des Françaises

Le 6 juin 1944, les amé­ri­cains débarquent en Normandie, certes. Mais ils violent aus­si des Françaises. La plu­part des femmes n'ont pas osé rap­por­ter ces crimes de guerre à l'époque. À l'approche des célé­bra­tions de l'événement his­to­rique, leurs familles ne veulent plus se taire : des femmes témoignent aujourd'hui pour leurs mères, leurs soeurs. 

Malgré l’image libé­ra­trice col­lée à la peau des sol­dats amé­ri­cains, de nom­breuses femmes ont été trau­ma­ti­sées par leur arri­vée en Normandie le 6 juin 1944. C’est le cas d’Aimée. Elle a 19 ans à l’époque et vit dans un petit vil­lage de Bretagne, à Montours. Comme tous et toutes ses voisin·es, elle se réjouit de l’arrivée de ces “libé­ra­teurs”, qui annonce la fin de l’occupation alle­mande. Mais très vite, elle déchante. Le soir du 10 août, deux GI – le sur­nom don­né aux sol­dats amé­ri­cains – entrent dans la ferme fami­liale. “Ils étaient ivres et il leur fal­lait une femme”, résume pudi­que­ment Aimée, désor­mais âgée de 99 ans.

D’un meuble ancien, elle tire une lettre que sa mère, Aimée Helaudais Honoré, a écrite à sa
fille, “pour ne rien oublier”. D’une écri­ture soi­gnée, la fer­mière raconte d’abord com­ment les sol­dats ont tiré sur son mari, les balles trouant son béret, puis se sont diri­gés, mena­çants, vers sa fille. “Je suis sor­tie pour la pro­té­ger et ils m’ont emme­née dans les champs. Ils m’ont vio­lée quatre fois cha­cun, en tour­nant”, retrace-​t-​elle dans sa lettre.

La voix de sa fille se brise en la lisant, quatre-​vingts ans plus tard. “Oh, maman, tu as souf­fert, et moi aus­si, j’y pense tous les jours”, murmure-​t-​elle. “Maman s’est sacri­fiée pour me pro­té­ger. Pendant qu’ils la vio­laient, nous atten­dions dans la nuit sans savoir si elle revien­drait vivante ou s’ils la fusille­raient”, se rappelle-​t-​elle. En octobre 1944, à la fin de la déci­sive bataille de Normandie, les auto­ri­tés mili­taires amé­ri­caines ont jugé 152 sol­dats pour le viol de femmes fran­çaises. Un nombre “lar­ge­ment sous-​estimé”, affirme Mary Louise Roberts, l’une des rares his­to­riennes à s’être pen­chée sur ce “grand tabou de la Seconde Guerre mon­diale. Beaucoup de femmes ont pré­fé­ré se taire : en plus de la honte liée au viol, l’atmosphère était à la joie, à la célé­bra­tion des libé­ra­teurs”, explique-​t-​elle.

Le viol comme récom­pense pour les américains

Pour moti­ver les G.I. à com­battre si loin de chez eux, “l’armée leur a pro­mis une France
peu­plée de femmes faciles”
, sou­ligne la spé­cia­liste amé­ri­caine. Le jour­nal Stars and Stripes, publié par les forces armées amé­ri­caines et lu avi­de­ment par les mil­liers de sol­dats déployés en Europe, regorge de pho­tos de Françaises embras­sant les libé­ra­teurs. “Les Françaises sont folles des Yankees [sur­nom don­né aux sol­dats amé­ri­cains de la 26e divi­sion d’infanterie pen­dant la guerre, ndlr] […] voi­là ce pour quoi nous nous bat­tons”, titre le jour­nal le 9 sep­tembre 1944.

"La pers­pec­tive du sexe moti­vait les sol­dats amé­ri­cains à com­battre. Et c'était, notam­ment via la pros­ti­tu­tion et le viol, une manière de domi­ner la France, domi­ner les hommes fran­çais qui avaient été inca­pables de pro­té­ger leur pays et leurs femmes face aux Allemands", explique Mary Louise Roberts. "On peut esti­mer que des cen­taines, voire des mil­liers d'autres viols par des sol­dats amé­ri­cains n'ont pas été signa­lés entre 1944 et le départ des G.I. en avril 1946", rapporte-​t-​elle.

La peur de ne pas être crue

Non loin de Brest, Jeanne Pengam, 89 ans, se sou­vient “comme si c’était hier” du viol de sa sœur aînée, Catherine, et du meurtre de son père par un GI “L’Américain noir, il vou­lait vio­ler ma grande sœur. Mon père s’est inter­po­sé et le sol­dat l’a abat­tu. Le bon­homme a réus­si à détruire la porte et à ren­trer dans la mai­son”, raconte-​t-​elle, entou­rée de ses nièces.

