FR21 32 Anna Lou Bremondy
© FR21 - #32 - Anna-Lou Brémondy

"Lusted men" : enfin un beau livre qui éro­tise les hommes

Cinq ans après ses débuts, le pro­jet pho­to­gra­phique col­lec­tif Lusted Men (“hommes dési­rés”) se trans­forme en objet : un beau livre regrou­pant en 750 pages 700 pho­tos éro­tiques d’hommes, prises par autant de photographes. 

Lusted Men est né d’une absence abys­sale. Celle du regard éro­tique fémi­nin sur les hommes. Pour répa­rer cette offense faite au female gaze et com­bler le vide, une bande de femmes évo­luant dans le milieu de la pho­to­gra­phie ou de l’art lance, en 2019, sur les réseaux sociaux un appel à contri­bu­tion pho­to­gra­phique. Professionnel·les ou amateur·rices, les pho­to­graphes sont invité·es à faire par­ve­nir à Lusted Men leurs cli­chés éro­tiques d’hommes. Ils sont dif­fu­sés sur le compte Instagram du pro­jet et ont été expo­sés à plu­sieurs occa­sions, à Paris, à Bruxelles et dans des fes­ti­vals dans toute la France.

Au bout de cinq ans, l’heure de la matu­ri­té pour Lusted Men, cette “enquête pho­to­gra­phique” visant à “élar­gir les dési­rs” semble avoir son­né : un beau livre regrou­pant en 750 pages 700 de ces images, prises par plus de 700 artistes, sera édi­té à l’automne. Le col­lec­tif a lan­cé les pré­ventes sur la pla­te­forme kiss­kiss­bank­bank. Entretien avec l’une de ses fon­da­trices, Laura Lafon, direc­trice artis­tique pho­to de Gaze Magazine, pas­sée par le ser­vice ico­no de Causette.

FR23 158 Laura Lafon Kacim Sonofawitch
© FR23 – #158 Laura Lafon &
Kacim Sonofawitch

Causette : Quel bilan tirez-​vous de l’expérience Lusted Men, au moment où vous pré­pa­rez la publi­ca­tion de ce livre ?
Laura Lafon :
Quand on a lan­cé le pro­jet, il y a cinq ans, on ne savait pas trop à quoi s’attendre, pour être hon­nête. C’est d’ailleurs pour ça qu’on avait lan­cé une col­lecte de pho­tos ouverte, parce que nous cher­chions des réponses à nos ques­tions : où sont les pho­tos éro­tiques d’hommes et pour­quoi je n’en vois pas, pour­quoi est-​ce que je ne consomme pas ?
Au final, nous sommes heu­reuses et encore sur­prises de l’écho de notre appel, qu’il s’agisse d’amorcer une réflexion chez les gens sur cet impen­sé (où sont les repré­sen­ta­tions éro­tiques mas­cu­lines ?) ou des plu­sieurs cen­taines de pho­tos venues du monde entier que nous avons reçues. Ce qui est inté­res­sant, c’est aus­si de voir que la notion d’érotisme varie énor­mé­ment, d’un ou une pho­to­graphe à l’autre. Certaines de ces pho­tos ne m’apparaissent pas par­ti­cu­liè­re­ment éro­tiques, mais elles le deviennent par l’intention du ou de la pho­to­graphe. Nous ne vou­lions pas nor­mer l’érotisme.

Comment avez-​vous choi­si les pho­tos ras­sem­blées dans le livre ?
L.L. :
Nous ne vou­lions pas faire de tri. Comme pour la col­lecte, les seules condi­tionspour inté­grer l’archive au livre sont que l’homme repré­sen­té soit majeur etconsen­tant. Nous avons recon­tac­té toutes les per­sonnes qui ont contri­bué depuis le début et cer­taines n’ont pas don­né suite. Mais l’immense majo­ri­té a donc répon­du par la posi­tive et leurs pro­duc­tions sont donc ras­sem­blées dans cet ouvrage.

FR23 13 Benjamin Amis Achille
© FR23 – #13 Benjamin Amis & Achille

Le fait de ne pas trier ne rend-​il pas le résul­tat inégal, en termes qua­li­ta­tifs ?
L.L. :
Non, jus­te­ment, à mes yeux, c’est ça qui est assez génial. On met en regard des images qui n’ont rien à voir entre elles. Des pho­tos sel­fies, par­fois uti­li­sées sur des appli­ca­tions de ren­contre – donc toutes pixe­li­sées avec des for­mats pas pos­sibles à force de reca­drages – autant que des pho­tos en stu­dio, extrê­me­ment léchées, avec des lumières tra­vaillées. Il y a aus­si des pho­tos prises à l’argentique d’un amou­reux en vacances… Cette col­lecte per­met de mon­trer l’étendue des lan­gages photographiques.

