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© Marie Rouge

Hanna Assouline, la paix en étendard

Sept mois qu’Hanna Assouline, fondatrice des Guerrières de la paix, porte sans relâche et d’une seule voix celles des militantes féministes israéliennes et palestiniennes et s’attache à construire des espaces de dialogues apaisés entre les communautés loin de la mise en opposition des mémoires et des souffrances. Elle raconte son combat dans un livre : Guerrière de la paix, juifs et musulmans, quand les femmes engagent le dialogue.

Le matin du 7 octobre 2023, une chape de plomb s’est abattue sur Hanna Assouline et pendant un long moment, le temps s’est comme suspendu. Quelques heures auparavant, la documentariste, fondatrice du mouvement féministe des Guerrières de la paix, se trouvait en Israël avec d’autres militantes pour soutenir les femmes palestiniennes et israéliennes à l’occasion d’une grande marche pour la paix.

À Jérusalem, elle a écouté la voix de celles qui ne rêvent que d’une seule chose depuis des années : une paix juste et durable. Aux abords de la mer Morte, la jeune femme de 34 ans a marché avec une délégation des Guerrières de la paix, aux côtés des membres de l’association féministe pacifiste israélienne, Women Wage Peace et son pendant palestinien, Women of the Sun. Un moment d’union, de sororité et de puissance, se souvient-elle, ce lundi 13 mai, auprès de Causette. Un moment de gravité également. “Il y avait cette joie d’être ensemble mais aussi cette urgence d’agir, car elles savent que leur destin et celui des leurs sont liés de manière très concrète à ce conflit, raconte-t-elle. Quand elles parlaient de paix, ce n’était pas un vœu pieux.” 

L’Histoire a finalement donné raison à ces craintes. Le matin du 7 octobre, l’effroi la réveille chez elle à Paris, les valises fermées traînant encore dans l’entrée de l’appartement. À l’aube, des membres du Hamas ont franchi la frontière entre la bande de Gaza et Israël et ont tué plus de 1200 personnes. L’effroi, puis l’interminable attente des nouvelles de la famille, des proches et des militantes vivant sur place. Hanna Assouline apprendra le lendemain que deux membres de sa belle-famille font partie des victimes. Des semaines plus tard, des traces ADN confirmeront que Vivian Silver, une militante israélienne de Women Wage Peace de la première heure, a été tuée dans l’abri de sa maison. Elle aussi marchait pour la paix avec Hanna Assouline quelques jours avant l’attaque. 

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“Après ça, je me souviens avoir passé des soirées avec des amis à nous demander ‘est-ce qu’un jour la vie redeviendra légère ?’” confie-t-elle. Avec le temps, la vie a repris son cours, estompant petit à petit la douleur. Mais la chape de plomb, elle, est toujours là, reprend-elle, plus ou moins lourde selon les embrasements et les soubresauts du conflit. Le deuil s’est même décuplé à mesure que la guerre a ouvert un fossé de souffrances, de morts et de destruction. En représailles à l’attaque du Hamas, le gouvernement israélien a effectivement lancé une lourde offensive militaire sur la bande de Gaza.

Aujourd’hui, alors qu’un accord de trêve vient d’être retoqué par le gouvernement de Netanyahou, les bombardements intensifs de l’armée israélienne se poursuivent et ont fait 35 000 mort·es, selon le ministère de la Santé de Gaza (un peu moins de 25 000 victimes ont été formellement identifiées par l’ONU). Et la situation humanitaire dans l’enclave palestinienne, déjà extrêmement grave avant la reprise du conflit, se détériore de jour en jour. 

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En France, la situation a fracturé la gauche et le mouvement féministe. C’est dans ce tumulte, où tout le monde, selon Hanna Assouline, semble être sommé de choisir son camp, qu’elle s’attache à faire entendre une autre voix dans les médias et les manifestations. Un engagement loin d’être inédit. Elle porte, avec les Guerrières de la paix, des idéaux qu’elle a chevillés au corps depuis le lancement de son mouvement en 2022 : le dialogue et la réconciliation entre les communautés, loin de la mise en opposition des mémoires et des souffrances.

Depuis le 7 octobre, le mouvement a organisé plusieurs rassemblements pacifistes et une rencontre entre des militantes de Women Wage Peace et Women of the Sun à l’Assemblée nationale. Hanna Assouline vient aussi de signer un livre, Guerrière de la paix, juifs et musulmans, quand les femmes engagent le dialogue, aux éditions du Seuil, dans lequel elle partage justement son combat et son engagement. Un engagement collectif d'ailleurs, lorsqu'Hanna Assouline parle de son activisme, elle le fait presque à chaque fois au nom des Guerrières de la paix.

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Car en réalité, l’engagement pacifiste d’Hanna Assouline et son désir de faire front commun a tout d’un héritage familial. La jeune femme a grandi en France dans une famille juive séfarade, très ancrée à gauche. Une mère journaliste née en Algérie avant l’indépendance qui chante des chansons yiddish et un père professeur d’histoire né dans un petit village berbère du Moyen-Atlas marocain. Militant·es trotskistes antiracistes, ses parents se sont rencontré·es en 1980 en manifestant contre la loi Bonnet, qui a notamment durci les conditions d’entrées des immigré·es sur le territoire français. “Mes premières manifestations, je les ai faites sur les épaules de mon père, où je scandais gaiement ‘Première, deuxième, troisième générations, nous sommes tous des enfants d’immigrés’”, raconte-t-elle dans son livre. 

