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© Capture écran Instagram / @xsqueezie

Lettre ouverte à Squeezie : “Tu as les moyens finan­ciers et humains de sor­tir de ce cercle infi­ni d’entre-soi mas­cu­lin sur YouTube”

À la suite d’un énième épi­sode de har­cè­le­ment sexiste en ligne de la part de cer­tains membres de la com­mu­nau­té de Squeezie, les fémi­nistes Fatima Benomar, Andrea Bescond, Camille Giry, Olivia Moore et Muka demandent au pre­mier you­tu­beur de France de prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés et d’inviter plus de femmes dans ses vidéos.

LETTRE OUVERTE

Let’s go Squeezie : let’s step up contre le sexisme !

Cher Lucas. Nous sommes des vie­wers régulièr·es de tes vidéos et de tes lives, et nous appré­cions ton conte­nu qui nous a sou­vent diverti·es ou ému·es. Nous savons aus­si que tu as déjà sen­si­bi­li­sé ta com­mu­nau­té contre le sexisme et mis en avant quelques créa­trices de conte­nu dans tes concepts. Bon, sur ce der­nier point, nous espé­rons que ce n’était pas en soi un effort ! Suite aux cybe­rhar­cè­le­ments féroces qu’ont subis Audrey et Manon Lanza, l’année der­nière, tu avais publi­que­ment condam­né les com­por­te­ments d’une par­tie de ta com­mu­nau­té et tu leur avais pro­je­té, en plein live Twitch, un aper­çu des insultes que Manon avait reçues en masse.

Il y a quelques jours, tu as pos­té un reel qui tease les vidéos à venir de ta chaîne YouTube en pause depuis plu­sieurs mois… avec zéro guests fémi­nines ! On s’est senti·es à la fois très enthou­siastes et déçu·es. “Sinon les femmes existent aus­si, le 100% boys­band”… Ces sept mots pos­tés par Fatima Benomar lui ont valu, pen­dant plu­sieurs jours, des cen­taines de mes­sages de haine (non modé­rés) en com­men­taires sur ton post et dans ses DM. D’autres membres de ta com­mu­nau­té, majo­ri­tai­re­ment des femmes, ont osé expri­mer ce même res­sen­ti et ont subi le même trai­te­ment, mora­le­ment très éprou­vant. Amélie Deloche a annon­cé sur Linkedin avoir pré­fé­ré sup­pri­mer son com­men­taire sur ton reel pour échap­per au cybe­rhar­cè­le­ment. La twit­tos Amélie, autrice d’un docu­ment de recom­man­da­tions sur le sujet, a fait la même remarque et subi éga­le­ment un raid de cybe­rhar­cè­le­ment. Bref, par­tout où des per­sonnes ont sou­hai­té expri­mer cette opi­nion sur Internet, elles ont été aus­si­tôt sanc­tion­nées par la haine en ligne.

Malgré ce déchaî­ne­ment épou­van­table, nous refu­sons d’intérioriser un sen­ti­ment de culpa­bi­li­té. Nous n’avons pas à nous excu­ser d’avoir expri­mé un avis. Nos mes­sages sont polis et res­pec­tueux, au pire un peu taquins, quand ceux qui pré­tendent te défendre sont très majo­ri­tai­re­ment vio­lents, insul­tants, vul­gaires et ouver­te­ment misogynes. 

Lors de ton der­nier coup de gueule public contre le sexisme, tu as annon­cé vou­loir “step up [à la 46e seconde, ndlr] pour mieux sen­si­bi­li­ser les nom­breux cybe­rhar­ce­leurs qui mènent la vie dure aux femmes sur Internet. Nous pen­sons, en effet, que tu as les moyens finan­ciers et humains de pas­ser à l’étape sui­vante, du posi­tion­ne­ment à l’exécution d’une stra­té­gie d’inclusion, en confiant aux équipes qui gèrent ta stra­té­gie édi­to­riale la mis­sion d’identifier des leviers pour sor­tir de ce cercle infi­ni d’entre-soi mas­cu­lin sur YouTube. 

Ton équipe peut faire des recherches ambi­tieuses de per­son­na­li­tés fémi­nines sus­cep­tibles d’apparaître dans tes conte­nus. Le tra­vail est pré­mâ­ché. Les Internettes ont recen­sé pen­dant huit ans toutes les chaînes YouTube de femmes. Tes concepts comme “L’imposteur” incluent aus­si d’autres pro­fils de guests. Ainsi, tes invi­tées peuvent être des stand-​uppeuses, des rap­peuses, des spor­tives, etc. Il y a 51 % de femmes et 49 % d’hommes sur YouTube (Data Reportal 2024 France qui a com­pi­lé les don­nées de Google pour son étude annuelle), et si on ajoute les autres réseaux sociaux, notam­ment Instagram et TikTok, on se retrouve avec près de 70 % de femmes influenceuses !

