pencalet
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Joséphine Pencalet : sar­di­nière, syn­di­quée, élue muni­ci­pale et oubliée de l’Histoire

Dans son ouvrage L’Élection inter­dite. Itinéraire de Joséphine Pencalet, ouvrière bre­tonne (1886−1972), l’historienne Fanny Bugnon revient sur la vie de cette ouvrière syn­di­ca­liste puis élue au conseil muni­ci­pal de Douarnenez (Bretagne) en 1925, une époque où les femmes n’avaient même pas le droit de vote. 

Joséphine Pencalet naît en 1886 à Douarnenez (Finistère), ville dont l’économie repose entiè­re­ment sur la pro­duc­tion de conserves de sar­dines. Une indus­trie qui mobi­lise une main‑d’œuvre com­po­sée à près de 90 % de femmes ou de filles, sur­nom­mées les “Penn Sardin”, qui, pour la plu­part, entraient à l’usine dès l’âge de 12 ans. Douzième membre de sa fra­trie, Joséphine est issue d’une famille très nom­breuse et gran­dit dans un loge­ment minus­cule et insa­lubre, comme sou­vent dans les milieux popu­laires bre­tons. Après avoir obte­nu son cer­ti­fi­cat de sco­la­ri­sa­tion en 1899, elle est pro­ba­ble­ment – selon Fanny Bugnon – deve­nue “fille de fri­ture” l’été de ses 13 ans. À l’âge de 21 ans, la jeune femme s’installe à Argenteuil, ville indus­trielle de la région pari­sienne, pour suivre son mari, Léon Leray. Il et elle y vivent durant quinze ans. La mort subite de son conjoint, à 40 ans, pousse Joséphine Pencalet, alors âgée de 37 ans et mère de deux enfants, à ren­trer à Douarnenez. Dans un contexte d’inflation galo­pante, les rai­sons de son départ sont avant tout éco­no­miques : entre 1914 et 1923, les prix des pro­duits de pre­mière néces­si­té se sont mul­ti­pliés par plus de trois et l’indice des dépenses pour une famille ouvrière de quatre per­sonnes par 3,5. 

À son retour à Douarnenez, en 1925, elle devient loca­taire d’un loge­ment à des­ti­na­tion des per­sonnes à faible reve­nu construit par le conseil muni­ci­pal, dans un contexte de crise de l’habitation et de menaces d’expulsions. Celle qui est la seule mère céli­ba­taire de son quar­tier habite au côté de sept autres familles. Elle reçoit men­suel­le­ment une pen­sion de veu­vage de la Compagnie des che­mins de fer de l’Ouest. Mais face à ce reve­nu insuf­fi­sant pour que la cheffe de famille sub­vienne aux besoins de ses deux enfants, elle retourne tra­vailler à l’usine.

La révolte des Penn Sardin

La veuve revient dans le sec­teur de la conserve de sar­dines en pleine période de convul­sions sociales et éco­no­miques, car les sar­di­nières” ont enta­mé une grève très com­ba­tive, à par­tir de novembre 1924. La fameuse grève des Penn Sardin. Les mots d’ordre portent avant tout sur les salaires. Certain·es ouvrières se syn­diquent durant cette lutte, l’engagement syn­di­cal deve­nant une porte d’entrée vers une poli­ti­sa­tion plus large, voire un encar­te­ment au Parti com­mu­niste, à l’image de la tra­jec­toire de Joséphine Pencalet. Durant plu­sieurs mois, elle joue un rôle signi­fi­ca­tif dans son syn­di­cat, la CGTU, bien que son inves­tis­se­ment soit éphé­mère, car limi­té à l’année 1925. Trésorière, elle fait aus­si par­tie des délégué·es présent·es au congrès natio­nal de la CGTU à Paris en sep­tembre 1925. Le bras de fer avec le patro­nat s’achève vic­to­rieu­se­ment en jan­vier 1925.

Lire aus­si I Penn Sardin : la grève en chan­tant dans la Bretagne du XXème siècle

Démasquer la démocratie

La réus­site de la désor­mais célèbre grève des Penn Sardin donne à Douarnenez l’image d’une ville rouge. L’antenne locale du PC sou­haite se pla­cer à l’avant-garde des poli­tiques sociales en met­tant des femmes en avant, en par­ti­cu­lier au sein du conseil muni­ci­pal. Comment ? Via un sub­ter­fuge impro­bable. En effet, la loi sur l’organisation muni­ci­pale du 5 avril 1884 com­porte une brèche, car la pré­fec­ture ne véri­fie l’éligibilité des candidat·es déclaré·es élu·es qu’à l’issue du scru­tin et non en amont. Conclusion : même si le pré­fet peut ensuite faire annu­ler les résul­tats du scru­tin, rien n’empêche les femmes de se pré­sen­ter et d’être décla­rées élues. Voilà com­ment Joséphine se retrouve can­di­date sur la liste com­mu­niste aux côtés de Daniel Flanchec, sous les recom­man­da­tions de l’Internationale com­mu­niste. Dans l’ouvrage On chan­tait rouge (1919) de Charles Tillon, ministre et membre du comi­té cen­tral du PC, ce der­nier explique : “À vrai dire, la dif­fi­cul­té était de trou­ver une citoyenne qui consen­tit à jouer les suf­fra­gettes comme en Angleterre ! Pas un ménage n’accepta ce sacri­fice. Seule une ave­nante veuve, Joséphine Pencalet, se dévoua. Elle avait sou­vent tenu le dra­peau rouge par les rues. Elle sut se moquer des menaces du pré­fet, trin­quer avec les pêcheurs et rem­bar­rer les bla­gueurs.” Sur la liste, elle est la seule repré­sen­tante du sec­teur de la conserve.

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Manifestation devant les usines du port du Rosmeur. © Wikipedia
“Une des plus courageuses”

Au soir du 3 mai 1925, une poi­gnée de femmes sont élues en France aux côtés de Joséphine Pencalet qui rafle les bul­le­tins de vote de la cité des Penn Sardin aux côtés de ses homo­logues mas­cu­lins. Le Parti com­mu­niste annonce alors en pre­mière page de son quo­ti­dien : “Douarnenez, tou­jours à la pointe du com­bat social, a élu triom­pha­le­ment une femme ! C’est notre cama­rade Joséphine Pencalet, veuve […], ouvrière d’usine, qui fut dans les heures tra­giques une des plus cou­ra­geuses à la tête du mou­ve­ment de grève.”

Cette der­nière devient alors membre de la com­mis­sion d’hygiène et de la com­mis­sion sco­laire ain­si que sup­pléante du conseil de dis­ci­pline. La pré­fec­ture, décou­vrant fina­le­ment la fraude, annule son élec­tion le 16 juin. La sar­di­nière conteste et dépose un recours qui lui per­met de res­ter au conseil jusqu’à l’automne, le pour­voi en Conseil d’État étant sus­pen­sif. Un court répit et une rela­tive réus­site avant qu’elle ne soit évin­cée des ins­tances de représentation…

Après la confir­ma­tion de l’annulation de son élec­tion, Joséphine Pencalet dis­pa­raît de la scène poli­tique, déçue par cette expé­rience. Quand les femmes obtiennent fina­le­ment le droit de vote, elle refuse de dépo­ser son pre­mier bul­le­tin dans l’urne. Celle qui s’est mal­gré tout décla­rée com­mu­niste jusqu’à la fin de sa vie, sera écar­tée des mémoires, à l’image de nom­breuses mili­tantes qui ont lut­té en faveur du droit de vote des femmes en 1944.

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