Son quartier a toujours été le 20e arrondissement de Paris, un “arrondissement cosmopolite et multiculturel”, où ses parents lui lèguent “un judaïsme joyeux, lumineux et engagé, tourné vers les autres” qu’elle s’attache à transmettre désormais à ses deux jeunes enfants. “Une réponse de vie à la destruction, comme une forme de renaissance”, confie-t-elle. Si sa famille n’a pas été touchée par l’extermination des juif·ves par les nazis, la mémoire de la Shoah s’est rapidement frayée un chemin dans son histoire. Le jour de la commémoration des cent ans de son école primaire, elle découvre dans un cahier où figurent les prénoms des enfants juif·ves déporté·es de l’école celui d’une petite Hanna qui vivait dans la même rue qu’elle. C’est assez tôt, aussi, que l’interminable conflit israélo-palestinien a fait irruption dans sa vie. Elle se souvient de la mort de Mohammed Al-Dura, un Palestinien de 12 ans, filmée par un caméraman de France 2 et diffusée à la télévision lors de la seconde intifada, à l’automne 2000. Hanna Assouline a 10 ans. “Ça a été pour moi un traumatisme, la première image traumatique que j’ai vue de ma vie”, raconte-t-elle. 

Solitude

Elle en a 16 lorsque Ilan Halimi meurt sous les coups du “gang des barbares” après trois semaines de tortures et de séquestration. Cet assassinat est une déflagration. Tant par sa violence que par sa nature antisémite. C’est aussi à cette période qu’un sentiment de solitude s’installe en elle. Il ne cessera de la quitter complètement depuis. “Je me souviens qu’il y avait des débats sur le fait de savoir si c’était un fait divers ou un acte antisémite, les gens se demandaient si ce n’était pas juste un crime crapuleux, raconte-t-elle. C’était hallucinant. Je me disais ‘mais pourquoi a-t-on besoin de prendre autant de pincettes pour nommer les choses ? Pourquoi n’étions-nous pas capables d’être tous ensemble face à l’antisémitisme ?’.”

Ce même sentiment de solitude se répète et se renforce lorsqu’en 2012. Mohamed Merah assassine trois enfants et un père de l’école juive Ozar-Hatorah, à Toulouse. “Le 25 mars, les marches silencieuses organisées en hommage aux victimes ne réunissent à Paris et à Toulouse que quelques milliers de personnes”, déplore-t-elle, ajoutant qu’“il y a chez les juifs, un sentiment de grande proximité avec les victimes juives quelles qu’elles soient”. À chaque meurtre antisémite, il y a une brûlure intime à l’intérieur de nous liée à l’histoire de la Shoah et plus largement à l’histoire du peuple juif, faite d’exil et de persécutions”, souffle-t-elle.

Dans le même temps, la popularité de l’humoriste Dieudonné et son discours antisémite explose. “Année après année, il y a quelque chose qui a commencé à s’effriter au sein du front antiraciste cher à mes parents, affirme-t-elle. Évidemment, il y avait toujours eu des divisions et des tensions, mais il y avait quand même l’idée d’un front de gauche uni face à l’extrême droite. Et puis il y a eu Dieudonné et c’est peut-être l’un des événements de mon adolescence qui a le plus fait éclater nos lignes. On était face à quelqu’un qui se réclamait de l’antiracisme et de la liberté d’expression pour prôner la haine des juifs. Il a aussi beaucoup joué sur la concurrence des souffrances et des mémoires, en opposant celle de la Shoah et celle de l’esclavage en désignant les juifs comme étant ceux qui s’étaient accaparés finalement la mémoire du monde, comme ceux qui prenaient toute la place.” Certain·es de ses ami·es commencent à relayer les publications de Dieudonné et à le défendre, d’autres postent même des “quenelles” sur les réseaux sociaux. Elle en perd au passage, mais son engagement, lui, reste intact. 

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Il prend même un tournant résolument militant en 2018, lorsqu’elle se rend en Israël et en Cisjordanie afin de tourner son documentaire Les Guerrières de la paix pour la chaîne LCP. La documentariste y suit des militantes israéliennes de l’association féministe pacifiste Women Wage Peace et des militantes palestiniennes. Ces dernières fondent l’association Women of the Sun en 2021. Pour se faire le relais de leur combat en France, Hanna Assouline fonde, l’année suivante, le mouvement qui porte le nom de son documentaire. Elle en est intimement persuadée : les femmes ont un rôle crucial à jouer dans le processus de paix, conformément à la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies qui montre que quand les femmes sont autour des tables de négociation, non seulement la paix advient plus rapidement, mais en plus, elle est plus durable.

