"Sa façon d'être à moi" : quand la ministre délé­guée à la citoyen­ne­té, Marlène Schiappa, se met à la chicklit'

Bien sûr, il faut savoir ses rêves écou­ter, et si écrire de la lit­té­ra­ture en fait par­tie, ne pas hési­ter à trem­per la plume dans l'inspiration lorsqu'elle sur­git. Mais en publiant, ce 6 octobre, son deuxième roman Sa façon d'être à moi (et pre­mier depuis qu'elle est ministre), Marlène Schiappa a pris le risque de trop en dire. A‑t-​on vrai­ment envie de conclure un pacte de lec­ture avec la ministre délé­guée à la citoyen­ne­té au sujet d'une bluette sen­ti­men­tale entre une mère « céli­bat­tante » et un mec de droite (mais doué de sentiments) ?

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Posons-​le en pré­am­bule : nous ne croyons pas que la lit­té­ra­ture devrait s’obliger à être un outil du poli­tique, du fémi­nisme ou encore moins de la morale. Nous pen­sons par contre que chaque ouvrage, tout roman qu’il soit, situe l’écrivain·e qui le signe. Et Sa façon d’être à moi, que fait paraître ce mer­cre­di Marlène Schiappa, actuelle ministre délé­guée à la citoyen­ne­té et ancienne secré­taire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes, nous a lais­sées per­plexes, tant il dégage de désinvolture.

Le pitch, d’abord. Elsa, l'héroïne de Sa façon d'être à moi a gran­di dans une cité d'Aubervilliers mais arbore fiè­re­ment ses ori­gines corses (Marlène Schiappa prend ici le risque de lais­ser pen­ser que cette Elsa lui res­semble beau­coup). Égérie des mères « céli­bat­tantes », Elsa jongle avec son poste à la com­mu­ni­ca­tion d'une marque de pro­duits de beau­té pré­ten­du­ment bio et le cha­hut de son foyer, où elle prend soin d'une mère qui perd la tête et d'une fille ado­les­cente. Le géni­teur de cette der­nière, mari et père défaillant, s’est ins­tal­lé un an aupa­ra­vant en Australie (!), afin de soi­gner sa crise de la qua­ran­taine et sur­fer. Dans le tableau, il y a aus­si Marvin Martin1 le meilleur ami d’enfance d’Elsa, qui a grim­pé l’échelle sociale pour deve­nir dépu­té de la majo­ri­té. Ayant per­cé en tant que YouTubeur ban­lieu­sard éco­lo et étant à la fois noir ET gay, il incarne une sorte de mas­cotte de la méri­to­cra­tie façon start-​up Nation macro­nienne, parce que c’est NOTRE pro­jet, cou­cou Mounir Mahjoubi. Étrangement, le nom de son par­ti poli­tique, Ordre et pro­grès, sonne comme une pro­messe élec­to­rale dou­teuse des années 30 (c'est aus­si la devise du Brésil), mais pour le reste, la ligne est floue, coin­cée entre une extrême gauche nom­mée « REV » (pour Rouges et Verts) et une extrême droite ras­sem­blée dans un « Parti gau­lois ». Bref, c’est au cœur de cette uchro­nie que sur­vient l’événement : lorsque le lob­byiste de la boîte de cos­mé­tiques – faus­se­ment bio et véri­ta­ble­ment toxiques – est viré pour cause de har­cè­le­ment sexuel, l’intrépide corse va se retrou­ver pro­pul­sée à son poste, en rai­son de son ami­tié avec le dépu­té Marvin Martin, qui pré­pare une loi sur la trans­pa­rence dans la com­po­si­tion des cos­mé­tiques. Elsa va-​t-​elle user de cette ami­tié pour faire adop­ter un amen­de­ment adou­cis­sant les vel­léi­tés de trans­pa­rence du dépu­té et conser­ver ain­si ce nou­veau poste et le salaire qui l’accompagne ? Tanana, suspense.

Eau de rose et crispations

On le voit, ce deuxième roman de l’autrice et pre­mier écrit en tant que ministre brosse les thèmes qui lui sont chers : la conjonc­tion vie per­son­nelle – vie pro­fes­sion­nelle des mères (lorsqu’elle est arri­vée à En Marche !, Schiappa était à la tête d’un réseau d’entraide sur le sujet, Maman tra­vaille), ici de sur­croît céli­ba­taire ; les rouages de la vie poli­tique (le roman trans­pire de sa pas­sion pour le métier de politicien·ne et la chose publique) ; l’écologie ; la beau­té (par­don, c’est méchant, mais on ne se remet pas du lissage-​gate.) et une cer­taine idée du fémi­nisme (nous y revien­drons). Mais tout ceci n’est fina­le­ment qu’un décor pour le véri­table objet de ce roman : une his­toire d’amour. Et c’est là que l’entreprise lit­té­raire de la ministre déraille.

