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Premier jour du procès de six militant·es féministes au tribunal correctionnel de Paris. Au premier plan, de gauche à droite, Raphaëlle Rémy-Leleu, Céline Piques et Alix Béranger. Tout à droite, Morgan Jasienski. ©AT

Affaire Christophe Girard : au pro­cès, les militant·es fémi­nistes dénoncent une pro­cé­dure bâillon, l’ex-adjoint à la Mairie de Paris nie tou­jours avoir eu connais­sance du “sys­tème Matzneff”

Le procès pour diffamation et injure publique à l’encontre de six militant·es féministes parmi lesquel·les les élues écologistes Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu, s’est ouvert jeudi 14 mars au tribunal correctionnel de Paris. Les prévenu·es ont dénoncé une procédure-bâillon visant à épuiser et à étouffer les voix des militant·es qui ont dénoncé les liens entre Christophe Girard, ex-adjoint à la culture à la Mairie de Paris, et l’écrivain accusé de pédocriminalité Gabriel Matzneff en juillet 2020. Reportage. 

L’air semble chargé d’électricité ce jeudi 14 mars aux abords du tribunal correctionnel de Paris. Porte de Clichy, dans le 17e arrondissement, il n’est pas encore 13 heures qu’un petit groupe s’agite déjà devant le bâtiment de verre à l’allure de paquebot. Une dizaine de femmes et quelques hommes sont venu·es soutenir les six prévenu·es qui comparaissent pour “diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public” et “injure publique envers un citoyen chargé d’un mandat public”. 

Sur le banc des prévenu·es, les deux élues écologistes à la mairie de Paris, Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu ; la trésorière d’Osez le féminisme, Céline Piques ; la journaliste Coline Clavaud-Mégevand ; la psychologue clinicienne et membre du collectif la Barbe, Alix Béranger ; et le militant écologiste Morgan Jasienski. Face à elles et lui, sur le banc des parties civiles, Christophe Girard, ex-adjoint à la culture à la Mairie de Paris. 

Devant les portes du tribunal, les soutiens – dont une bonne partie de militant·es féministes, reconnaissables à leur foulard, gilet ou bonnet violet – se rassemblent pour prendre une photo avant l’audience. Quatre des six prévenu·es sont là. Si les poings sont levés, les visages sont tendus. Le plaignant, lui, serait déjà dans la salle d’audience, nous dit-on sur place. 

“Pas d’adjoint à la culture du viol” 

L’homme de 68 ans, qui fut adjoint à la culture de la mairie de Paris pendant vingt ans avant de démissionner en juillet 2020, espère bien obtenir réparation devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal. Quatre ans plus tôt, en juillet 2020, ces six militant·es féministes, avaient publiquement dénoncé ses liens privilégiés et son soutien de longue date à l’écrivain accusé de pédocriminalité Gabriel Matzneff. Il et elles avaient demandé, à ce titre, la démission de Christophe Girard, alors fraîchement renommé à la culture à la suite de la réélection d’Anne Hidalgo. En réponse, la maire socialiste avait soutenu publiquement son adjoint, le présentant même comme “la victime d’un déversement de haine et de violence inacceptable”. 

La polémique enfle alors et Christophe Girard a beau jurer n’avoir découvert les crimes pédocriminels de Matzneff qu’à sa lecture du Consentement, de Vanessa Springora, publié chez Grasset quelques mois plus tôt, le socialiste finit par démissionner brusquement le 23 juillet, quelques heures à peine après une manifestation féministe devant l’Hôtel de Ville réclamant cette démission. Sur les pancartes ce jour-là : “Pas d’adjoint à la culture du viol” ou encore “Paris, ville du déni”

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Mais l’histoire ne s’arrête pas à la démission de l’adjoint. Un mois plus tard, le 28 août 2020, Christophe Girard dégaine la carte “plainte en diffamation et injure publique”. En cause ? Une série de tweets postés ou juste relayés sur X (alors Twitter) entre le 19 et le 24 juillet 2020 par les six militant·es, dans la foulée des enquêtes publiées par le New York Times et Mediapart qui révélaient ses liens avec Gabriel Matzneff. Faits pour lesquels tous·toutes les protagonistes se trouvent réuni·es aujourd'hui devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Pour diffamation, il et elles risquent une amende pouvant aller jusqu’a 45 000 euros, ainsi que le versement de dommages et intérêts à l’encontre du plaignant. Pour injure publique, une amende de 12 000 euros.

