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Une Palestinienne fouille les décombres d'un immeuble après une nouvelle nuit de bombardements israéliens à Rafah, au sud de la bande de Gaza, le 29 mars © SAID KHATIB / AFP

Six mois de guerre à Gaza : dans le chaos, les liens des fémi­nistes israé­liennes et pales­ti­niennes perdurent

Six mois après l’attaque opé­rée par le Hamas sur Israël et après 182 jours de bom­bar­de­ments inten­sifs sur la bande de Gaza, deux asso­cia­tions fémi­nistes pacifistes- l'une israé­lienne, l'autre pales­ti­nienne – tentent, mal­gré les meur­tris­sures de part et d’autre, de main­te­nir le contact et faire front com­mun pour la réconciliation.

Six mois se sont écou­lés depuis le 7 octobre. Cela fait six mois, ce dimanche 7 avril, que les ter­ro­ristes du Hamas ont atta­qué Israël fai­sant plus de 1 160 mort·es. En repré­sailles, Israël a lan­cé une lourde offen­sive mili­taire sur la bande de Gaza. Aujourd’hui, alors qu’Israël pour­suit ses bom­bar­de­ments, le minis­tère de la Santé du Hamas décompte 32 845 mort·es dans l’enclave pales­ti­nienne. Parmi eux·elles, plus de 12 000 enfants. Et alors qu’a débu­té, fin mars, un énième cycle de négo­cia­tions afin d’aboutir à une trêve, des mili­tantes fémi­nistes israé­liennes et pales­ti­niennes tentent de main­te­nir coûte que coûte les liens qui les unis­saient avant le 7 octobre. 

Garder le canal de com­mu­ni­ca­tion ouvert après 182 jours de guerre ayant ouvert un fos­sé de souf­frances, de morts et de des­truc­tions, relève, mal­gré le volon­ta­risme de part et d’autre, du chal­lenge. Cela fai­sait bien­tôt trois ans pour­tant que Women Wage Peace, asso­cia­tion fémi­niste paci­fiste israé­lienne et son pen­dant pales­ti­nien, Women of the Sun, œuvraient ensemble pour que les femmes israé­liennes et pales­ti­niennes aient un rôle à jouer dans le pro­ces­sus de paix, confor­mé­ment à la réso­lu­tion 1325 du Conseil de sécu­ri­té des Nations unies qui montre que quand les femmes sont autour des tables de négo­cia­tion, non seule­ment la paix advient plus rapi­de­ment, mais en plus, elle est plus durable. Deux aso­cia­tions sœurs avec leur propre auto­no­mie, mais le même objec­tif : la signa­ture d’un accord diplo­ma­tique entre la Palestine et Israël. Elles étaient d’ailleurs des mil­liers à mar­cher ensemble le 4 octobre der­nier, lors d’une grande marche pour la paix à Jérusalem et aux abords de la mer Morte. Mais les espoirs d’une paix juste et durable semblent avoir été pul­vé­ri­sés trois jours plus tard.

“Surmonter l’adversité” 

Depuis, alors que l’interminable conflit a bas­cu­lé vers une guerre sans fin, cha­cune retient son souffle. D’un côté, il y a Pascale Chen, membre de l’association fémi­niste israé­lienne Women Wage Peace – que l’on peut tra­duire par “Le mou­ve­ment des femmes pour la paix” – qui conti­nue de suivre, pétri­fiée, la situa­tion des otages. “On voit leurs por­traits par­tout sur les murs et les vitrines des maga­sins”, explique celle que nous avions déjà inter­viewée une semaine après l’attaque du 7 octobre. Ce jour-​là, les hommes du Hamas ont cap­tu­ré plus de 250 per­sonnes, en majo­ri­té des civil·es. Une cen­taine a été libé­rée, depuis, en échange de prisonnier·ières palestinien·nes et, selon le der­nier bilan des auto­ri­tés israé­liennes, 130 manquent tou­jours à l’appel et 35 sont mort·es à Gaza, certain·es sous des bom­bar­de­ments de l’armée israé­lienne. “C’est vrai­ment une grande inquié­tude et ça influence chaque per­sonne psy­cho­lo­gi­que­ment, raconte-​t-​elle à Causette. On y pense du matin au soir, ça pèse sur notre moral et on espère qu’ils seront libérés.”

