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© Marie Rouge

Constance Vilanova sur la télé­réa­li­té : “La culture du viol tous les jours à l’antenne à 17 h 30, ça n’a pas inté­res­sé les médias”

Avec Vivre pour les camé­ras, ce que la télé­réa­li­té à fait de nous (JC Lattès), la jour­na­liste indé­pen­dante Constance Vilanova signe un essai per­cu­tant sur un objet audio­vi­suel long­temps mis de côté par les médias, alors qu'il creuse pour­tant toutes les failles de notre socié­té depuis plus de vingt ans. 

Pendant long­temps, Constance Vilanova, 30 ans, a entre­te­nu un rap­port intime à la télé­réa­li­té. La jour­na­liste indé­pen­dante en consom­mait presque quo­ti­dien­ne­ment à l'heure du goû­ter, jusqu’au jour où une contra­dic­tion inté­rieure et une prise de conscience fémi­niste sont venues tout bous­cu­ler. Comme d'autres, Vilanova s'est ren­du compte que depuis plus de vingt ans, la télé­réa­li­té a été le ter­rain de la bana­li­sa­tion de la culture du viol, de la roman­ti­sa­tion de la mas­cu­li­ni­té toxique, tout comme le théâtre de mul­tiples vio­lences sexistes et sexuelles. Et pour­tant. Pendant près d'un quart de siècle, les médias dits tra­di­tion­nels ne se sont pas inté­res­sés à la ques­tion, trop popu­laire, trop scan­da­leuse, pas assez intel­li­gente, lais­sant ain­si pros­pé­rer un far-​west du patriar­cat ali­men­té par la presse à scandale. 

Il a fal­lu attendre des enquêtes jour­na­lis­tiques récentes et la libé­ra­tion de la parole de plu­sieurs can­di­dates sur les vio­lences qu'elles ont vécues pour qu'un #MeToo de la télé­réa­li­té com­mence à poin­ter fina­le­ment le bout de son nez. Après avoir elle-​même signé plu­sieurs enquêtes et chro­niques sur le sujet, Constance Vilanova vient de publier un essai pas­sion­nant, Vivre pour les camé­ras, ce que la télé­réa­li­té a fait de nous, chez JC Lattès. Entretien.

Causette : Vous venez de publier un récit à la pre­mière per­sonne dans lequel vous racon­tez, en fil rouge, votre propre rap­port à ces pro­grammes. Pourquoi ce choix ?
Constance Vilanova
 : L’exercice de la chro­nique ou de l’enquête ne per­met pas d'analyser ce rap­port très intime à la télé­réa­li­té alors que la consom­ma­tion de ces pro­grammes a été consti­tu­tive de la tren­te­naire que je suis désor­mais. 
L’idée n’était pas de faire une somme de tous les papiers que j’avais pu écrire mais de pro­po­ser une sorte d’objet lit­té­raire un peu hybride à mi-​chemin entre l’enquête jour­na­lis­tique et le récit auto­bio­gra­phique pour pou­voir mon­trer à quel point la télé­réa­li­té a des consé­quences sur l’intime.

Quelles consé­quences a‑t-​elle eues sur votre propre inti­mi­té ? 
C.V. : La télé­réa­li­té a modi­fié ma façon de voir l’amour. Elle a fait de moi une femme qui attend de la pas­sion en per­ma­nence, qui va vou­loir qu’on s’engueule, qu’on crie, qui va lever le ton pour pas grand-​chose. La télé­réa­li­té va aus­si me faire per­ce­voir le mariage comme une mise sous clé de l’autre, il per­met­trait à l’homme de ne plus par­tir. Et en dehors du couple, il y a aus­si la ques­tion de la riva­li­té fémi­nine. J’ai long­temps vu les femmes autour de moi, par­ti­cu­liè­re­ment quand j’étais ado, comme des com­pé­ti­trices, des enne­mies. Je les voyais comme des rivales qui pas­saient leur temps à cher­cher les faveurs des hommes avec qui elles inter­agis­saient. Avec elles, je me voyais dans un duel où la soro­ri­té n’existe pas. C’est quelque chose qu’on voit beau­coup dans la télé­réa­li­té : les can­di­dates sont mises en com­pé­ti­tion en per­ma­nence. On l’a vu dès le Loft en 2001 [pre­mière émis­sion d’enfermement en France, nldr] avec Loana, la bim­bo blonde, contre Laure, la bour­geoise brune. Cette oppo­si­tion m’a mal­heu­reu­se­ment écar­tée long­temps de la soro­ri­té, alors même que c’est cette soro­ri­té qui m’a sau­vée après mon agres­sion sexuelle en 2019.