Procédure longue et éprouvante

Bientôt quatre ans se sont écoulés depuis le dépôt de plainte de Christophe Girard. Quatre années d’une procédure longue et éprouvante pour les six militant·es féministes prévenu·es aujourd’hui. “Ça a été très long et très dur, beaucoup de temps, d’argent et d’énergie”, témoigne ainsi Alix Béranger auprès de Causette, en s’engouffrant dans le tribunal. Pour elle, c’est aujourd’hui un “mélange de stress et de détermination”. Comme ses camarades, c’est la première fois qu’elle se retrouve sur le banc des prévenu·es. 

La salle d’audience est comble. Plusieurs militant·es féministes ne pourront pas assister aux débats. Mina*, elle, a réussi à se faufiler. “Je suis venue les soutenir, car c’est hallucinant de faire le procès de militantes qui dénoncent des hommes qui soutiennent des pédocriminels”, confiait-elle à Causette quelques instants plus tôt devant le tribunal. Christophe Girard, de son côté, est bien là. Assis au premier rang, il porte des lunettes rondes et un costume sombre. L’air détendu. Derrière lui, une rangée de proches venu·es le soutenir.  

Faits reprochés

La présidente énonce les faits reprochés. Parmi ces tweets : “L’honneur du conseil de Paris, c’est Alice Coffin et les militantes qui se sont insurgées contre la présence de Christophe Girard. À chaque personne qui a applaudi ce soutien d’un pédocriminel notoire, vous êtes la honte de nos institutions”, signé Coline Clavaud-Mégevand. Un message posté suite à la standing ovation initiée par le préfet de police de l’époque, Didier Lallement, lors du conseil de Paris le 24 juillet au lendemain de la démission de Christophe Girard. Il y a aussi le tweet d’Alix Béranger : “Mairie de Paris : pas d’adjoint à la culture du viol.” Ou d’autres encore reprenant des pancartes de la manifestation du 23 juillet devant l’Hôtel de Ville, comme “Girard à la culture ? HLM, prix, pensions, honneur pour les pédos” ou “Mairie de Paris : bienvenue à Pedoland”. 

À l’écoute des faits, Christophe Girard réagit régulièrement, secouant la tête de haut en bas. Pour son avocate aussi, Me Delphine Meillet, cela ne fait aucun doute : ces messages visent et attaquent personnellement son client, l’assimilant à un complice de pédocriminalité, et tombent de fait sous le coup de l’injure publique et de la diffamation. Pour les avocat·es de la défense, en revanche, le fondement de cette plainte est bien mince, certain·es des prévenu·es comme Alice Coffin, ayant seulement partagé ces messages. 

Culture du viol

Tour à tour, les prévenu·es se sont expliqué·es sur la forme et le contexte de ces messages. “La pancarte n’est pas une injure contre Christophe Girard, affirme par exemple Alix Béranger, poursuivie pour avoir posté le slogan ‘Mairie de Paris : pas d’adjoint à la culture du viol’. Elle veut dire : ‘Nommer une personne qui a des liens avec Matzneff à un poste important, c’est contribuer à la culture du viol’.” “Je voulais interpeller la mairie de Paris car je considère que la mairie de Paris devait tenir compte du contexte”, poursuit-elle.

En filigrane du procès, il y a donc les liens entre Christophe Girard et Gabriel Matzneff. À plusieurs reprises, Me Meillet demande d’ailleurs aux prévenu·es de s’expliquer sur ces liens supposés et de les préciser. Pour les comprendre et saisir le contexte de l’affaire, il faut en réalité remonter quelques mois plus tôt. 

Retour en mars 2020

Mars 2020, donc. Christophe Girard est alors convoqué comme témoin pour une audition, dans les locaux de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) de Nanterre, dans le cadre de l’enquête ouverte pour "viols commis sur mineurs de moins de quinze ans" à l’encontre de l’écrivain Gabriel Matzneff. Une enquête déclenchée par la publication, quelques mois plus tôt, du livre de Vanessa Springora. Les enquêteurs cherchent alors à établir les complicités ou les appuis financiers dont aurait pu bénéficier l’écrivain. 

