oleg laptev QRKJwE6yfJo unsplash
© Oleg Laptev / Unsplash

Tribune : “Parler de ‘réar­me­ment démo­gra­phique’, c'est reprendre la rhé­to­rique des mou­ve­ments anti-choix”

Danielle Bousquet, pré­si­dente de la Fédération natio­nale des Centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) a choi­si Causette pour répondre aux annonces pré­si­den­tielles concer­nant la natalité. 

TRIBUNE

“Réarmement démo­gra­phique” : regar­der la réa­li­té des mères en face

En France, comme dans d’autres pays d’Europe et du monde, la nata­li­té est en baisse. Le 16 jan­vier, le pré­sident de la République a annon­cé vou­loir enga­ger un “grand plan de lutte contre l’infertilité” pour contrer ce “tabou” et per­mettre un “réar­me­ment démo­gra­phique” de la France. Une injonc­tion nata­liste pré­oc­cu­pante pour les asso­cia­tions fémi­nistes qui, à l’instar de la Fédération natio­nale des Centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) accom­pa­gnant près de 100 000 femmes par an, tra­vaillent chaque jour auprès des femmes pour défendre et ren­for­cer leur autonomie.

Un risque de régres­sion poli­tique et sociale préoccupant

Se pré­sen­ter à des élec­tions, obte­nir un emploi, ouvrir son propre compte en banque. Avorter. Autant de droits péni­ble­ment acquis par les femmes dans une socié­té patriar­cale qui a trop long­temps can­ton­né les femmes à leur fonc­tion repro­duc­tive. Il y a quelques jours seule­ment, le 17 jan­vier, la France célé­brait près de 50 ans de dépé­na­li­sa­tion de l’avortement. Le 24 jan­vier, l’Assemblée natio­nale a débat­tu sur le pro­jet de loi consti­tu­tion­nelle visant à assu­rer la liber­té de recou­rir à l’interruption volon­taire de gros­sesse. “Un enfant, si je veux, quand je veux.

Parler de “réar­me­ment démo­gra­phique”, c’est reprendre la rhé­to­rique des mou­ve­ments anti-​choix. En plein essor dans plu­sieurs pays d’Europe, ces mou­ve­ments cherchent à contrô­ler le corps des femmes euro­péennes et à réduire leur place dans la socié­té à leur rôle de mères, tout en stig­ma­ti­sant les femmes étran­gères qui enfan­te­raient trop, ali­men­tant ain­si des thèses aus­si racistes et xéno­phobes qu’infondées.

En Hongrie par exemple, des mesures de sou­tien éco­no­mique aux femmes hon­groises de moins de 30 ans qui déci­de­raient d’avoir un enfant afin de relan­cer la nata­li­té en évi­tant de recou­rir à l’immigration ont ain­si été mises en place. Ces poli­tiques à visée nata­listes, pro­fon­dé­ment contraires à l’autonomie des femmes, consti­tuent une régres­sion poli­tique et sociale pré­oc­cu­pante pour les droits des femmes et passent à côté de la réa­li­té des femmes face à la maternité.

Regarder la réa­li­té des mères en face

En l’absence de mesures sociales struc­tu­relles visant à sou­te­nir la paren­ta­li­té et à pro­mou­voir l’égalité des rôles paren­taux, les femmes se retrouvent face à des freins qui entravent leurs choix.

En France, les femmes consacrent en moyenne 3 heures 26 de leur jour­née aux tâches domes­tiques, contre 2 heures pour les hommes 1). On estime que l’arrivée d’un enfant ajoute 5 heures de tra­vail à une femme et qu’une mère four­nit deux fois plus de tra­vail domes­tique qu’un père, illus­trant les consé­quences de la paren­ta­li­té, en l’absence de mesures sociales dédiées, sur la vie pro­fes­sion­nelle des femmes.

Les per­sonnes les plus pré­caires en France sont des femmes. Elles repré­sentent 62 % des per­sonnes payées au smic 2. Selon l’Insee, en France, une famille sur quatre est mono­pa­ren­tale. Dans 82 % des cas, il s’agit d’une femme seule 3.

Dans un contexte éco­no­mique de hausse de l’inflation et de dégra­da­tion du pou­voir d’achat, ce sont les mères iso­lées qui payent le prix le plus fort. La quasi-​totalité des allo­ca­taires du RSA majo­ré sont des femmes (96 %) et plus d’une femme sur deux béné­fi­ciaires du RSA a plus d’un enfant à charge 4. Selon les esti­ma­tions de la Drees, l’absence de sou­tien finan­cier de l’État (allo­ca­tions fami­liales, RSA…) ris­que­rait de faire plon­ger 61 % des familles mono­pa­ren­tales de plus d’un enfant sous le seuil de pauvreté.

Charge men­tale, pré­ca­ri­té, inéga­li­tés : voi­là le quo­ti­dien de nom­breuses mères en France. L’exercice d’une paren­ta­li­té éga­li­taire et choi­sie, dans une pers­pec­tive d’autonomie des femmes, doit deve­nir une prio­ri­té. Il est dra­ma­tique qu’en France, celles qui ont fait le choix d’être mères puissent se retrou­ver dans des situa­tions cri­tiques, sur le plan éco­no­mique, de la san­té ou du logement.

En tant qu’association fémi­niste, pre­mier réseau pour l’accès au droit des femmes depuis cin­quante ans en France, il est de notre devoir de le rap­pe­ler : les femmes sont libres de leurs choix. Le choix de ne pas être mère, le choix de le deve­nir dans des condi­tions éco­no­miques et sociales qui per­mettent de vivre décemment.

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accom­pa­gner les com­bats qui vous animent, en fai­sant un don pour que nous conti­nuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
  1. Enquête “Emploi du temps” de l’Insee (2010[]
  2. Enquête de la Dares, “Les emplois du pri­vé rému­né­rés sur la base du smic”, page 3, 2016.[]
  3. Les familles en 2020 : 25 % de familles mono­pa­ren­tales, 21 % de familles nom­breuses – Insee Focus – 249[]
  4. “Femmes et hommes, l’égalité en ques­tion – édi­tion 2022”, Insee, 3 mars 2022[]
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés
thumbnail IMG 3735

Irène Ansari : « La grève des ouvriers de l'industrie pétro­lière ira­nienne est une très bonne nou­velle pour le mou­ve­ment de contes­ta­tion du pouvoir »

Alors que les protestations en Iran ont entamé leur cinquième et avant un nouveau rassemblement de soutien aux Iraniennes samedi à Paris, Causette s'est entretenue avec Irène Ansari, coordinatrice de la Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie.