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© Hanna Postova / Unsplash

Les femmes et le por­no – Ep 4/​4 – “Les vidéos ‘bim bam boom dans la chatte’, c’est ter­mi­né” : vers de nou­veaux ima­gi­naires érotiques

Excitation, culpa­bi­li­té, décou­verte de nou­veaux ima­gi­naires éro­tiques… cette semaine Causette plonge dans l’intimité des femmes et leur rap­port à la por­no­gra­phie. Dernier épi­sode de notre série : la recherche d’une por­no­gra­phie alter­na­tive pour en finir avec la sexua­li­té hété­ro­nor­mée véhi­cu­lée par le por­no mains­tream

Lire les autres épisodes : 

Ep 3 – La culpa­bi­li­té – “Je me sens coin­cée entre mes fan­tasmes et mes convic­tions fémi­nistes” 

Ep 2 – Les consé­quences – Ce que le por­no fait à la sexua­li­té des femmes 

Ep 1 – Le tabou – « Une fille qui regarde du por­no, c’est une pute » 

Cela va bien­tôt faire six mois que Suzanne*, 28 ans, n’a pas maté une seule vidéo por­no­gra­phique. Un record pour la jeune femme, qui en consom­mait assez régu­liè­re­ment depuis ses 22 ans. Une réso­lu­tion, sur­tout, prise cet été. Alors qu’elle regar­dait une vidéo de por­no “plu­tôt trash” sur un site gra­tuit, comme à son habi­tude, Suzanne voit sur le petit écran de son télé­phone, un homme se mettre le doigt dans l’urètre. La scène coupe immé­dia­te­ment son exci­ta­tion et Suzanne quitte le site. L’orgasme pas­se­ra au second plan pour cette fois. 

“J’avais pris l’habitude de regar­der des vidéos plu­tôt trash comme des gang bangs, mais après ça, je ne pou­vais plus”, raconte-​t-​elle sans vrai­ment pou­voir expli­quer cette répul­sion. Ce qui est cer­tain en revanche, c’est que cette scène, cou­plée à une prise de conscience de la vio­lence dans l’industrie por­no­gra­phique révé­lée par l’affaire French Bukkake, pro­voque chez elle un élec­tro­choc dans sa façon de consom­mer de la por­no­gra­phie. “Aujourd’hui, je ne me ver­rais plus regar­der ce que je regar­dais avant, avance-​t-​elle, caté­go­rique. Si je regar­dais à nou­veau du por­no, ce ne serait pas le même style. Je pré­fé­re­rais des trucs où je peux m’identifier à la meuf.” Pour Suzanne, “les vidéos ‘bim bam boom dans la chatte’, c’est terminé.” 

Porno éthique, por­no inclu­sif, por­no fémi­niste… Devant la remise en ques­tion de la por­no­gra­phie mains­tream, elles sont nom­breuses, les fémi­nistes de la qua­trième vague comme Suzanne, à cher­cher de plus en plus une por­no­gra­phie alter­na­tive, qui ne serait plus faite par et pour les hommes hété­ro­sexuels, véhi­cu­lant une sexua­li­té hété­ro­nor­mée basée sur la sem­pi­ter­nelle péné­tra­tion. Quelque chose, qui per­met­trait d’allier plai­sir, consen­te­ment des acteur·rices, diver­si­té et inclu­si­vi­té. “Une por­no­gra­phie qui redonne un pou­voir à la femme dans son regard et dans sa manière de faire”, résume ain­si la jour­na­liste et autrice spé­cia­liste des ques­tions de repré­sen­ta­tion des corps et des sexua­li­tés, Stéphanie Estournet. 

Sortir de l’hétéronormativité 

Montrer qu’il existe une alter­na­tive à la por­no­gra­phie mains­tream est deve­nu le cre­do de Carmina. Celle qui est à la fois pro­duc­trice, réa­li­sa­trice, per­for­meuse, fon­da­trice du stu­dio de pro­duc­tion Carré Rose films et rédac­trice en chef du site Le Tag par­fait marche depuis sept ans dans les pas de la Suédoise Erika Lust et des Françaises Olympe de G ou Ovidie, pion­nières du por­no alter­na­tif. “Ça a com­plè­te­ment chan­gé ma vie, raconte Carmina à Causette. On essaie de sor­tir de l’hétérosexualité, de l’hétéronormativité sur­tout, en mon­trant des corps, des sexua­li­tés et des iden­ti­tés de genre variées tout en res­pec­tant les gens der­rière et devant la caméra.” 

