Ève Simonet est aujourd’hui aux manettes de On.Suzane, la première plateforme de streaming spécialisée sur les sujets féminins et féministes. Alors que sort aujourd’hui "Naissances respectées", sa nouvelle production consacrée à l’accouchement, Causette l’a rencontrée pour parler docu, maternité… et féminisme, évidemment.
À peine est-elle arrivée chez elle, son casque de vélo sous le bras, qu’elle ramasse en coup de vent un jouet qui traîne, fait place nette sur la table, s’excuse pour le – très relatif – bazar inhérent à toute présence enfantine. Hasard du calendrier, on rencontre ève Simonet le jour de l’anniversaire de son fils. Trois ans plus tôt, elle accouchait – chez elle – et s’apprêtait, sans le savoir, à trouver sa vocation : celle de donner la parole aux femmes à travers des documentaires qu’elle réalise et/ou produit. Comme Naissances respectées, cette nouvelle série documentaire consacrée à l’accouchement qui sort le 5 octobre sur On.Suzane, la plateforme de streaming féministe qu’elle a lancée en septembre 2022.
“La naissance de mon fils m’a mise sur les rails et m’a permis de canaliser cette énergie que j’avais”, résume ève. Avant ? “J’ai l’impression que c’était une autre vie.” Après une enfance en Normandie, elle quitte le foyer maternel à 13 ans et demi, arrête l’école à 14, avant de finalement passer son bac, à Paris, puis de s’envoler pour l’Australie. “J’ai vécu un an à Sydney, six mois à Berlin, quatre ans au Portugal… Entre mes 18 et mes 25 ans, j’ai beaucoup voyagé, souvent changé de taf, je vivais dans un certain chaos. C’était une vie de fuite. Je fuyais un contexte familial qui m’était, disons, très défavorable. C’était une période où il y avait beaucoup d’excitation, de fête, de drogues… Beaucoup de liberté, aussi. Aujourd’hui, ça a beaucoup changé. Et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles j’ai très mal vécu le début de mon rôle de mère et l’enfermement que ça a produit dans ma vie”, analyse-t-elle.
Traversée du désert et épiphanie féministe
Devenue mère à 25 ans sans l’avoir planifié, ève est de celles – nombreuses – pour qui le post-partum a été un uppercut. Si elle a soigneusement ficelé son projet d’accouchement à domicile – “J’ai dû me battre contre vents et marées”, glisse-t-elle – et englouti une somme de livres sur le sujet, ce n’est qu’à quelques semaines de son terme qu’elle a entendu parler, pour la première fois, du post-partum. Grand saut dans l’inconnu, l’expérience se révèle d’autant plus éprouvante que le fils d’ève souffre d’une grave allergie et peut pleurer jusqu’à vingt heures par jour. Épuisement, solitude, fragilité psychique et émotionnelle… “Le post-partum est venu réveiller beaucoup de choses chez moi”, confie-t-elle.
Elle qui s’est “toujours sentie un peu sans famille” se prend de plein fouet “la toxicité et l’absence de [son] père”, “l’alcoolisme de [sa] mère”. Et puis il y a cet inceste qu’elle a subi, enfant, qui lui revient en boomerang. À l’âge de 6 ans, après avoir été porter plainte avec sa mère, elle avait été auditionnée par la gendarmerie. Tout juste devenue mère à son tour, elle décide de récupérer le dossier : les gendarmes l’y dépeignent comme “une enfant enjouée et séductrice”, tandis que le psychiatre évoque “une très jolie petite fille” à l’“air très enjoué et séducteur” et conclut à de “fausses allégations”. Nouvel uppercut.
“J’ai vécu mon post-partum comme une traversée du désert. Qui m’a menée à une révolution existentielle”, retrace-t-elle aujourd’hui. Car cette plongée dans les abysses est aussi le moment où Eve a vécu son éveil féministe. “Pour moi, le féminisme, ça se résumait aux Femen à la télé. Ça ne me parlait pas”, dit-elle franchement. Jusqu’à ce qu’elle se prenne la claque du post-partum. Et qu’elle dévore, au même moment, Les Sentiments du Prince Charles, de Liv Strömquist. Puis tout Mona Chollet. Après quoi, “ça a été une grosse révolution personnelle. Tout était en chantier. Le féminisme m’a permis de relire mon histoire, de m’autoriser à exister, de me réconcilier avec moi-même. Ça a aussi changé ma vision du couple”, confie Ève, qui, depuis, s’est séparée, en bons termes, du père de son fils. “D’une certaine manière, le féminisme a été un sauvetage”, estime-t-elle.
