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Photo : Engin Akyurt / Unsplash

Que sont les “pro­cé­dures bâillons” et pour­quoi les fémi­nistes appellent à légi­fé­rer contre elles ?

“Cela doit ces­ser” : en France, asso­cia­tions et mili­tantes fémi­nistes appellent à légi­fé­rer contre les “pro­cé­dures bâillons” dans les cas d’accusations de vio­lences sexuelles, poin­tant notam­ment la double peine morale et finan­cière pour les victimes.

Théorisée dans les années 1970 aux États-​Unis, la notion de “pro­cé­dures bâillons”, connues sous l’acronyme anglais “Slapp” pour “Strategic law­suits against public par­ti­ci­pa­tion”, s’applique aux pro­cé­dures judi­ciaires inten­tées contre des jour­na­listes, des asso­cia­tions ou des militant·es. “Sans fon­de­ment réel, ces pro­cé­dures visent prin­ci­pa­le­ment à inti­mi­der et limi­ter la liber­té d’expression en impli­quant les défen­deurs dans un conten­tieux long et coû­teux”, indique le Sénat dans une étude publiée en jan­vier 2023.

À l’origine, ces pro­cé­dures concernent essen­tiel­le­ment des orga­ni­sa­tions de défense de l’environnement atta­quées par des entre­prises pour dif­fa­ma­tion ou déni­gre­ment, avant de s’élargir à d’autres enjeux et d’autres acteur·rices.

Après la vague #MeToo, le terme réap­pa­raît dans le dis­cours de mili­tantes fémi­nistes. En
France, il res­sur­git lors de l’affaire PPDA. L’ex-présentateur du jour­nal télé­vi­sé.
Patrick Poivre d’Arvor, qui conteste les nom­breuses accu­sa­tions de vio­lences sexuelles
por­tées contre lui, a dépo­sé plainte pour dénon­cia­tion calom­nieuse contre une dizaine de
plai­gnantes.

Des vic­times sur le banc des accusé·es

“Il y a tou­jours la volon­té pour le pré­su­mé agres­seur de se poser en vic­time et de faire oublier qui est la véri­table vic­time”, relève Amy Bah, du col­lec­tif fémi­niste #NousToutes. Un com­por­te­ment très clas­sique [auquel s’ajoute] une volon­té de cas­ser le mou­ve­ment #Metoo, faire taire les femmes, les fémi­nistes, les vic­times elles-​mêmes.” Pour les asso­cia­tions et les vic­times de ces pro­cé­dures, il est “urgent d’adopter des mesures légis­la­tives pour rendre ces pro­cé­dures dif­fi­ciles, voire impos­sibles”, afin de “pro­té­ger les femmes vic­times de vio­lences sexuelles, les fémi­nistes qui les sou­tiennent” et “tous les lan­ceurs et lan­ceuses d’alerte qui ont besoin d’une pro­tec­tion ren­for­cée”, estime un col­lec­tif dans une récente tri­bune dans Libération.

Les pro­cé­dures baillons inquiètent dans la mesure où elles peuvent inci­ter les vic­times à gar­der les vio­lences subies sous silence. “On ne peut pas deman­der aux femmes de ‘libé­rer leur parole’ et en même temps les atta­quer en jus­tice quand elles osent dénon­cer des vio­lences”, dénonce ain­si la Fédération natio­nale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF). Amy Bah ajoute que “les pro­cé­dures bâillons sont une charge men­tale et une charge finan­cière pour les fémi­nistes”.

Lire aus­si l Affaire Christophe Girard : au pro­cès, les militant·es fémi­nistes dénoncent une pro­cé­dure bâillon, l’ex-adjoint à la Mairie de Paris nie tou­jours avoir eu connais­sance du “sys­tème Matzneff”

Qu’en disent les professionnel·les du droit ?

Pour la secré­taire géné­rale du Syndicat de la magis­tra­ture, Nelly Bertrand, il y a “une vraie
néces­si­té de lut­ter
” contre ces pro­cé­dures : “Car même si elles abou­tissent in fine à une relaxe, elles peuvent avoir de vraies consé­quences pour celles et ceux qui la subissent, du fait du carac­tère infa­mant de com­pa­raître devant le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel et des frais enga­gés pour la défense.Toutefois, “l’accès au juge doit être garan­ti” à tous et toutes, ajoute-t-elle.

Une magis­trate spé­cia­li­sée en droit de la presse estime, quant à elle, que les plaintes dépo­sées dans le cadre de #MeToo, si elles sont clai­re­ment en aug­men­ta­tion, ne se carac­té­risent pas néces­sai­re­ment par le terme de “pro­cé­dure bâillon”, qui a une dimen­sion “sys­té­ma­tique”, “mas­sive”, “d’épuisement de l’adversaire”. Pour autant, il fau­drait faci­li­ter au pénal l’indemnisation des frais de la défense pour une per­sonne pour­sui­vie pour dif­fa­ma­tion et relaxée, sou­lignent les deux professionnelles.

Aussi pro­blé­ma­tiques soient-​elles, les pro­cé­dures bâillons per­mettent “aux vic­times et aux
femmes qui dénoncent de s’exprimer et de pou­voir sus­ci­ter un débat de fond
”, relève l’avocat spé­cia­li­sé en droit de la presse Christophe Bigot, citant l’affaire Baupin, accu­sé d’agressions et de har­cè­le­ment sexuels. Les faits ont été pres­crits et l’affaire clas­sée sans suite, mais le pro­cès en dif­fa­ma­tion en 2019 que l’ancien dépu­té de Paris avait inten­té s’était retour­né contre lui, sous l’avalanche de témoi­gnages. L’affaire avait débou­ché sur sa condam­na­tion pour pro­cé­dure abusive.

Pour l’heure, des légis­la­tions enca­drant les plaintes abu­sives pour dif­fa­ma­tion existent déjà à l’étranger, notam­ment en Australie ou au Canada. Aux États-​Unis, des légis­la­tions dites “anti-​Slapp” sont en vigueur dans une tren­taine d’États et per­mettent de reje­ter sur demande ce qui appa­raî­trait comme étant une pro­cé­dure bâillon. Au sein de l’Union euro­péenne, une direc­tive des­ti­née à pro­té­ger jour­na­listes et défenseur·eures des droits contre les “pour­suites bâillons” a été approu­vée fin février, un texte qui concerne les pour­suites en matière civile et ayant un carac­tère transfrontalier.

Lire aus­si l Violences sexuelles : quand les pro­cé­dures bâillons se retournent contre leurs instigateurs

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