Jade Genin
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Jade Genin, la cho­co­la­tière qui dit non à “la hié­rar­chie mili­taire” en cuisine

Jade Genin s’engage pour éta­blir de bonnes condi­tions de tra­vail pour les jeunes dans la res­tau­ra­tion, tout en pro­dui­sant tous les jours des cho­co­lats d’excellence.

“Thym par­fait”, “Gimbrée”, “Noir c’est Jaune”, “Piste aux étoiles”, ce sont des noms de cho­co­lats. Pas n’importe les­quels, des cho­co­lats signés Jade Genin. Véritable pas­sion­née, elle a créé sa propre marque. Ses cho­co­lats d’excellence sont dénués de conser­va­teurs, d’additifs ou d’arômes. Leur pro­duc­tion est un tra­vail colos­sal, car ils ont une espé­rance de vie de quinze jours seulement. 

Lorsque l’on entre dans sa cho­co­la­te­rie, située sur la pres­ti­gieuse ave­nue de l’Opéra à Paris, on découvre un lieu moderne, un cadre épu­ré, avec deux pré­sen­toirs. À gauche, sa spé­cia­li­té, les fameux pyra­mi­dions, en forme de cône et revê­tus d’une cou­leur peinte à la main. À droite, des cubes de pâtes à tar­ti­ner gour­mands, des cro­co­diles en cho­co­lat ou encore des rochers. Les saveurs vont du pra­li­né d’amandes, aux touches de coriandre en pas­sant par des notes de Zaatar, de citron ou de camo­mille. Jade ne cherche pas à faire du classique. 

Du droit au chocolat

Le cho­co­lat n’était pas sa voca­tion pre­mière. Elle a sui­vi des études de droit à la Sorbonne, pas­sé le bar­reau et tra­vaillé quatre ans en tant qu’avocate. Elle aimait plu­tôt ce qu’elle fai­sait, mais les jour­nées s’écoulaient len­te­ment : “Quand j’étais avo­cate, je me sou­viens de réflexions du type ‘quoi, cela fait un quart d’heure seule­ment que je suis à mon bureau ?’.” Depuis qu’elle est arti­sane, cela ne lui arrive plus. Elle explique qu’elle aime jus­te­ment ne jamais “voir le temps défi­ler” et être “com­plè­te­ment absor­bée par ce qu’elle fait”. 

Ce milieu ne lui était pas tota­le­ment incon­nu. Enfant, elle aidait déjà son père, le cho­co­la­tier Jacques Genin, notam­ment à Pâques ou à Noël, des périodes par­ti­cu­liè­re­ment char­gées quand on pro­duit du cho­co­lat. Au moment de sa recon­ver­sion, à 30 ans, elle n’arrive donc pas en ter­rain incon­nu. Mais pour accé­der à un niveau pro­fes­sion­nel, elle a déci­dé de se for­mer pen­dant trois ans auprès du pater­nel. “Quand on fait un chan­ge­ment de vie comme ça, on est content d’avoir un peu des marques”, commente-​t-​elle. Une fois for­mée, elle ouvre sa propre bou­tique, en 2022, pour créer sa signa­ture et avoir de la place pour son propre uni­vers. L’atelier se situe au fond de la bou­tique et emploie une équipe de sept jeunes d’une ving­taine d’années qui œuvrent toutes et tous ensemble pour fabri­quer des délices. 

Freestyle com­plet à 16 ans

Travailler dans la res­tau­ra­tion ou l’artisanat, c’est finir tous les soirs à minuit et com­men­cer le len­de­main à neuf heures. C’est aus­si beau­coup de pres­sion pour que la qua­li­té soit tou­jours au rendez-​vous. Un métier qui com­mence sou­vent très tôt, per­tur­bant l’adolescence tran­quille. “Moi, je trouve ça hyper dur d’être confron­té au monde du tra­vail à 16 ans.” Le mode de fonc­tion­ne­ment de ces appren­tis­sages en CAP est loin de celui d’un stage d’observation, mais a déjà tout du monde pro­fes­sion­nel, avec les mêmes attentes en termes de rigueur, de pré­sence et de sérieux que tout·e autre employé·e.

La cho­co­la­tière se remé­more alors son ado­les­cence – ou plu­tôt sa crise d’adolescence – et conclut qu’au même âge, elle aurait été inca­pable d’aller faire des crois­sants tous les matins à 8 heures. “Déjà, à 16 ans, j’étais en free­style com­plet. J’étais vrai­ment nulle. J’ai fugué deux fois pen­dant quatre heures. J’écoutais Damien Saez. Donc, je trouve ça hyper dif­fi­cile de faire ce tra­vail en soi.”

