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Claire Simon © dpa picture alliance / Alamy Live News

Affaire Émile Daraï : à la veille des César, la polé­mique sur le docu­men­taire de Claire Simon relan­cée autour d’une péti­tion qui serait la cible d’une ten­ta­tive de censure

Alors que Notre Corps, de Claire Simon, pour­rait être récom­pen­sé aux César demain dans la caté­go­rie “meilleur docu­men­taire”, la pro­duc­tion du film est accu­sée par des mili­tantes fémi­nistes de vou­loir cen­su­rer leur péti­tion deman­dant à ce que le film rap­pelle la mise en exa­men pour “vio­lences volon­taires aggra­vées” dans le cadre de ses fonc­tions du Professeur Daraï, chef du ser­vice gyné­co­lo­gique où il a été filmé.

C’est une œuvre poi­gnante et à n’en pas dou­ter fémi­niste, mais qui pâtit, depuis sa sor­tie, d’un pro­fond désac­cord éthique. Notre Corps, nom­mé aux César dans la caté­go­rie “meilleur docu­men­taire”, a l’ambition de racon­ter le par­cours médi­cal et intime des femmes à toutes les étapes de leurs vies en nous plon­geant dans le quo­ti­dien d’un ser­vice gyné­co­lo­gique hos­pi­ta­lier. Mais lorsque la réa­li­sa­trice enga­gée Claire Simon a posé sa camé­ra en juillet 2021 au ser­vice gyné­co­lo­gique de l’hôpital Tenon dans le 20e arron­dis­se­ment de Paris, elle ne pou­vait se dou­ter qu’une bombe explo­se­rait en cours de tour­nage : au mois de sep­tembre de la même année, le chef du ser­vice, le pro­fes­seur Émile Daraï, a été accu­sé de vio­lences obs­té­tri­cales par plu­sieurs femmes dans la presse. Depuis, elles sont trente-​deux à avoir por­té plainte, et le gyné­co­logue a été mis en exa­men pour “vio­lences volon­taires par per­sonne char­gée d’une mis­sion de ser­vice public”.

Au moment de la sor­tie du docu­men­taire, fin octobre, le col­lec­tif fémi­niste Stop aux vio­lences obs­té­tri­cales et gyné­co­lo­giques (Stop VOG) et des plai­gnantes recon­naissent dans le docu­men­taire de Claire Simon le ser­vice gyné­co­lo­gique du pro­fes­seur Daraï, bien qu'il porte un masque chi­rur­gi­cal à l’écran et qu’aucun nom ne soit pro­non­cé dans le film, selon l’engagement que Claire Simon avait pris auprès de l’AP-HP, comme elle l’explique à Arrêt sur images. Elles se recon­naissent éga­le­ment dans une séquence du film mon­trant la mani­fes­ta­tion qu’elles ont orga­ni­sée devant l’hôpital pour deman­der la démis­sion du pro­fes­seur Daraï. Stop VOG envoie une lettre à la réa­li­sa­trice et à la pro­duc­tion pour dénon­cer un film “très pro­blé­ma­tique” qui “silen­cie les vic­times et réha­bi­lite le Pr Émile Daraï de Tenon, mis en exa­men pour trente-​deux plaintes au pénal”. Alors même que Claire Simon qua­li­fie Daraï de “génie” dans ses inter­views pro­mo­tion­nelles comme, celle don­née au Petit Bulletin, les mili­tantes pro­posent d’entamer un dia­logue pour “trou­ver com­ment faire en sorte d’améliorer et de rééqui­li­brer les choses” en fai­sant obser­ver qu’“il est encore temps de com­mu­ni­quer de façon intel­li­gente” autour de Notre Corps.

Lettres ouvertes interposées

Ce n’est que début novembre, lorsqu’elles trans­forment ce cour­rier res­té sans réponse en lettre ouverte, qu’elles vont obte­nir une réponse de la pro­duc­tion. “Le film ne fait en aucun cas l’apologie du pro­fes­seur Daraï”, peut-​on lire dans cette mis­sive écrite par la pro­duc­trice Kristina Larsen, puisque l’homme “n’est abso­lu­ment pas iden­ti­fiable sur aucune des séquences mon­tées et il n’est nom­mé­ment cité nulle part”. “Je trouve tout à fait regret­table votre sen­ti­ment à l’égard du film – sen­ti­ment qui n’est pas par­ta­gé par un grand nombre de spec­ta­trices qui témoignent à chaque fin de séance leur gra­ti­tude et leur émo­tion de se retrou­ver enfin, de retrou­ver ‘leur corps’ et leur vécu à l’écran”, conclut la pro­duc­trice, qui demande que ce cour­rier soit dif­fu­sé sur les réseaux sociaux de Stop VOG et croit ain­si clore la polémique.