L’association israé­lienne a été fon­dée en 2014 à la suite d’une guerre entre Israël et le Hamas, qui a duré cin­quante jours et qui a fait 66 mort·es du côté israé­lien et 2251 du côté pales­ti­nien, dont 551 enfants. “À la fin, une dou­zaine de femmes israé­liennes se sont réunies pour expri­mer leur besoin de chan­ger cette réa­li­té vio­lente qui nous amène sans cesse d’une guerre à l’autre”, retrace Pascale Chen. L’association ras­semble des femmes israé­liennes juives, musul­manes, chré­tiennes, croyantes, laïques et athées. Des femmes d’horizons poli­tiques dif­fé­rents, de la gauche à la droite en pas­sant par le centre.

Lire aus­si I “Nos enfants, des deux côtés, sont les vic­times de cette vio­lence inces­sante” : Pascale Chen, de Women Wage Peace, mou­ve­ment paci­fiste israélien

De l’autre côté, il y a Reem Hajajreh, direc­trice de l’association fémi­niste pales­ti­nienne Women of the Sun – “Les femmes du soleil”. Depuis la ville pales­ti­nienne de Bethléem, située en Cisjordanie où est ins­tal­lée l’association, Reem Hajajreh reste sus­pen­due aux nou­velles qui lui par­viennent de la bande de Gaza. “En tant que mili­tantes pales­ti­niennes pour la paix, nos sen­ti­ments sont pro­fon­dé­ment liés aux défis et aux conflits en cours à Gaza, raconte Reem Hajajreh à Causette. L’atmosphère qui règne à Bethléem reflète l’expérience pales­ti­nienne dans son ensemble : elle est mar­quée par la rési­lience, l’espoir et la déter­mi­na­tion à sur­mon­ter l’adversité. Bien que la situa­tion soit sou­vent ten­due en rai­son des ten­sions poli­tiques actuelles, les habi­tants de Bethléem résistent et res­tent unis dans leur quête de paix.”

L’association est née en 2021 dans le but “d’émanciper les femmes pales­ti­niennes sur le plan poli­tique et éco­no­mique”. Tout comme sa par­te­naire israé­lienne, elle regroupe des femmes issues de milieux et de pro­fes­sions variées. “Notre nom sym­bo­lise la force, la rési­lience et la cha­leur des femmes pales­ti­niennes qui par­viennent à briller même face à l’adversité, pointe la direc­trice Reem Hajajreh. Nous croyons fer­me­ment aux prin­cipes du fémi­nisme et plai­dons en faveur de l’égalité des sexes et des droits des femmes.”

Bâtir un pro­ces­sus de paix 

C’est le désir com­mun de faire par­ti­ci­per acti­ve­ment les femmes au pro­ces­sus de paix qui a lié les deux asso­cia­tions dès la nais­sance de Women of the Sun. “Avant le 7 octobre, notre rela­tion avec Women Wage Peace se carac­té­ri­sait par une col­la­bo­ra­tion, un dia­logue et des efforts com­muns de défense des droits humains visant à pro­mou­voir la paix et la récon­ci­lia­tion, détaille Reem Hajajreh. Nous avons tra­vaillé ensemble sur diverses ini­tia­tives et pro­jets axés sur la conso­li­da­tion de la paix et l’autonomie des femmes.” Concrètement, elles ont rédi­gé une péti­tion com­mune en 2021, “L’appel des mères” qui appe­lait leurs dirigeant·es à reve­nir à la table des négo­cia­tions. Elles ont aus­si co-​organisé des évé­ne­ments. La der­nière en date : la marche pour la paix du 4 octobre dernier. 

Reprendre le contact 

L’attaque ter­ro­riste du 7 octobre et la réponse mili­taire immé­diate d’Israël ont rebat­tu les cartes de ce par­te­na­riat. Après quelques jours de flot­te­ment de part et d’autre, les membres de Women Wage Peace prennent des nou­velles de celles de Women of the Sun. Mais il fau­dra plu­sieurs semaines avant de véri­ta­ble­ment renouer le contact. Un contact dis­tan­ciel pour le moment, compte tenu du contexte poli­tique de la région. “Comme nous ne pou­vons pas nous ren­con­trer en rai­son des res­tric­tions d’entrée en Israël [depuis la Cisjordanie, ndlr], nous conti­nuons à col­la­bo­rer vir­tuel­le­ment via Zoom”, pré­cise la direc­trice de Women of the Sun.