Lire aus­si I Féminisme et télé­réa­li­té : la syner­gie est-​elle possible ?

Quand avez-​vous chan­gé votre regard sur ces pro­grammes ?
C.V. :
Mon regard sur les can­di­dates a chan­gé lorsque j’ai vécu une agres­sion sexuelle, en 2019. Ça m’a énor­mé­ment affec­tée et ça a vrai­ment chan­gé ma lec­ture du monde. En en par­lant avec des amies, je me suis ren­du compte qu’on avait toutes, peu importe le milieu social, était vic­times de vio­lences sexistes et sexuelles. Je me suis aus­si ren­du compte que les can­di­dates de télé­réa­li­té avaient com­men­cé à par­ler de ce qu’elles vivaient sur les tour­nages, de l’omerta qu’elles subis­saient, des contrats qui les empê­chaient de par­ler ou de dénon­cer tel ou tel can­di­dat, mais qu’on ne les avait pas écou­tées parce qu’elles étaient de “mau­vaises vic­times”, qu’elles venaient de milieux sociaux défa­vo­ri­sés et qu’elles par­ti­ci­paient à des pro­grammes assor­tis d’une aura très néga­tive. Ça m’a un peu sau­té au visage à ce moment-​là. Je me suis ren­du compte que les médias n’avaient pas fait leur boulot. 

La télé­réa­li­té a‑t-​elle influen­cé cha­cun de nous, même les per­sonnes qui n’en ont jamais regar­dé ? 
C.V. : Oui, parce que c’est un genre audio­vi­suel qui a inon­dé tous les autres. Quand on regarde aujourd’hui un débat poli­tique, je consi­dère qu’on regarde un peu une télé­réa­li­té, avec une recherche du clash et de la pun­chline en per­ma­nence. Idem quand on regarde un docu­men­taire cri­mi­nel, on retrouve des codes de la télé­réa­li­té comme le confes­sion­nal, un face camé­ra de l’interlocuteur. Au-​delà de la forme, le fond de la télé­réa­li­té a aus­si influen­cé notre socié­té. Les can­di­dats et les can­di­dates ont sou­vent des mil­lions d’abonnés sur leurs réseaux sociaux où ils conti­nuent les clashs. Et qu’on les suive ou non, leur dis­cours a un impact sur nous. Par exemple, la vidéo où Jessica Thivenin et Thibault Garcia expliquent que Jessica se force à faire l’amour avec Thibault a cir­cu­lé par­tout. Personne n’y a échap­pé. 
Autre influence selon moi, la mise en scène de nous-​mêmes. Avant, on ne se fil­mait pas en pleu­rant par exemple. Alors qu’aujourd’hui, de plus en plus de jeunes se filment chaque jour tout au long de leur post-​rupture amou­reuse, pour en faire ensuite un mon­tage. Avec son smart­phone, on peut nous-​mêmes créer la télé­réa­li­té que l’on veut et se mettre en scène comme un candidat. 

La télé­réa­li­té serait donc fina­le­ment un labo­ra­toire d’analyse de notre socié­té ?
C.V. :
Selon moi, c’est un miroir gros­sis­sant où tout est exa­cer­bé. Le dis­cours sexiste pre­miè­re­ment : les injonc­tions qui pèsent sur les femmes sont exa­cer­bées, on le voit avec la chi­rur­gie esthé­tique, des corps ultra botoxés et des visages clo­nés. On note aus­si l’importance du couple et du mariage qui est omni­pré­sente dans la télé­réa­li­té. Une can­di­date, une femme, ne peut pas évo­luer seule. Il faut qu’elle soit en per­ma­nence en couple pour exis­ter à l’écran, sinon elle se fait évin­cer par la pro­duc­tion. Faire un enfant per­met ensuite d’en faire un nou­veau pro­duit, une nou­velle télé­réa­li­té [comme l’émission, Carla + Kevin = bébé Ruby, dif­fu­sée en replay sur M6 en 2019]
La télé­réa­li­té est éga­le­ment un objet à l’intersection de plu­sieurs luttes : du racisme, parce qu’on est sur des cas­tings entiè­re­ment blancs et qu’on estime que les femmes noires n’ont pas accès à l’amour roman­tique. De l’homophobie et de la les­bo­pho­bie : il y a seule­ment eu trois couples les­biens en vingt ans et l’homosexualité repré­sen­tée est assez sté­réo­ty­pée. Et pour finir, la lutte des classes puisqu’on parle d’une indus­trie qui capi­ta­lise sur le mépris de classe et le mépris social depuis deux décennies. 

