Six mois après l’attaque opérée par le Hamas sur Israël et après 182 jours de bombardements intensifs sur la bande de Gaza, deux associations féministes pacifistes- l'une israélienne, l'autre palestinienne – tentent, malgré les meurtrissures de part et d’autre, de maintenir le contact et faire front commun pour la réconciliation.
Six mois se sont écoulés depuis le 7 octobre. Cela fait six mois, ce dimanche 7 avril, que les terroristes du Hamas ont attaqué Israël faisant plus de 1 160 mort·es. En représailles, Israël a lancé une lourde offensive militaire sur la bande de Gaza. Aujourd’hui, alors qu’Israël poursuit ses bombardements, le ministère de la Santé du Hamas décompte 32 845 mort·es dans l’enclave palestinienne. Parmi eux·elles, plus de 12 000 enfants. Et alors qu’a débuté, fin mars, un énième cycle de négociations afin d’aboutir à une trêve, des militantes féministes israéliennes et palestiniennes tentent de maintenir coûte que coûte les liens qui les unissaient avant le 7 octobre.
Garder le canal de communication ouvert après 182 jours de guerre ayant ouvert un fossé de souffrances, de morts et de destructions, relève, malgré le volontarisme de part et d’autre, du challenge. Cela faisait bientôt trois ans pourtant que Women Wage Peace, association féministe pacifiste israélienne et son pendant palestinien, Women of the Sun, œuvraient ensemble pour que les femmes israéliennes et palestiniennes aient un rôle à jouer dans le processus de paix, conformément à la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies qui montre que quand les femmes sont autour des tables de négociation, non seulement la paix advient plus rapidement, mais en plus, elle est plus durable. Deux asociations sœurs avec leur propre autonomie, mais le même objectif : la signature d’un accord diplomatique entre la Palestine et Israël. Elles étaient d’ailleurs des milliers à marcher ensemble le 4 octobre dernier, lors d’une grande marche pour la paix à Jérusalem et aux abords de la mer Morte. Mais les espoirs d’une paix juste et durable semblent avoir été pulvérisés trois jours plus tard.
“Surmonter l’adversité”
Depuis, alors que l’interminable conflit a basculé vers une guerre sans fin, chacune retient son souffle. D’un côté, il y a Pascale Chen, membre de l’association féministe israélienne Women Wage Peace – que l’on peut traduire par “Le mouvement des femmes pour la paix” – qui continue de suivre, pétrifiée, la situation des otages. “On voit leurs portraits partout sur les murs et les vitrines des magasins”, explique celle que nous avions déjà interviewée une semaine après l’attaque du 7 octobre. Ce jour-là, les hommes du Hamas ont capturé plus de 250 personnes, en majorité des civil·es. Une centaine a été libérée, depuis, en échange de prisonnier·ières palestinien·nes et, selon le dernier bilan des autorités israéliennes, 130 manquent toujours à l’appel et 35 sont mort·es à Gaza, certain·es sous des bombardements de l’armée israélienne. “C’est vraiment une grande inquiétude et ça influence chaque personne psychologiquement, raconte-t-elle à Causette. On y pense du matin au soir, ça pèse sur notre moral et on espère qu’ils seront libérés.”
L’association israélienne a été fondée en 2014 à la suite d’une guerre entre Israël et le Hamas, qui a duré cinquante jours et qui a fait 66 mort·es du côté israélien et 2251 du côté palestinien, dont 551 enfants. “À la fin, une douzaine de femmes israéliennes se sont réunies pour exprimer leur besoin de changer cette réalité violente qui nous amène sans cesse d’une guerre à l’autre”, retrace Pascale Chen. L’association rassemble des femmes israéliennes juives, musulmanes, chrétiennes, croyantes, laïques et athées. Des femmes d’horizons politiques différents, de la gauche à la droite en passant par le centre.
De l’autre côté, il y a Reem Hajajreh, directrice de l’association féministe palestinienne Women of the Sun – “Les femmes du soleil”. Depuis la ville palestinienne de Bethléem, située en Cisjordanie où est installée l’association, Reem Hajajreh reste suspendue aux nouvelles qui lui parviennent de la bande de Gaza. “En tant que militantes palestiniennes pour la paix, nos sentiments sont profondément liés aux défis et aux conflits en cours à Gaza, raconte Reem Hajajreh à Causette. L’atmosphère qui règne à Bethléem reflète l’expérience palestinienne dans son ensemble : elle est marquée par la résilience, l’espoir et la détermination à surmonter l’adversité. Bien que la situation soit souvent tendue en raison des tensions politiques actuelles, les habitants de Bethléem résistent et restent unis dans leur quête de paix.”
L’association est née en 2021 dans le but “d’émanciper les femmes palestiniennes sur le plan politique et économique”. Tout comme sa partenaire israélienne, elle regroupe des femmes issues de milieux et de professions variées. “Notre nom symbolise la force, la résilience et la chaleur des femmes palestiniennes qui parviennent à briller même face à l’adversité, pointe la directrice Reem Hajajreh. Nous croyons fermement aux principes du féminisme et plaidons en faveur de l’égalité des sexes et des droits des femmes.”
