Ma voi­sine, l'enchanteuse

elderly woman listening to headphones. exterior day park setting
©Andy Reynolds

Ma voi­sine Mona est chan­teuse. Elle est tou­jours de bonne humeur. Quand j’ai le blues, le soir, je des­cends chez elle pour qu’elle me parle de rock. Autour d’une tisane, elle me raconte sa jeu­nesse, les tour­nées dans le camion avec « rien que des gars », des poi­lus, bar­bus et tatoués qui l’ont tou­jours trai­tée en sœur. Ensemble, ils ont fait le tour de France, plu­sieurs fois. Elle a connu les concerts dans des garages, les fes­ti­vals qui sentent la bière, le pétard et la sueur, les squats, les MJC. 

Et puis le groupe a split­té, cer­tains se sont mariés, y en a même qui sont morts. Depuis elle est « chan­teuse tout-​terrain », comme elle dit. Elle chante en robe à paillettes pour des orchestres de bals popu­laires, en four­reau gla­mour sur des bateaux-​mouches, en robe à pois dans des pri­sons pour un peu d’évasion, dans des super­mar­chés dégui­sée en mère Noël pen­dant les fêtes de fin d’année, dans des bars pour l’arrivée du beau­jo­lais nou­veau, pour les 14-​Juillet juste avant le feu d’artifice et lors d’anniversaires, de mariages et même de quelques enterrements. 

Elle donne aus­si des cours à de futures vedettes qui pré­parent les émis­sions de télé-​réalité, qui y croient dur comme fer, la regardent un peu de haut, ne com­prennent pas pour­quoi elle vit dans un 45 mètres car­rés et ne roule pas en limou­sine avec un chauf­feur, elle qui chante si bien, encore, pour son âge… D’ailleurs, je n’arrive pas à lui don­ner d’âge à Mona. Un jour, je lui ai deman­dé si elle allait bien­tôt prendre sa retraite. Elle a rigo­lé jaune, elle m’a dit que ça, c’était pour les four­mis, que tant qu’un son sor­ti­rait de son bec de cigale elle conti­nue­rait à racon­ter des his­toires en chantant. 

Elle se ver­rait bien sur scène pour ses 100 ans, pas à l’Olympia, trop rin­gard qu’elle dit avec un clin d’œil, mais Chez Lili, le petit caf’conc’ de son vil­lage natal, payée au cha­peau, entou­rée de tous ses potos, venus pour rire et pleu­rer en écou­tant ses chan­sons qu’elle écrit elle-​même avec ses petits doigts pleins de bagues en argent. 

Quand le virus est arri­vé, Mona, comme tout le monde, s’est retrou­vée en cage. Alors pour don­ner de la joie aux pauvres gens enfer­més chez eux avec leur télé et aus­si parce qu’elle adore les applau­dis­se­ments, elle s’est mise à piailler joli­ment avec sa gui­tare au bord de sa fenêtre, au grand dam de Roger, le voi­sin du qua­trième, qui dit que les artistes c’est tous des para­sites, des fai­néants et qu’ils ne servent à rien. En ce moment, elle chante dans les Ehpad, pour celles et ceux qui ont sur­vé­cu au virus, à la soli­tude et aus­si parce que, avec les églises, ce sont les seuls endroits où on peut encore faire des concerts. 

Elle a des­si­né un beau sou­rire sur son masque et comme un pied de nez à Roger qui la regarde par­tir depuis son bal­con, elle a écrit en grosses lettres sur le capot de sa vieille Renault le mot « essen­tielle ». Et roule ma poule qui picore son pain dur en chan­tant de sa plus belle voix devant un vieux public ravi, quoiqu’un peu som­nolent. La seule chose qui la rend cha­grine, Mona, c’est quand on lui demande si chan­teuse, c’est un vrai métier. 

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