Alors âgée de 9 ans, la petite fille court aver­tir une gar­ni­son amé­ri­caine (un groupe de sol­dats) pos­tée à Loc Maria, à quelques kilo­mètres. “J’ai dit que c’était un Allemand, je me suis trom­pée. Quand ils ont vu les balles le len­de­main, ils ont tout de suite com­pris que c’était un Américain”, relate-​t-​elle.

La sœur de Jeanne, Catherine, gar­de­ra en elle “ce secret qui l’a empoi­son­née toute sa vie” jusqu’à l’approche de sa mort, confie Jeannine Plassard, l’une de ses filles. “Sur son lit d’hôpital, elle m’a dit : ‘J’ai été vio­lée pen­dant la guerre, à la Libération’. Je lui ai deman­dé : ‘As-​tu réus­si à en par­ler à quelqu’un ?’ Elle m’a dit : ‘En par­ler à quelqu’un ? Mais c’était la Libération, tout le monde était content, je n’allais pas racon­ter quelque chose comme ça, je n’allais pas être crue !’

Les GI noirs davan­tage condamnés

Dans son livre OK Joe !, paru en 1976, l’écrivain Louis Guilloux parle de son expé­rience
comme tra­duc­teur au sein des troupes amé­ri­caines après le Débarquement. Notamment affec­té aux pro­cès pour viol de GI par des tri­bu­naux mili­taires amé­ri­cains, il remarque que “ceux condam­nés à mort sont qua­si­ment tous noirs”, sou­ligne Philippe Baron, auteur d’un docu­men­taire sur ce roman, et d’un ouvrage, La Part d’ombre de la Libération.

Ces GI seront ensuite pen­dus sur les places publiques des vil­lages fran­çais, comme ce fut le
cas pour les vio­leurs d’Aimée Helaudais, la mère d’Aimée Dupré et Catherine Tournellec, la sœur de Jeanne Pengam. “C’est une his­toire à tiroirs”, sou­ligne Philippe Baron. “Derrière le tabou du viol par des libé­ra­teurs, il y a le secret hon­teux d’une armée amé­ri­caine ségré­ga­tion­niste […] par­fois aidée par des auto­ri­tés locales racistes. Une fois devant la cour mar­tiale, un sol­dat noir n’avait qua­si aucune chance d’être acquit­té. Il y a là quelque chose de ter­ri­ble­ment actuel car, aujourd’hui encore, les hommes noirs sont pré­su­més cou­pables devant la jus­tice”, note-​t-​il.

Une addi­tion de cli­chés racistes

Mary Louise Roberts, autrice du livre Des GI et des femmes fait le constat sui­vant : lorsque le com­man­de­ment mili­taire réa­lise que “la situa­tion est hors de contrôle”, il “choi­sit de faire des sol­dats noirs les boucs émis­saires afin de trans­for­mer le viol en crime noir […] pour abso­lu­ment main­te­nir la répu­ta­tion des Américains blancs”. Les sta­tis­tiques sont “stu­pé­fiantes” : entre 1944 et 1945, sur vingt-​neuf sol­dats condam­nés à mort pour viol, vingt-​cinq sont des GI noirs, pen­dus par “un bour­reau venu exprès du Texas.”

L’armée expli­quait cela par le fait que le Noir était un vio­leur en puis­sance, qu’ils avaient une sexua­li­té exa­cer­bée, un sté­réo­type raciste du Sud” des États-​Unis, note-​t-​elle.
En réa­li­té, les GI noirs étaient sou­vent affec­tés à des uni­tés de logis­tique, dura­ble­ment
sta­tion­nées au même endroit, avec donc davan­tage de contact avec la popu­la­tion locale, y
com­pris les femmes
. Les sol­dats blancs, eux, étaient dans des uni­tés mobiles. Ils pou­vaient vio­ler une Française le soir et repar­tir dès le matin, sans être jamais arrê­tés. Et si c’était le cas, le témoi­gnage de la vic­time était le plus sou­vent remis en cause”, remarque l’historienne.

Placée sous sur­veillance poli­cière en 2013 après la publi­ca­tion de son livre Des GI et des
femmes
, Mary Louise Roberts estime que, quatre-​vingts ans après le Débarquement, “le mythe du GI per­dure. La Seconde Guerre mon­diale, c’est LA bonne guerre, puisque toutes les guerres menées depuis par notre gou­ver­ne­ment ont été des défaites morales, comme le Vietnam ou l’Afghanistan”, ana­lyse l’historienne. “Personne ne veut perdre ce héros amé­ri­cain qui nous rend fiers : le brave et intègre GI amé­ri­cain, pro­tec­teur des femmes”, note-​t-​elle. “Quitte à per­pé­tuer le men­songe”, conclut-​elle.

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