Bâtir un processus de paix
C’est le désir commun de faire participer activement les femmes au processus de paix qui a lié les deux associations dès la naissance de Women of the Sun. “Avant le 7 octobre, notre relation avec Women Wage Peace se caractérisait par une collaboration, un dialogue et des efforts communs de défense des droits humains visant à promouvoir la paix et la réconciliation, détaille Reem Hajajreh. Nous avons travaillé ensemble sur diverses initiatives et projets axés sur la consolidation de la paix et l’autonomie des femmes.” Concrètement, elles ont rédigé une pétition commune en 2021, “L’appel des mères” qui appelait leurs dirigeant·es à revenir à la table des négociations. Elles ont aussi co-organisé des événements. La dernière en date : la marche pour la paix du 4 octobre dernier.
Reprendre le contact
L’attaque terroriste du 7 octobre et la réponse militaire immédiate d’Israël ont rebattu les cartes de ce partenariat. Après quelques jours de flottement de part et d’autre, les membres de Women Wage Peace prennent des nouvelles de celles de Women of the Sun. Mais il faudra plusieurs semaines avant de véritablement renouer le contact. Un contact distanciel pour le moment, compte tenu du contexte politique de la région. “Comme nous ne pouvons pas nous rencontrer en raison des restrictions d’entrée en Israël [depuis la Cisjordanie, ndlr], nous continuons à collaborer virtuellement via Zoom”, précise la directrice de Women of the Sun.
Au-delà de cet obstacle, subsiste aussi une fracture entre deux populations et l’incompréhension que pourrait susciter chez certain·es cette collaboration. “C’est plus difficile pour les militantes palestiniennes, je pense, de faire des actions avec un mouvement israélien, pointe Pascale Chen, de Women Wage Peace. Même si nous sommes des militantes pacifistes, nous restons des femmes israéliennes. Elles ont l’accord de l’autorité palestinienne, mais doivent tout de même faire attention à ne pas éveiller leur hostilité.”
“Dilemme difficile”
Et si le partenariat a repris, il n’est pas évident. “Le dialogue n’est pas toujours facile, il est même douloureux parfois, mais il est très important”, pointe Pascale Chen, qui avoue faire face, en tant que militante pacifiste et mère d’un soldat, à un “dilemme difficile”. “C’est une guerre qu’on n’a pas choisie, qu’on n’a pas voulue, souligne-t-elle. On ne peut pas être indifférent à l’urgence de la crise humanitaire à Gaza.” Si, pour elle, le gouvernement israélien doit stopper la souffrance de la population gazaouie et assurer un ravitaillement et des secours médicaux, le cessez-le-feu doit être conditionné au retour des otages.
La position de Pascale Chen témoigne bien de la difficulté pour chacun des deux mouvements à continuer à faire front commun. À l’image, peut-être, des réponses prudentes apportées à Causette de chaque côté. “Ce n’est pas tant compliqué au niveau personnel, mais plutôt au niveau des positions de nos structures, observe l’Israélienne. Ça a demandé beaucoup de réflexion. Des débats internes dans chaque mouvement pour définir quelles étaient les choses que nous avions en commun et sur lesquelles nous sommes d’accord publiquement.” Selon elle, Women Wage Peace est par exemple “très critique” sur l’offensive militaire menée par le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu. “Notre gouvernement ne prend pas en compte la catastrophe humanitaire qui a lieu à Gaza”, ajoute-t-elle, précisant qu’en ce moment, une partie de la société israélienne appelle à de nouvelles élections. Elle craint aussi qu’un conflit éclate dans le nord d’Israël avec le Hezbollah, mouvement islamiste chiite basé au Liban.
Fragilité des liens
Aujourd'hui, les liens entre les deux associations semblent toujours fragiles. “L’attaque du 7 octobre et la réponse disproportionnée d'Israël ont sans aucun doute mis à rude épreuve notre relation avec Women Wage Peace, constate de son côté Reem Hajajreh. L’escalade de la violence et la perte de vies humaines ont créé des défis et des tensions de taille qui ont eu un impact sur notre capacité à collaborer efficacement.”
Mais malgré la difficulté, la militante palestinienne assure que la collaboration est toujours d’actualité. “Actuellement, nous sommes en train d’explorer les opportunités pour renouveler notre collaboration avec Women Wage Peace, affirme-t-elle. Compte tenu du conflit actuel à Gaza, nos efforts communs revêtent une importance encore plus grande.” Du côté de Pascale Chen, l’espoir aussi semble toujours d’actualité. “On veut porter un message d’espoir et de réconciliation, lance-t-elle. Après la guerre viendra le temps de la reconstruction. Et les femmes auront, j’en suis persuadée, un rôle crucial à jouer des deux côtés.”
L’espoir et la réconciliation. Féministes israéliennes et palestiniennes pourraient bien en porter symboliquement le flambeau. Fin janvier, l’université d’Amsterdam dévoilait ses propositions pour le prochain prix Nobel de la paix. Parmi elles : Women Wage Peace et Women of the Sun, ensemble.