Des liens avec Matzneff, Girard en aurait. Les deux hommes se sont côtoyés dès les années 1980, lorsque le premier était un écrivain notoire et le second un proche collaborateur du couturier Yves Saint Laurent. Selon Mediapart, c’est Christophe Girard qui se serait arrangé pour que la Fondation Yves Saint Laurent prenne en charge les notes d’hôtel lorsque Gabriel Matzneff invitait Vanessa Springora au Taranne, luxueux 4-étoiles à deux pas du jardin du Luxembourg. C’est aussi à Christophe Girard que Gabriel Matzneff dédicace son livre, La Prunelle de mes yeux (1993), qu’il consacre à Vanessa Springora. Et c’est encore Christophe Girard qui aurait poussé pour que l’écrivain obtienne une allocation annuelle à vie du Centre national du livre (CNL).  

Si, dans le cadre de la loi, aucune charge n’a été retenue à l’encontre de Christophe Girard, une enquête de Mediapart publiée le 28 juillet soulève des interrogations sur les motivations réelles de la démission de l’adjoint. En effet, le média d’investigation en ligne révèle que les services de la Ville de Paris ont découvert les 22 et 23 juillet – soit la veille et le jour même de sa démission – trois notes de frais, réglées par la Ville, de repas partagés entre 2016 et 2019 par l’élu et Gabriel Matzneff.

Porter ses convictions

La polémique enfle d’autant plus lorsque Christophe Girard se retrouve lui-même impliqué dans une affaire de violences sexuelles. En août 2020, un mois après la manifestation féministe exigeant la démission de Christophe Girard, Aniss Hmaïd, accuse de dernier, dans le New York Times, de l’avoir sexuellement abusé quand il avait 16 ans. Comme les mots de Vannessa Springora couchés dans Le Consentement, il décrit l’emprise physique et émotionnelle d’un homme plus âgé, qui lui faisait découvrir le monde de la culture. Les faits reprochés –- toujours niés par Christophe Girard – étant prescrits, l’enquête a été classée sans suite. 

Retour à la barre du tribunal correctionnel de Paris où Raphaëlle Rémy-Leleu doit-elle aussi s’expliquer sur son tweet. Le 23 juillet, l’élue écologiste a tweeté “Nous sommes fortes, fières et féministes et radicales et en colère”, avec une photo de la manifestation qui avait lieu le même jour. Elle explique qu’il s’agit d’un air féministe bien connu souvent chanté en manif et se met à l’entonner dans la salle d’audience. Elle poursuit : “Pour la première fois, on nous a demandé de venir en politique parce qu’on était des militantes féministes, et puis on nous dit : “Merci de garder vos pancartes, vos chants et vos convictions en dehors de la mairie.” Je cherchais à dénoncer cela. À dire que nous étions dans l’institution et que nous allions continuer à porter nos convictions.”

Lire aussi : Raphaëlle Rémy-Leleu : « J’aimerais que l’affaire Girard permette de reconnaître enfin l’expertise féministe »

Tour à tour, Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu expliquent à la présidente du tribunal avoir essayé pendant des semaines d’alerter Anne Hidalgo sur la nomination de Christophe Girard à la culture. En vain. “ Dans ces moment-là, quand on est passé par tous les moyens possibles et qu’on n’est pas entendues surgit l’activisme”, explique Alice Coffin. Pour les deux élues parisiennes, comme pour les autres prévenu·es, les liens entre Girard et Matzneff sont très clairs : le premier ne pouvait pas méconnaître la pédocriminalité du second. Raphaëlle Rémy-Leleu cite par exemple les propos de la journaliste Denise Bombardier sur le plateau d’Apostrophe en 1990 : “‘Matzneff attirait les enfants avec sa réputation’, dit-elle. Je pense qu’une intelligentsia parisienne, dont faisait partie Christophe Girard, a participé à cette réputation. C’est inacceptable.” Pour elle, ce rassemblement était l’occasion de dire que la présence de Christophe Girard dans l’exécutif parisien mettait à mal les valeurs politiques et l’image de la mairie. 