Mais le por­no alter­na­tif a un coût. Depuis son pre­mier long métrage en 2017, Carmina en a réa­li­sé une dizaine, acces­sibles uni­que­ment sur sa pla­te­forme avec un abon­ne­ment men­suel de 12,95 euros. À l’inverse des tubes gra­tuits, qui brassent chaque année des mil­liards de dol­lars, la majo­ri­té des pla­te­formes de por­no alter­na­tif sont payantes. “C’est le seul moyen pour qu’on puisse conti­nuer à pro­duire”, affirme Carmina. 

Payer pour regarder ? 

Les femmes sont-​elles prêtes pour autant à payer pour consom­mer du por­no ? “Au début, j’avais un public très mas­cu­lin parce que je viens du milieu de la web­cam et que ce public est très mas­cu­lin, mais j’ai de plus en plus de femmes, de per­sonnes queer et de per­sonnes non binaires qui regardent mes films”, indique-​t-​elle, sans avoir de chiffres sous la main. La réa­li­sa­trice recon­naît tou­te­fois que les hommes sont davan­tage prêts à payer pour consom­mer. “Les femmes hésitent encore à payer pour ce genre de ser­vice, avance-​t-​elle. Elles pensent sou­vent que c’est mal de payer pour du por­no et que le tra­vail du sexe est une forme d’exploitation.” 

Payer pour mater du por­no, c’est pour­tant l’objectif que s’est fixé Lisa, 33 ans, cette année. “Je ne gagne pas très bien ma vie, mais j’ai vrai­ment envie de finan­cer des gens, sur­tout des femmes, qui font un réel tra­vail sur le bien-​être des acteurs”, avance la jeune femme qui sou­haite aus­si se défaire du por­no mains­tream. Elle a essayé pour cela l’audioporn, sans vrai­ment de suc­cès jusqu’à pré­sent. “J’ai trou­vé ça pas mal, mais je ne retrouve pas l’effet visuel de la vidéo, je ne l’associe pas encore à un truc hyper exci­tant”, explique-​t-​elle. 

Enlever l’image, gar­der le son 

Lucie Groussin, sexo­logue fémi­niste, reçoit dans son cabi­net des jeunes femmes comme Suzanne et Lisa qui sou­haitent sor­tir de la por­no­gra­phie mains­tream. Elle leur conseille tou­jours d’y aller pro­gres­si­ve­ment. “On peut com­men­cer à regar­der une vidéo puis arrê­ter et ne pas attendre d’arriver jusqu’à la jouis­sance, explique-​t-​elle à Causette. On peut aus­si essayer de s’en pas­ser en allant vers d’autres sup­ports, comme l’audioporn.” C’est le cas de Lucie*, 28 ans, qui s’est mise à l’audioporn en décou­vrant le pod­cast éro­tique Voxxx il y a trois ans. Créé en 2018 par Lélé O, Antoine Bertin et Olympe de G, Voxxx est la pre­mière pla­te­forme daudio­porn fran­çaise toute dédiée “aux cli­tos audio­philes”. Le pod­cast – qui pos­sède main­te­nant son pen­dant mas­cu­lin avec Coxxx – n’est désor­mais plus le seul à chu­cho­ter du sexe à nos oreilles. Le Son du désir, Le Verrou, Chambre 206… Il émerge depuis quelques années des ini­tia­tives sou­vent por­tées par des femmes, pour des femmes. La majo­ri­té d’entre elles fonc­tionnent aujourd’hui sur un modèle payant, par abon­ne­ment, preuve de la dif­fi­cul­té de coha­bi­ter face aux mas­to­dontes du Web. 