Depuis le 7 octobre, la fondatrice des Guerrières de la paix a gardé contact avec les militantes de la région. En janvier, le mouvement a même organisé une rencontre entre les membres des deux associations à l’Assemblée nationale. Un moment fort : c’était la première fois que ces femmes se retrouvaient physiquement ensemble depuis l’attaque du Hamas et les bombardements sur Gaza. Elles ont d'ailleurs, depuis, demandé la création d’un groupe d’études Israël-Palestine au sein du Palais-Bourbon. La demande serait sur la table des parlementaires, assure Hanna Assouline.

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Aujourd’hui, Hanna Assouline compose toujours avec ce sentiment d’abandon d’une partie de la gauche, “des gens avec lesquels on a pu partager des combats et qui aujourd’hui vous laissent tomber”. Mais qu’importe la déception, la jeune femme garde son cap. Et à celles et ceux qui viendraient à penser que son engagement pacifiste est utopique et ferait d’elle une “bisounours”, sa ligne de conduite reste implacable : “On a des positions très fermes et très claires et ce depuis toujours sur toutes les questions liées à ce conflit.” Les Guerrières de la paix appellent à un cessez-le feu immédiat à Gaza et à la protection des civil·es palestinien·nes, ainsi qu’à la libération sans condition des otages israélien·nes.

Elles appellent aussi “au démantèlement et à la condamnation de l’organisation terroriste du Hamas pour les massacres du 7 octobre” et “au respect du droit humanitaire et international et à la condamnation du gouvernement fasciste et criminel de Netanyahu pour les crimes de guerre commis sur la population de Gaza qui subit un carnage sans nom”. Les militantes demandent aussi la fin de la colonisation et de l’occupation en Cisjordanie et la fin du blocus à Gaza. Hanna Assouline est partisane d’une solution à deux États. “La seule solution de justice et de dignité” à ses yeux. Une solution qui doit passer, selon elle, par la reconnaissance de l’État palestinien par la communauté internationale. “Ces deux peuples appartiennent à cette terre”, soutient-elle.

Espoirs

La documentariste est retournée en Israël et en Cisjordanie début mai. C’était la première fois depuis le 7 octobre. Avec une autre militante des Guerrières de la paix, la réalisatrice marocaine Sonia Terrab, elle prépare un documentaire sur l’engagement féministe pour la paix et la justice. En Israël et dans les territoires palestiniens, elle a pu de nouveau s’entretenir avec des Israéliennes et des Palestiniennes. “La société israélienne est toujours totalement figée. On a le sentiment qu’on est encore dans le 7 octobre, tout est suspendu et tourne autour de cette date, témoigne-t-elle. Du côté palestinien, il y a un désespoir, un chagrin et une grande douleur vis-à-vis de la situation à Gaza mais aussi vis-à-vis des violences qui se poursuivent en Cisjordanie.”

Elle témoigne également de la vive contestation qui grandit au sein de la société israélienne contre le gouvernement de Netanyahou. “Le dernier jour de notre voyage, on était encore dans les derniers instants des pourparlers au Caire entre le gouvernement israélien et le Hamas. On avait l’espoir qu’on puisse enfin respirer, observe-t-elle. Et puis le samedi soir, on a commencé à entendre que ces accords étaient en train d’échouer. ” Ni le Hamas ni le gouvernement israélien n'ont pu se mettre d'accord sur les termes d'une trêve. Elle raconte qu'une foule de citoyen·nes israélien·ne est alors descendue dans les rues pour mettre la pression sur leur gouvernement. Ils·elles veulent un accord, la fin de la guerre et la libération des otages. “Comme dans tous les mouvements de contestation, il y a des nuances selon les mouvances politiques, nuance-t-elle. Il y a des cortèges de gauche, plutôt de gauche radicale, avec une dénonciation très ferme et très claire de l’occupation, de la colonisation illégale des territoires occupés qui demandent un cessez-le-feu depuis des mois et la libération des otages et qui alertent sur le risque de famine à Gaza. Il y en a d’autres qui basent essentiellement leurs revendications sur la libération des otages et pour qui le gouvernement n’est pas capable de les ramener à la maison. Mais tous d’une même voix demandent la destitution du gouvernement et appelle à de nouvelles élections.”

Hanna Assouline regrette d'ailleurs que les cris de la rue israélienne ne soient pas davantage relayés médiatiquement en France. “Dans la lecture de ce conflit, on a tendance, d’un côté comme de l’autre, à essentialiser. A nous faire croire que tous les Palestiniens seraient alignés derrière le Hamas et que tous les Israéliens seraient alignés derrière Netanyahou, pointe-t-elle. Il est important d’expliquer à quel point la réalité est beaucoup plus contrastée, beaucoup plus complexe que cela.” Pour elle, c’est d’ailleurs “dans les sociétés civiles et dans les militants qu’il faut aujourd’hui placer tout notre espoir”. L’espoir ça tombe bien, Hanna Assouline semble l’avoir toujours chevillé au corps.

Guerriere de la paix

Guerrière de la paix, juifs et musulmans, quand les femmes engagent le dialogue, d’Hanna Assouline. Seuil, 144 pages, 15,50 euros

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