“Ironie”

Aucun·es des prévenu·es ne cache son inquiétude d’être jugé·e aujourd’hui pour avoir dénoncé ces liens. “Je ne prends pas ce procès à la légère, déclare ainsi Alix Béranger. C’est ubuesque de devoir me défendre d’une liberté d’expression que je pense avoir utilisé à bon escient, à juste titre et dans des circonstances raisonnables.” De son côté, Coline Clavaud-Mégevand trouve qu’il y a “une forme d’ironie de travailler sur les violences sexistes et sexuelles, d’écouter des victimes et de se retrouver accusée pour avoir porté [ses] convictions”. Elle raconte aussi, avec beaucoup d’émotion, l’impact et l’explosion que fut pour elle la mise en examen. Quant à Alice Coffin, elle indique avoir reçu des menaces de morts, de viols et un torrent d’insultes. À l’été 2020, son adresse ayant circulé sur les réseaux sociaux, son domicile avait dû être mis sous surveillance policière. Elle avait déposé des plaintes “qui n’ont, elles, jamais abouti”, précisait-t-elle dans une vidéo postée le 10 mars dernier sur ses réseaux sociaux. 

Rendre difficile les procédures-bâillons

Les avocat·es de la défense ont prévu de plaider la “procédure bâillon”, du nom de ces plainte en diffamation visant à épuiser et à silencier une action politique ou militante. “Ces longues procédures visent à faire perdre du temps aux militantes féministes et les décourager à recommencer”, condamne ainsi Alice Coffin à la barre. Lundi, une tribune publiée dans Libération et signée par un collectif de femmes poursuivies en diffamation demandait d’ailleurs l’adoption de mesures législatives pour rendre difficiles, voire impossibles, ces procédures. 

En début de soirée, Christophe Girard s’est avancé à la barre. Il a d’abord égrené la longue liste de ses engagements et combats associatifs, de la lutte contre le sida dans les années 1980 à, plus récemment, la mobilisation en faveur du mariage pour tous et toutes. Il évoque aussi, avec des lamentations dans la voix, son statut de père et de grand-père. S’il pense que certain·es des militant·es sont “de bonne foi”, il en veut à Alice Coffin et à Raphaëlle Rémy-Leleu de ne pas avoir demandé à le voir personnellement pour lui demander de démissionner. 

Indignation 

Devant la présidente de la 17e chambre, il a également tenu à s’expliquer sur ses liens avec Gabriel Matzneff. D'après lui, il n’a jamais soutenu l’écrivain et affirme avoir découvert la pédocriminalité de ce dernier, “le système Matzneff”, à la lecture du Consentement, assurant que l’homme “n’avait jamais parlé de sa vie sexuelle avec [lui]”. “Je découvre que Vanessa Springora était la maîtresse de Gabriel Matzneff, lance-t-il sans ciller, provoquant l'indignation dans les rangs de la défense. Je suis scandalisé que les parents aient laissé Vanessa Springora aller dormir tous les soirs avec lui.”

À la barre, il a exprimé des regrets. Ceux “de ne pas avoir eu la vigilance qu’il aurait fallu avoir”, précisant que “personne ne l’a eue”. Il raconte aussi que sa vie a été “très abîmée” par cette affaire. “Porter plainte n’a pas été une partie de plaisir, mais ce que je voudrais, c’est qu’elle puisse faire réfléchir à ce qui est utile pour la cause et ce qui détruit quelqu’un."

À la sortie de l’audience, après sept heures de débats, les visages sont fatigués. “Je suis sidérée et choquée, je crois, souffle Raphaëlle Rémy-Leleu à Causette. C’est extrêmement brutal. La dernière fois que j’étais dans ce tribunal, c’est lorsque j’attendais la condamnation de mon ex parce qu’il avait essayé de me tuer. Je ne pensais pas  me retrouver ensuite au même endroit, mais cette fois, sur le banc des prévenus pour avoir défendu mes convictions féministes.” Le procès des six militant·es féministes s’achèvera ce vendredi 15 mars. Le jugement sera ensuite mis en délibéré par le tribunal de Paris. 

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