Lire aus­si I “C’est le démar­rage où je me force” : sur YouTube, les influenceur·euses Jessica Thivenin et Thibault Garcia bana­lisent le viol conjugal 

Pendant long­temps, la télé­réa­li­té a été mépri­sée média­ti­que­ment. Les médias tra­di­tion­nels s’y inté­ressent en 2001, avec la nais­sance de l’ovni télé­vi­suel qu’est le Loft et puis plus rien. Seuls les médias “à scan­dale” ou les blo­gueurs comme Jeremstar ou Aquababe par­laient de ce qu’il se pas­sait au sein des pro­grammes. D’où vient ce manque d’intérêt pour le sujet ? 
C.V. : Les rédac­tions ins­ti­tu­tion­nelles ont vrai­ment délais­sé ce sec­teur parce qu’il était clai­re­ment asso­cié à la télé-​poubelle et aux “beaufs”. Un sno­bisme qui s’explique par le fait que le milieu du jour­na­lisme en France est géné­ra­le­ment com­po­sé de classes sociales supé­rieures. Il y a très peu de jour­na­listes raci­sés ou de bour­siers par exemple. Ce manque de diver­si­té a fait de ces pro­grammes un angle mort média­tique par mépris et par sno­bisme.
La télé­réa­li­té est aus­si assez her­mé­tique. Il y a tout un lan­gage et des codes à appri­voi­ser. Et quand on ne les connaît pas, il peut y avoir un effet répul­sif.
Quand j’ai pro­po­sé des enquêtes sur le sujet au début des années 2020, j’ai eu affaire à des petites remarques sexistes de la part de rédac­teurs en chef mas­cu­lins. Il y a aus­si un manque d’intérêt scien­ti­fique. On peut citer les tra­vaux de la socio­logue Nathalie Nadaud-​Albertini, l’essayiste Valérie Rey-​Robert, la socio­logue et autrice Illana Weizman ou encore la doc­to­rante Maureen Lepers, mais c’est assez récent. En dis­cu­tant avec elles, on se rend très vite compte que leur matière scien­ti­fique est déni­grée par leurs pairs. Elles ont du mal à être prises au sérieux par leurs confrères et consœurs. La télé­réa­li­té ne sera jamais un objet légitime. 

Le manque d’intérêt des médias tra­di­tion­nels pour la télé­réa­li­té a‑t-​il eu pour consé­quence le pas­sage sous silence des vio­lences sexistes et sexuelles (VSS) et, plus lar­ge­ment, des dérives de ces pro­grammes ? 
C.V. : Comme ça a été un angle mort média­tique pen­dant vingt ans, les parents n’ont pas été aler­tés, les profs non plus. Il n’y avait pas de médias pour aler­ter et dire : “Attention les pro­grammes que regardent vos enfants depuis vingt ans sont très sexistes et prônent la culture du viol à l’heure du goû­ter.” Que des jeunes femmes soient agres­sées sexuel­le­ment sur des tour­nages, que la culture du viol soit tous les jours à l’antenne à 17 h 30, ça n’a pas inté­res­sé les médias. 

Lire aus­si I Alix Desmoineaux brise l'omerta des vio­lences sexuelles dans le milieu de la téléréalité

En 2021, quatre ans après #MeToo, on a vu timi­de­ment appa­raître le #Metoo de la télé­réa­li­té lorsque Illan Castronovo est mis en cause pour des agres­sions sexuelles et du har­cè­le­ment par au moins cinq can­di­dates de télé­réa­li­té. Il est aus­si accu­sé de viol par deux femmes après une soi­rée dans une boîte de nuit du Loir-​et-​Cher. En mars 2023, Hilona Gos raconte les vio­lences phy­siques et psy­cho­lo­giques de son ex-​compagnon, Julien Bert. Pour autant, on n’a pas assis­té à une défer­lante de témoi­gnages. Pourquoi le #MeToo de la télé­réa­li­té ne prend pas ?
C.V. :
Parce que la télé­réa­li­té est un milieu très “consan­guin”. Pointer du doigt un can­di­dat, c’est se mettre à dos une boîte de pro­duc­tion. Endemol appar­tient par exemple à Banijay, donc tout le monde se connaît, les pro­duc­teurs, les came­ra­men, les cadreurs… Il y a une omer­ta telle que les can­di­dats ne peuvent pas racon­ter tout ce qu’il se passe sans prendre le risque d’être “grillés”. 