Quoi de gênant, nous diriez-​vous, à ce que Marlène Schiappa ait « volé des heures à la nuit », selon la légende (d’un post Instagram annon­çant la publi­ca­tion) pour rédi­ger une bluette sen­ti­men­tale dans un style romans de gare ? Absolument rien. Gérald Darmanin aurait le droit de s'exercer au tri­cot durant son temps libre s’il le sou­hai­tait. Non, ce qui est cha­grin, c’est de vou­loir être publiée durant son exer­cice du pou­voir, et même pas sous un pseu­do. Pourquoi vou­loir impo­ser aux pauvres citoyen·nes que nous sommes la vision ten­dax de ses fan­tasmes à l’eau de rose ? Car l’amour selon Marlène Schiappa autrice est à la fois gnan­gnan et légè­re­ment cris­pant. Quand elle ren­contre Arthur de Lavallière, jour­na­liste au Figaro de son état, Elsa nous la joue Ariane dans Belle du Seigneur ou prin­cesse Jasmine dans Aladin : l’intriguant repor­ter « de droite » l’insupporte (appa­rem­ment, Elsa se per­çoit comme plu­tôt à gauche, encore un point com­mun avec sa créa­trice !) mais sans pou­voir l’empêcher, la flamme est née (il faut dire qu’il lui récite du Aragon pour l’emballer, on dira ce qu’on vou­dra, mais les mecs de droite, c’est cultivé).

Un deuxième père défaillant

Telle Arletty décla­mant que son cul est inter­na­tio­nal, Elsa déci­de­ra de faire fi des bis­billes poli­tiques avec le repor­ter à par­ti­cule. Oubliés, sou­dai­ne­ment, les opi­nions d’Arthur, qui rédige pour­tant « des papiers anti-​mariage pour tous, anti-​allongement de l’IVG, […], anti-​réfugiés ». Les bai­sers lan­gou­reux (« D’abord dans le cou, puis sur les joues, aux com­mis­sures des lèvres, et enfin sur la bouche, tan­dis que, conquise, je me laisse empor­ter par des émo­tions nou­velles. ») ont vain­cu par K.O. l’idée qu’Arthur était un salaud. Lorsqu’Elsa appren­dra que ce gratte-​papier aris­to a trans­for­mé le châ­teau fami­lial en orphe­li­nat (niveau de cré­di­bi­li­té : ‑15 /​10), elle s’attendrira défi­ni­ti­ve­ment. Sans se rendre compte (ni l’autrice appa­rem­ment) que c’est sacré­ment auda­cieux de la part de cet Arthur que d’y avoir pla­cé… Son propre fils (!!!) sous pré­texte que le gosse a per­du sa mère. Que les cœurs sen­sibles se consolent : « Le petit Jules se rue sur Arthur en criant : "Papa ! T’es là, super ! – Oui, comme tous les week-​ends, champion." »

Avant la nais­sance de cette idylle, Elsa s’offre une aven­ture avec son assis­tant, résu­mée en ces termes : « J’attrape le bout de sa cra­vate frois­sée, l’attire vers moi en la tirant, l’assieds sur la chaise du bureau et m’installe à cali­four­chon sur lui, mes doigts dans ses che­veux, ma langue dans son oreille, ma main sur la boucle de sa cein­ture, et vous avez com­pris la suite, je ne vais pas non plus vous envoyer une copie de la sex­tape. » Puis, ne sou­hai­tant pas remettre le cou­vert, l’héroïne n’aura de cesse de mettre à l’amende le très jeune homme tran­si d’amour, jusqu’à envi­sa­ger de le licen­cier pour s’en débar­ras­ser. Le mes­sage est clair : le fémi­nisme de l’autrice, c’est celui dans lequel il n’est pas grave qu’une femme en posi­tion de pou­voir couche avec son assis­tant puis le jette comme un vul­gaire mou­choir en papier. Celui où une femme en posi­tion de force réitère donc des méca­nismes de domi­na­tion contre plus faible que soi. A‑t-​on vrai­ment envie de lire cela dans une œuvre signée par une ministre en exercice ? 

Mais quel est le message ?

Bien d’autres pas­sages de Sa façon d’être à moi nous aurons sur­prises ou gênées lors de cette lec­ture, mais cet article est déjà assez long comme cela. Reste que celle qui désor­mais s’affiche sur Instagram pre­miè­re­ment comme « roman­cière » et ensuite comme « ministre délé­guée » s’est mise dans une posi­tion inte­nable. Comment être prise au sérieux poli­ti­que­ment sur, par exemple, le har­cè­le­ment sexuel, après avoir écrit : « Mais le lun­di matin venu, impos­sible de repous­ser davan­tage le moment de croi­ser Léo. J’ai enfi­lé une robe grise droite et une veste à car­reaux beige dont le mes­sage lim­pide signi­fie : "Je suis une per­sonne sérieuse, je suis là pour tra­vailler, pas pour me faire lécher la frian­dise par mon assis­tant, même s’il est plu­tôt doué pour un jeune sans expé­rience, mais ce n’est pas le sujet." » Alors comme ça, Marlène Schiappa, il y a des tenues qui envoient des mes­sages sexuels et d’autres pas ? Intenable, on vous dit.

Sa façon d'être à moi, de Marlène Schiappa, éd. Stock, sor­tie le 6 octobre

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