Au menu de ces nou­veaux médiums éro­tiques ? Des mini-​scénarios susur­rés au micro, des fan­tasmes fan­tasques ou réa­listes et sur­tout, sur­tout, un ima­gi­naire qui ne repose plus sur une sexua­li­té péné­tra­tive. La pla­te­forme alle­mande Femtasy pro­pose même, pour une dizaine d’euros par mois, une sélec­tion per­son­na­li­sée. Sans oublier le petit nou­veau, Boxxx, qui per­met de créer son propre audio. C’est cette diver­si­té qui a séduit Lucie, qui, à la dif­fé­rence de Suzanne ou de Lisa, n’avait jamais vrai­ment regar­dé du por­no aupa­ra­vant. “Au maxi­mum trente fois”, précise-​t-​elle à Causette. “Je n’ai jamais eu besoin de sti­mu­li visuels pour me mas­tur­ber, mais depuis que je tra­vaille, mon ima­gi­naire est moins sol­li­ci­té, je n’ai plus trop le temps de fan­tas­mer comme avant, explique-​t-​elle à Causette. Le pod­cast, ça me donne des ima­gi­naires éro­tiques aux­quels je n’aurais pas for­cé­ment pen­sé. C’est moins stan­dar­di­sé que le por­no mains­tream et le mes­sage enga­gé me plaît aus­si.” Elle cite par exemple un épi­sode de Voxxx dans lequel un homme ren­contre une jeune femme dans une manif féministe.

Lire aus­si I Les nou­velles sexploratrices 

Selon Les Échos, qui s’est pen­ché sur le busi­ness des pod­casts éro­tiques, 90 % des abonné·es étaient des femmes en 2022, avec une majo­ri­té de ving­te­naires et de tren­te­naires. Un constat qui pose alors une ques­tion : à l’image de Lucie, les femmes seraient-​elles plus sen­sibles à l’audio ? C’est une théo­rie notam­ment avan­cée par Clémentine Monperrus, cofon­da­trice de l’application audio éro­tique, Blindher. Selon elle, les femmes auraient moins besoin de repré­sen­ta­tions visuelles que les hommes. Une “repré­sen­ta­tion gen­rée”, juge Stéphanie Estournet. “Ça vient culpa­bi­li­ser les femmes qui regardent et qui aiment la vidéo”, dénonce-​t-​elle auprès de Causette tout en consta­tant quand même une crois­sance cer­taine et régu­lière de la consom­ma­tion de por­no audio chez les femmes.

L’audioporn peut être consi­dé­ré comme plus légi­time pour les femmes, car on s’expose moins à l’image de la putain, avance la jour­na­liste. C’est moins enga­geant d’écouter un pod­cast que de regar­der une vidéo sur un site. Mais si on avait mon­tré du beau por­no aux femmes, elles regar­de­raient du beau por­no.” C’est d’ailleurs parce qu’elle était bla­sée par le por­no “tra­di” que Stéphanie Estournet a fon­dé CTRL‑X en 2017, un site qui pro­pose des lec­tures éro­tiques et por­no­gra­phiques. “Du por­no sur des tubes, j’en ai consom­mé comme tout le monde et puis, à un moment, ça m’a gon­flé, j’ai eu envie d’autre chose, lâche Stéphanie Estournet à Causette. J’avais envie de mon­trer qu’il est pos­sible de faire quelque chose de beau et de pluriel.”

Prendre son pied

Selon sa cofon­da­trice, l’auditoire de CTRL‑X serait tout autant mas­cu­lin que fémi­nin. Et tout comme le por­no acces­sible sur les tubes est tabou pour les femmes, l’audioporn serait tabou pour les hommes. “Les mecs ont moins ten­dance à le dire, à l’assumer ouver­te­ment ”, observe-​t-​elle. Stéphanie Estournet a aujourd’hui une col­lec­tion chez Voxxx qui s’adresse aux femmes plus âgées. “Des femmes qui ont eu une pre­mière vie mari­tale, amou­reuse, un peu longue et veulent désor­mais reprendre leur pied et sur­tout se renou­ve­ler”, précise-​t-​elle. 

“Prendre son pied”. À l’heure de dres­ser un petit bilan de ces quatre épi­sodes qui nous ont fait voya­ger dans les arcanes du por­no, n’est-ce fina­le­ment pas là l’essentiel ? Qu’il fasse fris­son­ner nos oreilles ou passe par nos rétines, qu’il soit alter­na­tif, fémi­niste ou même mains­tream, qu’il soit l’occasion de réflé­chir sur l’hétéronormativité et nous fasse repen­ser nos dési­rs ou nous per­mette au contraire de les décou­vrir : le por­no et sa consom­ma­tion relèvent du choix de chacun·e.

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