Le #MeToo de la télé­réa­li­té aura-​t-​il lieu un jour ?
C.V. :
Tant que cette indus­trie conti­nue­ra de capi­ta­li­ser sur la détresse de jeunes femmes vul­né­rables, cela sera com­pli­qué. C’est aus­si très dif­fi­cile de sor­tir de ce milieu. C’est un milieu qui tachequand on veut cher­cher du tra­vail et qu’on a, à son actif, plu­sieurs tour­nages. Donc, quand on te pro­pose un autre tour­nage, tu dis faci­le­ment oui. La libé­ra­tion de la parole pren­dra beau­coup de temps. 

Et quand elles parlent publi­que­ment des abus et des vio­lences qu’elles subissent, les can­di­dates ne sont pas vues comme des “bonnes vic­times”.
C.V. :
Oui, elles ont par­ti­ci­pé à des pro­grammes qui sont très mal vus, donc il y a ce juge­ment : “Elles n’avaient qu’à pas y aller.” Ce sont aus­si des vic­times dont le corps est leur ins­tru­ment de tra­vail. C’est dur pour elles, car elles sont sans cesse jugées sur leur façon de se mettre en scène sur les réseaux. Cela va jus­ti­fier le fait que ce sont des mau­vaises vic­times auprès de certains. 

Les can­di­dats mas­cu­lins ont d’ailleurs eux-​mêmes du mal à s’engager et à dénon­cer publi­que­ment les vio­lences sexistes et sexuelles…
C.V. :
Les mas­cu­li­ni­tés dans la télé­réa­li­té res­tent très toxiques et très viri­listes. Les can­di­dats vont tou­jours sau­ver leurs copains. Lorsque Adrien Laurent a été accu­sé de vio­lences sexuelles [une plainte a été dépo­sée contre lui en mars 2024], il a tout de suite été sou­te­nu par Illan Castronovo, lui-​même mis en cause pour des vio­lences sexuelles. C’est très rare que les hommes prennent posi­tion en faveur des femmes vic­times. Certains l’ont fait comme Antoine Goretti, mais il n’a fait qu’une seule télé­réa­li­té, donc c’est aus­si plus facile pour lui de le faire. 

Lire aus­si I “J’adore les femmes, le sexe, mon but c’est de les ouvrir” : la télé­réa­li­té de l’enfer “Frenchie Shore” débarque sur MTV

Ces der­nières années, on a d’ailleurs pu lire dans la presse géné­ra­liste plu­sieurs enquêtes sur les VSS dans la télé­réa­li­té. Les choses ont-​elles chan­gé depuis ? 
C.V. : Les pro­duc­tions ont ral­lon­gé les temps de cas­ting. Elles ne peuvent plus se per­mettre de ne pas se ren­car­der sur le casier judi­ciaire des jeunes hommes qu’elles vont faire entrer dans une aven­ture. Elles sont aus­si obli­gées de leur faire pas­ser un test psy­cho­lo­gique. Elles essaient main­te­nant de faire mieux. Dans Frenchie Shore, qui reste une émis­sion de pla­te­forme décon­seillée aux moins de 18 ans, un can­di­dat a embras­sé un autre can­di­dat sans son consen­te­ment. L’auteur en ques­tion a fait un tweet lors de la dif­fu­sion de l’épisode en disant qu’il s’agissait d’une agres­sion sexuelle et a tout de suite pré­sen­té ses excuses. Donc on voit bien que le dis­cours change depuis que les médias s’en sont empa­rés.
Il y a aus­si une évo­lu­tion dans le concept. C’est fini, les télé­réa­li­tés sans enjeu, sans stra­té­gie comme Les Marseillais. Je pense que le public en a marre du recy­clage per­ma­nent des mêmes pro­fils et des mêmes concepts. On voit aujourd’hui de la télé­réa­li­té beau­coup plus bien­veillante, à l’image de la nou­velle sai­son de Secret Story [dif­fu­sée sur TF1 depuis le mois d’avril et pro­duite par Endemol, qui a pro­mis une “for­te­resse safe fami­liale”] qui est en totale oppo­si­tion avec toutes les précédentes. 