Le post-partum en 4 x 3
Ce qui l’a sauvée lorsqu’elle était “à terre”, c’est aussi sa capacité à entreprendre. “Face à ces épreuves, il fallait que je mette un peu d’énergie de vie dans mon existence. C’était vraiment une question de vie ou de mort”, lâche-t-elle. La solitude du post-partum et l’ennui de ses virées au parc la rongent ? Ève décide alors de créer le Club poussette, une association qui propose aux jeunes mères de se retrouver une fois par mois, avec ou sans leur progéniture, pour papoter et souffler un peu. Imaginé en 2021, lancé en avril 2022 à Paris, le Club poussette – qu’elle préside toujours – compte aujourd’hui 180 antennes et près de 18 000 participantes, à travers sept pays.
Comme elle, des légions de femmes vivent dans la souffrance ce fameux post-partum dont on ne leur avait rien dit, rien montré ou presque ? Qu’à cela ne tienne : Ève décide de réaliser un documentaire sur le sujet. “J’ai toujours eu cette envie. Il y a longtemps, j’avais acheté une caméra. Mais je n’avais pas le sujet. Là, j’ai tout de suite senti qu’il y avait un gros sujet”, raconte-t-elle. Autodidacte, elle se lance dans l’aventure avec le soutien de son ex-conjoint, qui travaille dans le cinéma. La voilà qui quitte son boulot dans l’événementiel, enchaîne les interviews (pas loin de deux cents, quand même), crée un site web, développe sa page Instagram… Et le 8 mars 2022, son documentaire Post-Partum sort en streaming.
Là encore, il a fallu se battre : au départ, la régie publicitaire de la RATP ne voulait pas afficher dans les couloirs du métro l’affiche promotionnelle de son film. Rendez-vous compte : on y voit dessinée une serviette hygiénique et – horreur et damnation – un filet de sang couler sur la cuisse d’une femme ! “Trop réaliste”, a d’abord jugé la régie, avant de finalement consentir à afficher la campagne du film.
Des films “thérapeutiques”
Depuis, Post-Partum connaît un vrai succès auprès du public. Et la petite entreprise artisanale s’est structurée. En septembre 2022, Ève Simonet a inauguré On.Suzane, une plateforme de streaming collaborative spécialisée sur les sujets féminins et féministes – la première du genre en France. “Au fur et à mesure de ma prise de conscience féministe, je me suis rendu compte qu’au-delà de la maternité, il y avait énormément de sujets à traiter et qui ne le sont pas, aujourd’hui, dans le circuit classique de l’audiovisuel. Je voulais aussi donner l’opportunité à d’autres meufs de faire comme moi, d’être indépendantes, de parler de sujets que des boîtes de prod ne vont jamais produire. Grâce à notre plateforme de streaming, on peut à la fois maîtriser la production et la diffusion. Pour moi, l’un ne peut pas aller sans l’autre”, détaille Ève, dont l’entreprise compte aujourd’hui sept salariées.
Pour l’heure, On.Suzane propose un catalogue de près de 120 contenus, dont quatre créations originales : un an après Post-Partum est sorti, en avril 2023, Big Bang Baby, série documentaire sur les mutations intimes et sociales que provoque l’entrée dans la parentalité (réalisée par Ève Simonet), puis La Révolution menstruelle, autre série documentaire produite par Ève Simonet (réalisée par Mélissa Carlier et sortie en juin dernier). À quoi vient aujourd’hui s’ajouter Naissances respectées (coréalisé par Claire Tellière, Clémence Matveef, Marie Duriavic, et Judicaëlle Perrot), qui s’intéresse à la prise en charge de l’accouchement, aux violences obstétricales et aux naissances dites “alternatives”.
Fin 2023, On.Suzane lancera également Bénissez nos seins, long-métrage documentaire sur notre rapport – pour le moins compliqué – aux seins. Suivront ensuite deux nouveaux films, plus courts, sur la PMA et sur le coming-out. Sans oublier le prochain film d’Ève, provisoirement intitulé Protéger l’enfant. “C’est un documentaire qui part de l’inceste, de ses conséquences et qui s’intéresse plus largement à la question de la domination : celle des hommes sur les femmes, mais aussi celle des femmes sur les enfants”, résume Ève, qui revendique le parti pris de ses films, à la fois incarnés et politiques.
“Je veux que ce documentaire puisse être un outil de guérison pour les personnes concernées. D’ailleurs, je dis souvent que ces films, je les fais avant tout pour moi. Il y a une dimension ultra thérapeutique. Et je pense que c’est pour ça qu’ils sont assez différents de ce qui peut exister ailleurs”, estime Ève, qui s’apprête également à publier son deuxième livre. Après La Naissance d’une mère, paru en septembre aux éditions Mango, elle sortira Big Bang Baby, le 16 novembre chez Eyrolles, en prolongement de sa série documentaire. Inarrêtable, on vous dit.
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