Au-​delà de cet obs­tacle, sub­siste aus­si une frac­ture entre deux popu­la­tions et l’incompréhension que pour­rait sus­ci­ter chez certain·es cette col­la­bo­ra­tion. “C’est plus dif­fi­cile pour les mili­tantes pales­ti­niennes, je pense, de faire des actions avec un mou­ve­ment israé­lien, pointe Pascale Chen, de Women Wage Peace. Même si nous sommes des mili­tantes paci­fistes, nous res­tons des femmes israé­liennes. Elles ont l’accord de l’autorité pales­ti­nienne, mais doivent tout de même faire atten­tion à ne pas éveiller leur hostilité.”

“Dilemme dif­fi­cile”

Et si le par­te­na­riat a repris, il n’est pas évident. “Le dia­logue n’est pas tou­jours facile, il est même dou­lou­reux par­fois, mais il est très impor­tant”, pointe Pascale Chen, qui avoue faire face, en tant que mili­tante paci­fiste et mère d’un sol­dat, à un “dilemme dif­fi­cile”.C’est une guerre qu’on n’a pas choi­sie, qu’on n’a pas vou­lue, souligne-​t-​elle. On ne peut pas être indif­fé­rent à l’urgence de la crise huma­ni­taire à Gaza.” Si, pour elle, le gou­ver­ne­ment israé­lien doit stop­per la souf­france de la popu­la­tion gazaouie et assu­rer un ravi­taille­ment et des secours médi­caux, le cessez-​le-​feu doit être condi­tion­né au retour des otages. 

La posi­tion de Pascale Chen témoigne bien de la dif­fi­cul­té pour cha­cun des deux mou­ve­ments à conti­nuer à faire front com­mun. À l’image, peut-​être, des réponses pru­dentes appor­tées à Causette de chaque côté.Ce n’est pas tant com­pli­qué au niveau per­son­nel, mais plu­tôt au niveau des posi­tions de nos struc­tures, observe l’Israélienne. Ça a deman­dé beau­coup de réflexion. Des débats internes dans chaque mou­ve­ment pour défi­nir quelles étaient les choses que nous avions en com­mun et sur les­quelles nous sommes d’accord publi­que­ment.” Selon elle, Women Wage Peace est par exemple “très cri­tique” sur l’offensive mili­taire menée par le Premier ministre israé­lien, Benyamin Netanyahu. “Notre gou­ver­ne­ment ne prend pas en compte la catas­trophe huma­ni­taire qui a lieu à Gaza”, ajoute-​t-​elle, pré­ci­sant qu’en ce moment, une par­tie de la socié­té israé­lienne appelle à de nou­velles élec­tions. Elle craint aus­si qu’un conflit éclate dans le nord d’Israël avec le Hezbollah, mou­ve­ment isla­miste chiite basé au Liban. 

Fragilité des liens 

Aujourd'hui, les liens entre les deux asso­cia­tions semblent tou­jours fra­giles. “L’attaque du 7 octobre et la réponse dis­pro­por­tion­née d'Israël ont sans aucun doute mis à rude épreuve notre rela­tion avec Women Wage Peace, constate de son côté Reem Hajajreh. L’escalade de la vio­lence et la perte de vies humaines ont créé des défis et des ten­sions de taille qui ont eu un impact sur notre capa­ci­té à col­la­bo­rer efficacement.” 

Mais mal­gré la dif­fi­cul­té, la mili­tante pales­ti­nienne assure que la col­la­bo­ra­tion est tou­jours d’actualité. “Actuellement, nous sommes en train d’explorer les oppor­tu­ni­tés pour renou­ve­ler notre col­la­bo­ra­tion avec Women Wage Peace, affirme-​t-​elle. Compte tenu du conflit actuel à Gaza, nos efforts com­muns revêtent une impor­tance encore plus grande.” Du côté de Pascale Chen, l’espoir aus­si semble tou­jours d’actualité. “On veut por­ter un mes­sage d’espoir et de récon­ci­lia­tion, lance-​t-​elle. Après la guerre vien­dra le temps de la recons­truc­tion. Et les femmes auront, j’en suis per­sua­dée, un rôle cru­cial à jouer des deux côtés.”

L’espoir et la récon­ci­lia­tion. Féministes israé­liennes et pales­ti­niennes pour­raient bien en por­ter sym­bo­li­que­ment le flam­beau. Fin jan­vier, l’université d’Amsterdam dévoi­lait ses pro­po­si­tions pour le pro­chain prix Nobel de la paix. Parmi elles : Women Wage Peace et Women of the Sun, ensemble.

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