Comme la Star Academy, dont la der­nière sai­son a fait un car­ton sur TF1 en par­tie grâce à cette bien­veillance ?
C.V. :
J’ai mis de côté la Star Academy pour ce livre, car c’est un télé-​crochet avec un enjeu musi­cal, mais oui, Endemol a éga­le­ment construit cette sai­son en oppo­si­tion aux sai­sons pré­cé­dentes. Dans la pre­mière mou­ture, dif­fu­sée fin 2001, on se sou­vient par exemple du sexisme dans le por­trait de Jenifer, où ses men­su­ra­tions étaient indi­quées. Tandis que dans la der­nière sai­son, la prof de chant deman­dait l’autorisation aux élèves avant de leur tou­cher le ventre. 
Mais c’est aus­si un coup de com­mu­ni­ca­tion, car l’enjeu pour les pro­duc­tions est de récu­pé­rer la case por­teuse de 17 h 30, la case dite “after school”, qui doit être impec­cable niveau conte­nu pour évi­ter la signa­lé­tique “moins de 12 ans”.
Les pro­duc­tions font très atten­tion désor­mais à avoir des cas­tings plus lisses, qui ne res­semblent pas aux cas­tings qu’on voyait aupa­ra­vant. Dans Secret Story, par exemple, peu de jeunes femmes ont visi­ble­ment fait de la chi­rur­gie esthé­tique. C’est d’ailleurs un des argu­ments de la pro­duc­tion et elle le dit de manière assez méprisante.

Pourtant, à l’hiver 2023, on a vu appa­raître sur les pla­te­formes payantes Paramount+ et MTV, l’émission Frenchie Shore, adap­tée des pro­grammes amé­ri­cains Jersey Shore et Geordie Shore, au suc­cès démen­tiel outre-​Atlantique. Vous écri­vez : “Pour la pre­mière fois, les femmes aus­si sont des pré­da­trices”…
C.V. :
Ce qui est posi­tif, c’est que pour la pre­mière fois, on a vu une véri­table inclu­si­vi­té, des corps dif­fé­rents, des can­di­dats noirs, une can­di­date trans­genre. Et lorsqu’une can­di­date fait son coming out par exemple, tout le monde s’en fout, ce n’est même pas un sujet. On a une sexua­li­té débri­dée, mais consen­tie, du moins à l’image. Mais après, très vite, les tra­vers patriar­caux rat­trapent le pro­gramme. La pra­tique sexuelle cen­trale par exemple, c’est la fel­la­tion. D’autres formes de sexua­li­té moins patriar­cales et domi­na­tives ne sont pas mon­trées. Il y a aus­si beau­coup de riva­li­tés fémi­nines. Là où un clan de gar­çons va vite se créer, les filles vont pas­ser leur temps à se déchi­rer pour se récon­ci­lier. On a l’impression que mal­gré les ten­ta­tives, cette télé-​réalité n’a pas pu échap­per au démon du patriarcat. 

Pensez-​vous qu’il sera pos­sible d’avoir un jour de la télé-​réalité éthique et saine ?
C.V. :
Je pense que oui. Il y a en tout cas une demande du public en ce sens. Je pense qu’il y a aus­si un chan­ge­ment de géné­ra­tion. Moi, je fais par­tie d’une géné­ra­tion où la soro­ri­té n’était pas for­cé­ment une valeur car­di­nale pen­dant l’adolescence. Là, où aujourd’hui, les jeunes filles ont davan­tage ten­dance à se sou­te­nir et moins à se juger. On accepte aus­si beau­coup plus les dif­fé­rentes orien­ta­tions sexuelles. Cette nou­velle géné­ra­tion a fina­le­ment besoin de pro­grammes qui lui ressemblent. 

Pour vous, la télé-​réalité aujourd’hui, c’est fini. Vous n’en consom­mez plus ou du moins pas pour le plai­sir. Auriez-​vous des conseils à don­ner à des jeunes consommateur·rices qui sou­hai­te­raient à leur tour chan­ger leur regard sur ces pro­grammes ?
C.V. :
La télé-​réalité, on ne doit pas for­cé­ment s’interdire d’en regar­der, c’est un peu comme TikTok ou les comé­dies roman­tiques, il faut être armé pour pou­voir décons­truire ce qu’on regarde. C’est ça, la clé. Et c’est pour cela que je pense qu’il est impor­tant de conti­nuer à écrire sur le sujet et de conti­nuer à lire ce que les jour­na­listes et les cher­cheurs disent de la télé-​réalité. On peut tout à fait conti­nuer à regar­der des choses qui ne sont pas for­cé­ment pro­gres­sistes, mais il faut être équi­pé pour cela. Ce qui serait inté­res­sant à faire d’ailleurs, ce sont des inter­ven­tions dans les écoles pour pou­voir jus­te­ment en par­ler avec les ados. 

Vivre pour les camé­ras, ce que la télé­réa­li­té a fait de nous, de Constance Vilanova. JC Lattès, 240 pages, 20 euros.

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