Hélas, les you­tu­beurs mas­cu­lins sont bien plus mis en avant par la pla­te­forme, notam­ment via les vidéos feat&fun, comme le docu­mente la you­tu­beuse Lepeint dans sa vidéo. Sur 941 vidéos, Amixem n’a que 4 vidéos à son comp­teur avec des femmes invi­tées ! Voici les pour­cen­tages de feats fémi­nines sur les vidéos des you­tu­beurs les plus sui­vis en 2023 : Amixem 0 %, Inoxtag 3 %, Mastu 7 %, Joyca 13 %, Michou et toi 20 %. Tu es donc bien clas­sé (tel­le­ment le score des autres est hon­teux), mais es-​tu vrai­ment le genre à te conten­ter d’une telle note ?

En tant que pre­mier you­tu­beur de France conscient de ta res­pon­sa­bi­li­té et de ton impact sur les repré­sen­ta­tions, nous te pen­sons capable de contri­buer à ne plus enfer­mer tes vie­wers dans cette boucle infi­nie de mise en avant très majo­ri­tai­re­ment mas­cu­line. Nous savons que faire des feats avec des femmes peut les expo­ser aux cyber­vio­lences, mais nous pen­sons que des solu­tions existent pour pré­ve­nir ces phé­no­mènes, et qu’il n’y a pas de fatalité !

Notre demande est d’intérêt géné­ral, car mon­trer un monde 80 % mas­cu­lin dans des for­mats de diver­tis­se­ment vus par des mil­lions de jeunes ne fait que ren­for­cer les sté­réo­types selon les­quels les mecs, c’est déci­dé­ment plus cool et plus drôle que les meufs. C’est ce qu’une grande par­tie de ta com­mu­nau­té nous a répon­du avec viru­lence et déni­gre­ment à tra­vers des cen­taines de com­men­taires, “Les femmes, vous n’êtes pas drôles, c’est pour ça que Lucas invite sur­tout des hommes !”… Pourtant, en regar­dant une de tes vieilles vidéos où tu feat avec plu­sieurs you­tu­beuses, et en les voyant tel­le­ment à l’aise, décon­trac­tées et mar­rantes, on se dit que, vrai­ment, cette idée reçue n’est pas juste !

De plus, quand une femme est iso­lée dans un concept, entou­rée d’une grande majo­ri­té d’invités mas­cu­lins, elle subit une pres­sion sup­plé­men­taire parce qu’elle prend conscience de sa posi­tion mino­ri­taire et sent la res­pon­sa­bi­li­té qu’elle porte. Il fau­drait donc évi­ter d’inviter plu­sieurs guests mas­cu­lins et une seule guest fémi­nine au sein de la même vidéo, au risque qu’elle soit per­çue, même incons­ciem­ment, comme LA femme de la vidéo, le fameux syn­drome de la Schtroumfette.

Tu as une struc­ture, des res­sources humaines, de gros moyens. Alors en tant que membres de ta com­mu­nau­té, nous nous per­met­tons cette négo­cia­tion, ou plu­tôt ce plai­doyer. De belles ini­tia­tives sont en train de naître, comme celle de YouTube Creators qui pro­pose la série Elles font YouTube, hos­tée par Alix Grousset. La Squeezindustrie aurait tout à gagner à ne pas avoir de trains de retard et à res­ter dans l’Histoire comme celle qui a par­ti­ci­pé acti­ve­ment à contre­ba­lan­cer cette triste habi­tude, bien ins­tal­lée, de l’entre-soi mas­cu­lin dans les plus grosses pro­duc­tions de Youtube. Let’s go ?

Signataires : Fatima Benomar, mili­tante fémi­niste ; Andrea Bescond, mili­tante fémi­niste ; Camille Giry, comé­dienne, cocréa­trice du conte­nu Camille et Justine ; Olivia Moore, humo­riste ; Muka tat­too artist, tatoueuse.

Squeezos cyberharcelé·es sur le reel ou témoins soli­daires : Océane Timotéo-​Bannis, Marie Iasci, Sarra Schott, Angel Petit, Marie Souvignet, Eugénie, Isshin Photography, Lucas (lin­ge­nium), Mchereau, Laura MA, Isaure de Waal, Noémie Gamot, Helenælisa, Emma Marques, Sab pho­to­graphe, Louane.

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