Harcèlement de rue : « L’éducation, c’est la clé »

A l’Ecole régionale de la deuxième chance de Nîmes, dans le Gard, des stagiaires participent chaque semaine à des ateliers d’écriture journalistique. Ils publient des articles dans le magazine de l’Ecole, L’œil de la Chance, et le blog Croco Infos.
Il y a quelques semaines, quatre stagiaires Hadjer Saidj, Oriana Gwizdz, Sarah et Maeva, âgées de 17 à 20 ans, ont décidé d’écrire sur l’application de lutte contre le harcèlement de rue HandsAway.
Accompagnées par le journaliste Eric Allermoz (que vous lisez de temps en temps dans Causette !), elles ont recherché des informations, élaboré des questions, interviewé deux membres de l’association HandsAway et enfin rédigé un article, que nous publions ici.

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Campagne de prévention de Handsaway © Handsawat // TBWA

Depuis 2016, l'association HandsAway (qui signifie « bas les pattes ») lutte contre le harcèlement de rue. Grâce à la géolocalisation, cette application mobile gratuite permet aux femmes victimes de violences sexistes dans l’espace urbain ou les transports en commun, d’alerter, témoigner et être soutenues par des « Street Angels ». Le succès est au rendez-vous avec près de 100 000 utilisateur·trices. Mais l’application a été piratée et temporairement désactivée en juin dernier. L’association ne baisse pas les bras et fera son retour en 2021. Encore plus forte ! Explications avec Juliette Maduli et Lisa Zmihi, deux membres de HandsAway.

Causette : Comment avez-vous eu l’idée d’ouvrir l’application HandsAway ?
Juliette Maduli et Lisa Zmihi : Elle a été créée en 2016 par Alma Guirao. L’élément déclencheur a été une énième expérience de harcèlement : un homme assis en face d’elle, dans le métro, a tout d’un coup, sans raison, sorti son sexe devant elle, en toute impunité. Elle était complètement choquée. En sortant du métro, elle s’est dit qu’elle devait vraiment faire quelque chose, faire bouger les choses car cela concerne des milliers de femmes.

L’application a été piratée en juin dernier. Que s’est-il passé exactement ?
J.M. et L.Z. : Cela fait suite face à un hashtag sur Twitter, #Iwas. Beaucoup de femmes ont témoigné des agressions sexuelles ou des viols qu’elles ont pu subir. Certaines d’entre elles ont recommandé de télécharger l’application HandsAway pour que la situation soit un peu plus facile à gérer pour les victimes.
Forcément, cela a créé le buzz et 45 000 nouvelles personnes ont téléchargé l’application. Parmi elles, des groupes malveillants et des comptes frauduleux ont pollué l’application avec de très nombreux propos à caractère sexiste ou sexuel, l’envoi de fausses alertes d’agression, etc. Ils ont utilisé cette opportunité pour attaquer une initiative féministe. Nous avons été contraintes dans la foulée de désactiver temporairement l’application.

Avez-vous une date de la réouverture de l’application ? Comment éviter de subir une nouvelle attaque ?
J.M. et L.Z. : Nous aimerions relancer l’application début 2021. Nous allons renforcer la modération et la sécurité sur notre application. Les utilisateur·rices pourront alerter de façon limitée, par exemple avec un maximum de deux ou trois alertes ou commentaires par jour. Deuxième axe d’amélioration : une cartographie va recenser les lieux de soin, d’écoute, d’aide aux victimes, les hôpitaux, les commissariats, les gendarmeries, sur tout le territoire français et d’outre-mer. L’objectif est que les victimes de harcèlement dans la rue puissent facilement se diriger vers un lieu sûr. En ce moment, des bénévoles font un vrai travail de fourmis pour recenser dans chaque région ces lieux ressources.

« Nous animons des ateliers de sensibilisation et des formations »

Quelles sont les autres missions de l’association ?
J.M. et L.Z. : Nous animons des ateliers de sensibilisation et des formations auprès des étudiant.es, les personnel.les des établissements supérieurs ou dans les entreprises sur les thèmes liés aux violences sexistes et sexuelles, du cyberharcèlement, mais aussi au recueil de la parole des victimes et à l’identification des situations à risque, sur le cyberharcèlement. Nous intervenons aussi auprès du grand public sur le harcèlement de rue, par exemple dans le cadre d’un partenariat avec la Féministerie, une plateforme féministe d’ateliers interactifs en visioconférence. Nous lançons des campagnes de sensibilisation. La dernière en date s’appelle « Ceci n’est pas un consentement ».