“Ils leur gueu­laient dessus” 

En quit­tant son cabi­net juri­dique pour inté­grer le milieu de la gas­tro­no­mie, elle a été “heur­tée” par cer­tains contrastes, notam­ment le rap­port à la hié­rar­chie et “une ambiance mili­taire”. Lors d’un cours de CAP auquel Jade a assis­té, elle note la vio­lence de la péda­go­gie. “Ils n’insultaient pas, mais ils leur gueu­laient des­sus, juste parce que, de toute façon, ils vont se faire gueu­ler des­sus. Donc, si à 16 ans, en CAP, à l’école, le prof leur gueule des­sus pour les faire avan­cer plus vite, c’est sûr que ça ne les pré­pare pas hyper bien pour leur tra­vail.” Et lorsqu’il ne s’agit pas d’insultes directes, le rap­port hié­rar­chique est omniprésent.

De son côté, elle pré­fère opter pour un mana­ge­ment qui les met en confiance. “J’encourage beau­coup l’indépendance des gens et je ne suis pas du tout sur le fli­cage de l’heure d’arrivée, heure de départ dans une cer­taine mesure.” Elle trouve per­ti­nent de lais­ser libre à chacun·e le choix de trou­ver son rythme et sa façon de faire plu­tôt que d’imposer un cadre trop oppres­sant. Cette moder­ni­té ins­tau­rée dans l’organisation de l’atelier se retrouve dans ses créations.

La peur de parler

La vio­lence, elle peut prendre toutes sortes de formes”, déclare Jade avant de racon­ter l’histoire de l’une de ses connais­sances qui a quit­té un res­tau­rant étoi­lé sans avoir reçu un mois entier de salaire. Malgré de nom­breux mails envoyés pour le récla­mer, la jeune tra­vailleuse de 17 ans n’a jamais eu de nou­velle. Le regard de juriste de Jade Genin n’étant jamais très loin, elle consi­dère que c’était une situa­tion légi­time pour envoyer une lettre d’avocat. Le pro­blème, c’est la peur des jeunes restaurateur·rices, qui les empêche de récla­mer cer­tains droits au risque de se “faire griller sur toute la place de Paris” ou de “ne jamais trou­ver de place dans un nou­veau res­tau­rant”. Il y a clai­re­ment, pour elle, un manque d’informations à dis­po­si­tion des jeunes, qui accen­tue ces situa­tions de domi­na­tion. Car les supérieur·es, eux·elles, “savent aus­si qu’ils ne vont rien dire”. 

Face à ces dys­fonc­tion­ne­ments désor­mais régu­liè­re­ment dénon­cés et bien docu­men­tés, les cheffes Marion Goettlé et Manon Fleury décident de lan­cer l’association Bondir.e, à la suite d’une inter­ven­tion dans un lycée autour de ces vio­lences. Une quin­zaine de femmes les rejoint, dont Jade Genin. L’objectif est de pré­ve­nir les vio­lences en res­tau­ra­tion et dans l’artisanat, en inter­ve­nant dans les lycées pro­fes­sion­nels, les for­ma­tions hôte­lières et de res­tau­ra­tion. Au bout de trois ans d’existence, l’association est demeu­rée 100 % fémi­nine bien qu’elle soit ouverte à tous et toutes. “On explique que ce n’est pas nor­mal de subir des vio­lences en cui­sine et si le pro­fes­seur peut écou­ter par la même occa­sion, c’est du bonus”, lance Jade Genin. L’association n’a pas pour mis­sion d’accompagner les vic­times, mais a tou­jours “une oreille atten­tive pour aider quelqu’un qui est en dif­fi­cul­té ou juste pour par­ler, puisque des fois aus­si, on n’a pas envie de par­ler à sa famille”, précise-​t-​elle, avant d’ajouter que la honte est un res­sen­ti fré­quent pour les jeunes qui n’osent pas for­cé­ment par­ler. Finalement, il est impor­tant pour la cho­co­la­tière de faire com­prendre aux étudiant·es qu’ils et elles ne sont pas coincé·es et qu’il ne faut pas hési­ter à partir.

À lire aus­si I Harcèlement dans la res­tau­ra­tion : en finir avec le cau­che­mar en cuisine

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