D’une manière géné­rale, les per­sonnes qui ont par­ti­ci­pé avaient-​elles ces pho­tos en stock ? Ou est-​ce votre appel qui a sus­ci­té la créa­tion ?
L.L. :
Il y avait cette envie fon­da­men­tale, dès le début du pro­jet, d’inviter les per­sonnes à se ser­vir de l’appareil pho­to pour regar­der les hommes. Donc plu­tôt des pho­tos prises pour Lusted Men. La pre­mière année, on deman­dait dans un petit ques­tion­naire “faites-​vous sou­vent des pho­to­gra­phies éro­tiques ?”. 25 % des gens qui ont répon­du nous ont dit que c’était la pre­mière fois.
On a évi­dem­ment reçu des pho­tos homo-​érotiques, puisque, dans la pho­to éro­tique repré­sen­tant des hommes, c’est le regard le plus répan­du, mais aus­si des sel­fies que je qua­li­fie­rais d’auto-érotiques. Et puis il y a éga­le­ment des choses moins atten­dues, comme des images prises par des contri­bu­trices les­biennes, qui se sont empa­rées de l’appareil pho­to pour appré­hen­der le corps des hommes d’une manière dont elles n’avaient pas for­cé­ment l’habitude. Quant aux femmes hété­ros, qui repré­sentent à peu près la moi­tié de nos contri­bu­teurs, l’exercice leur a per­mis de cher­cher ce qui éveille le désir en elles. Ce que je note, c’est qu’il a fal­lu sur­sol­li­ci­ter les femmes et les per­sonnes non binaires pour qu’elles et ils par­ti­cipent – tou­jours cette éter­nelle ques­tion de se sen­tir légi­time ou pas. L’année où on n’a pas accen­tué notre com­mu­ni­ca­tion à ce sujet, nous avons reçu une majo­ri­té de sel­fies d’hommes.

EN22 5 Kia
© EN22 – #5 – Kia

Vous avez donc dû redou­bler d’efforts pour faire émer­ger un female gaze hétéro-​érotique. À quoi ressemble-​t-​il ?
L.L. :
On demande aux per­sonnes qui nous envoient leurs œuvres de nous racon­ter d’où vient cette image, pour­quoi elle a été prise, etc. Dans les réponses, beau­coup de femmes reven­di­quaient cette démarche fémi­niste d’éveil au regard éro­tique. Il y a quelques pho­tos où la femme appa­raît phy­si­que­ment sur l’image, mais de façon fugace, une seule par­tie de son corps, par exemple. Elle touche le corps de l’homme ou elle se met en scène dans une posi­tion sexuelle avec lui. Je pense que c’est dans ces représentations-​là que s’affirme le plus le regard féminin.

Y a‑t-​il des cli­chés qui vous ont par­ti­cu­liè­re­ment mar­quée ?
L.L. :
Oui, il y a des pho­tos incroyables dans cette col­lec­tion. Je me rap­pelle d’un duo d’hommes qui sont mon­tés en haut de la croi­sée du tran­sept d’une église pour se mettre dans des posi­tions pas pos­sibles. D’autres hommes pho­to­gra­phiés sous l’eau, on dirait des ani­maux ou des sirènes, c’est très beau. Mais même les pho­tos plus simples, prises sur la plage avec une jolie lumière, évoquent beau­coup de choses.
Quant aux sel­fies, ils étaient sou­vent envoyés par des hommes qui confiaient ne pas avoir l’habitude et avoir l’impression que les femmes connais­saient beau­coup mieux les codes de l’auto-érotisation qu’eux. Ces hommes qui se sont prê­tés au jeu de mener cette recherche d’auto-érotisation pour nous l’envoyer, je trouve ça aus­si hyper tou­chant. D’une manière géné­rale, on a com­pi­lé des témoi­gnages très émou­vants et puissants.

59 Mathilde02
© #59 Mathilde02

Notez-​vous, au-​delà de Lusted Men, une évo­lu­tion dans l’expression d’un regard fémi­nin éro­tique sur les hommes ?
L.L. :
J’ai l’impression qu’on en parle un petit peu plus depuis cinq ans, quand nous avons com­men­cé. Pour la mar­raine du pro­jet, l’autrice Maïa Mazaurette, c’est l’un de ses sujets favo­ris et elle s’en fait la porte-​voix. Pour bai­gner dans le milieu de la pho­to, j’observe aus­si qu’il y a pas mal de jeunes pho­to­graphes qui essaient désor­mais d’avoir cette approche-là.

Lire aus­si l Expo Lusted men au Hasard ludique : exer­cez votre œil libidineux

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