Pourquoi vous êtes-vous engagées dans cette association ?
J.M. et L.Z. : C’est une cause qui nous tient à cœur. Nous avons été victimes d’harcèlement de rue, et trouvions affligeant ce qui a été fait à l’application. Nous avions envie de faire bouger les choses, participer à cette énergie. Pour nous, il est primordial de s’engager à notre niveau, nous voulions donc rallier le mouvement.

Avez-vous un témoignage qui vous a touchées plus qu’un autre ?
J.M. et L.Z. : Celui de Marie1, victime de harcèlement de rue, nous a marqué. Un jour, Marie sort du métro à Paris, et monte les escaliers pour sortir de la station. Ce jour-là, elle est en jupe sans collants. Quand tout à coup, elle sent quelque chose de froid entre ses jambes. Elle se retourne, et voit un homme derrière elle filmant sous sa jupe avec un téléphone. Elle hurle de surprise et l’homme part en courant. Des personnes de la RATP, alertées par ses cris, essayent de rattraper l’homme. Marie est laissée seule dans la station, personne n’est venu l’aider suite à ce choc. A ce jour, elle ne sait toujours pas ce que sont devenues les vidéos et les photos.

« C’est un fait de société inscrit dans une culture patriarcale que nous considérons comme dépassée »

Depuis le vote de la loi de 2018 sur la lutte contre les violence sexiste et sexuelle, avez – vous constaté une différence ?
J.M. et L.Z. : Cette loi est un pas en avant puisqu’elle reconnaît le harcèlement de rue, cela va donc dans le bon sens. Malgré cette avancée, nous pensons que cela ne suffit pas et qu’il faudrait l’accompagner d’autres mesures (formations, sensibilisations, actions de terrain…). Mais le gros point négatif de cette loi, c’est que l’agresseur doit être pris en flagrant délit pour être verbalisé, ce qui reste très peu probable.

Est-ce que le taux de harcèlement de rue a augmenté ou diminué en 2020 ?
J.M. et L.Z. : C’est compliqué de chiffrer une hausse ou une baisse, car très peu de victimes osent en parler aux forces de l’ordre. Tout dépend du nombre de plaintes déposées. Rappelons que 25 %des femmes âgées de 20 à 69 ans déclare avoir subi au moins une forme de violence dans l’espace public au cours des 12 derniers mois, soit environ 5 millions de femmes victimes chaque année et donc 13 700 par jour.

Comment pourrions-nous lutter plus efficacement contre le harcèlement de rue ?
J.M. et L.Z. : C’est une vaste question. C’est compliqué de lutter contre un comportement. C’est un fait de société inscrit dans une « culture patriarcale » que nous considérons comme dépassée et que nous souhaitons faire évoluer. Il faut sensibiliser, former contre ces comportements malveillants qui n’ont plus lieu d’être dans la rue aujourd’hui. Le travail des associations sur le terrain est primordial. On pourrait aussi se dire que mettre des caméras partout et filmer les comportements sexistes dans la rue, mais cela est trop compliqué à mettre en place. Il faut éduquer les hommes et les femmes à ne pas se comporter comme ça. L’éducation est la clé. C’est une déconstruction tout au long de la vie, dès le plus jeune âge, au collège, au lycée mais aussi en entreprise. Car au cours de sa carrière, une femme sur trois sera harcelée ou agressée sur son lieu de travail.


La règle des « 5 D » pour aider une personne harcelée

Juliette Maduli et Lisa Zmihi rappellent la méthode pour aider une victime de harcèlement et intervenir en sécurité.

Distraire : Intervenir de manière indirecte pour éviter que la situation ne dégénère et détourner l’attention de l’harceleur : demander son chemin ou l‘heure, faire tomber quelque chose, etc.
Déléguer : Repérer une personne représentant l’autorité (conducteur·rice de bus, agent.e de sécurité, gérant.e de bar, policier.es, etc.) et demander de l’aide.
Documenter : Filmer l’incident, prendre des photos, relever la plaque d’immatriculation pour aider la victime si elle porte plainte.
Diriger : C’est l’approche la plus frontale. Après avoir évalué sa propre sécurité, il s’agit d’intervenir, défendre la victime, demander à l’harceleur d’arrêter, demander de l’aide autour de soi en évitant de se mettre en danger.
Dialoguer : Dès que l’incident est terminé, discuter et rassurer la victime.

  1. le prénom a été modifié[]
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