Mais un nou­veau cha­pitre s’ouvre au moment où Notre Corps est nom­mé aux César en jan­vier. Pas ques­tion de cen­su­rer l’œuvre, mais les mili­tantes sou­haitent que le docu­men­taire fasse men­tion de la mise en exa­men du pro­fes­seur Daraï. Stop VOG et cer­taines femmes qui ont por­té plainte contre Daraï lancent donc le 13 février une péti­tion à l’adresse de l’Académie des César, de Claire Simon et de Kristina Larsen pour deman­der “à ce que les spec­ta­teurs et spec­ta­trices soient infor­més des plaintes en cours, par un car­ton d’avertissement en début de film ou tout autre moyen que la pro­duc­tion juge­ra oppor­tun”. Jusqu’à pré­sent, la péti­tion patine à 1 434 signa­tures… Il faut dire que deux jours après sa mise en ligne, elle a été mys­té­rieu­se­ment vic­time de signa­le­ments sur les réseaux sociaux et la pla­te­forme qui l’héberge, Change, com­pli­quant ain­si sa diffusion.

“Nous vous écri­vons pour vous infor­mer que nous avons reçu une récla­ma­tion allé­guant que [l’image incluse dans] votre péti­tion porte atteinte aux droits d’auteur de CLAIRE SIMON”, envoie ain­si par mail Change aux créa­trices de la péti­tion. L’image – un extrait de l’affiche du film – est donc sup­pri­mée, ce qui des­sert le réfé­ren­ce­ment de la péti­tion, la rend moins lisible et dif­fi­ci­le­ment par­ta­geable sur les réseaux sociaux. Lesquels deviennent éga­le­ment des lieux d’embûche pour les mili­tantes : tour à tour, Facebook, Instagram et X (ancien­ne­ment Twitter) les informent de signa­le­ments simi­laires pour contra­ven­tion aux droits d’auteur de la réa­li­sa­trice. Facebook sup­prime des publi­ca­tions de la péti­tion. X va jusqu’à ver­rouiller le compte @StopVOGfr pen­dant quelques heures, comme le prouvent les élé­ments que nous a fait par­ve­nir l’association.

Tentative de censure ?

Pour Sonia Bisch, porte-​parole de Stop VOG, ces mul­tiples signa­le­ments “sont une ten­ta­tive de cen­sure” orches­trée par la pro­duc­tion de Notre Corps. “Tout lais­se­rait pen­ser que c'est la pro­duc­tion qui en est à l'origine. Nous regret­tons pro­fon­dé­ment que la pro­duc­tion pré­fère nous atta­quer au niveau juri­dique à cause de l’utilisation de l’affiche du film plu­tôt que de prendre en compte la parole des vic­times, déplore Sonia Bisch auprès de Causette. Pour un film qui se veut fémi­niste, qui se veut à l’écoute des femmes, c’est incompréhensible.”

Du côté de Notre Corps, il est dif­fi­cile d’obtenir une réponse claire à la suite de ces accu­sa­tions de ten­ta­tive de cen­sure. Si Claire Simon n’a pas sou­hai­té s’exprimer, la pro­duc­trice Kristina Larsen ne dit pas si oui ou non elle est à l’origine de ces signa­le­ments quand Causette le lui demande. “Le fait est que le visuel de l’affiche ne peut pas être juri­di­que­ment uti­li­sé pour la péti­tion”, se contente-​t-​elle de répondre. Et déve­loppe : “Le visuel de l’affiche est une œuvre artis­tique qui n’est pas libre de droits, c’est l’affiche amé­ri­caine et le copy­right à ma connais­sance en est déte­nue par une artiste US et plu­sieurs socié­tés de gra­phisme dont une éga­le­ment héber­gée aux États-​Unis. Le dis­tri­bu­teur en a acquis les droits et l’exclusivité sur le ter­ri­toire fran­çais pour la pro­mo­tion du film uni­que­ment. Personne d’autre ne peut se ser­vir de ce visuel sans l’accord des ayants droit amé­ri­cains notam­ment. Cela n’a abso­lu­ment rien à voir avec les droits d’auteur de Claire Simon.” Or, c’est bien une atteinte aux droits d’auteur de cette der­nière qu’évoquent les signa­le­ments consul­tés par Causette.

Sur le fond de l’affaire, Kristina Larsen n’entend pas accé­der aux requêtes de Stop VOG et des pré­su­mées vic­times du pro­fes­seur Daraï quant à l’ajout d’un car­ton men­tion­nant sa mise en exa­men. “Comment consi­dé­rer une telle demande alors qu’il ne s’agit ni d’un repor­tage d’actualités ni même d’un film sur les VOG, encore moins d’une réha­bi­li­ta­tion du pro­fes­seur en ques­tion ? C’est absurde”, affirme-​t-​elle à Causette. En tout état de cause et à la veille des César, l’équipe du film ne semble pas inquiète de la mau­vaise publi­ci­té que pour­rait faire à Notre Corps ce refus net de dia­logue. Film remar­quable à de nom­breux égards par ailleurs. 

Lire aus­si l Claire Simon : "On affiche le corps des femmes dans les maga­zines, mais la réa­li­té, et toutes les emmerdes qui vont avec, on ne les voit jamais"

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