Kate Warne, détec­tive en crinoline

Première enquê­trice pour la célèbre agence Pinkerton, Kate Warne a contri­bué à déjouer le « com­plot de Baltimore » et à sau­ver la vie du pré­sident Lincoln en 1861. Un bio­pic avec Emily Blunt dans le rôle-​titre va enfin lui don­ner la recon­nais­sance qu’elle mérite.

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Kate Warne

Kate Warne est née dans une famille nom­breuse et pauvre de la ville d’Erin, dans l’État de New York, en 1833. Il reste peu de traces de sa vie pri­vée, car les incen­dies et les inon­da­tions ont détruit de nom­breux docu­ments d’état civil et de jour­naux de l’époque. On sait seule­ment qu’elle rêvait de deve­nir comé­dienne et que ses parents l’ont très vite décou­ra­gée. Mais c’était une jeune fille déter­mi­née. Elle sou­hai­tait s’évader de sa condi­tion en incar­nant des per­son­nages, et elle y par­vien­dra. Pas sur le devant de la scène, mais dans l’ombre.

Nous sommes en 1856, Kate a 23 ans et décide de répondre à une petite annonce pour un emploi de détec­tive pri­vé à Chicago. Une ini­tia­tive pour le moins auda­cieuse, car c’est un métier exclu­si­ve­ment réser­vé aux hommes. La jeune femme n’a pas froid aux yeux, elle réunit ses éco­no­mies et se pré­sente devant Allan Pinkerton, fon­da­teur de l’agence du même nom. Cet immi­gré écos­sais, ancien ton­ne­lier puis shé­rif, a créé en 1850 sa propre agence de détec­tives pri­vés, la pre­mière du genre dans le pays. Son équipe, c’est l’Amérique des chas­seurs de primes, des bra­queurs de banques et des cow-​boys tes­to­sté­ro­nés. Des durs à cuire et des as de la gâchette.

Allan Pinkerton “ne cherche pas de secrétaire”

Quand il voit débar­quer Kate Warne dans son bureau, Pinkerton lui signale qu’il ne cherche pas une secré­taire. Mais Kate lui tient tête. « Selon le témoi­gnage d’Allan Pinkerton dans ses mémoires, elle lui répon­dit qu’elle pour­rait se lier d’amitié avec les épouses et les petites amies de cri­mi­nels pré­su­més afin de recueillir leurs confi­dences… Car les femmes ont le sens du détail et sont d’excellentes obser­va­trices ! » raconte l’écrivaine Kate Hannigan, autrice du livre jeu­nesse The Detective’s Assistant (non tra­duit). Amusé devant tant d’aplomb, le détec­tive se laisse convaincre. « À cet ins­tant, on ne peut pas savoir si Allan Pinkerton est un vrai défen­seur des droits des femmes, ou s’il est juste un homme d’affaires avi­sé qui se rend compte qu’elle va lui faire gagner de l’argent. Quelle que soit sa rai­son, il l’engage ! » déclare Brad Meltzer, écri­vain spé­cia­liste du thriller.

C’est une pre­mière, il n’existe aucune femme enquê­trice aux États-​Unis. En bonne espionne, Kate se déguise, change d’identité pour tra­quer et confondre les cri­mi­nels et les mal­frats. Elle a toutes les qua­li­tés requises pour être une bonne détec­tive pri­vée : « Son exemple est très inté­res­sant, car c’est un métier de patience et d’observation lorsqu’on doit être en planque ou en fila­ture… Contrairement aux hommes, les femmes s’exposent moins au dan­ger et sont moins dans la pré­ci­pi­ta­tion », confirme Dhiego Teles Da Silva, maître de confé­rences en droit public à l’université de Nîmes1. Elle impose une nou­velle façon d’exercer ce métier et devien­dra l’un des meilleurs élé­ments de l’équipe Pinkerton.

Le pre­mier bureau de femmes détectives

En 1859, elle aide à coin­cer le voleur notoire Nathan Maroney, soup­çon­né d’avoir détour­né de l’argent de l’Adams Express Company à Montgomery en Alabama. Kate Warne prend l’accent du Sud (alors qu’elle a l’accent du Nord) pour se lier d’amitié avec la femme du mal­frat. « Elle était très cou­ra­geuse et très douée pour s’infiltrer… Elle allait dans des soi­rées mon­daines et récol­tait des confi­dences », affirme John Derrig, ancien poli­cier et auteur d’un roman sur l’enquêtrice. La détec­tive et son
col­lègue John White coincent le détour­neur de fonds et obtiennent des aveux com­plets. Très impres­sion­née par le tra­vail de Kate en Alabama, Allan Pinkerton crée en 1861 le pre­mier bureau des femmes détec­tives, et lui en confie­ra la direc­tion. Elle va ain­si recru­ter et for­mer de nom­breuses can­di­dates au métier de détective.

Mais son plus grand exploit, Kate Warne l’accomplit en février 1861, à Baltimore. Elle enquête alors sur des vols dans des trains, fomen­tés par une bande orga­ni­sée. Lynchages, bandes rivales, guerres indiennes… nous sommes en pleine conquête de l’Ouest. La ville est escla­va­giste et les séces­sion­nistes y sont nom­breux. Dans leur ligne de mire : le pré￾sident de l’époque, Abraham Lincoln, fervent abo­li­tion­niste. Utilisant les pseu­do­nymes de Mme Cherry et Mme Barley, Kate assiste à des fêtes, une cocarde séces­sion­niste épin­glée osten­si­ble­ment sur la poitrine.

Rapidement, elle par­vient à se lier d’amitié avec les épouses et les sœurs de com­plo­tistes et assiste bien­tôt à une réunion secrète. Elle y découvre le pro­jet d’assassinat des Sudistes contre le pré­sident élu, à la faveur de sa céré­mo­nie d’investiture. « Lincoln devait par­tir de son domi­cile dans l’Illinois et tra­ver­ser tout le pays en train jusqu’à Washington DC. Des mil­liers de per­sonnes se sont ren­dues aux arrêts de train tout au long du voyage. Les jour­naux ont publié son iti­né­raire afin que ses admi­ra­teurs puissent suivre son périple. C’était un tra­jet très périlleux ! » pré­cise Kate Hannigan. Les com­plo­tistes pré­voient d’attaquer le train à Baltimore. Alerté par Kate, Allan Pinkerton la rejoint. Ils escortent ano­ny­me­ment le pré­sident durant la nuit du 22 au 23 février 1861. La détec­tive se fait pas­ser pour la sœur de Lincoln qui, lui, se déplace avec une canne, vêtu d’un grand man­teau, pour res­ter inco­gni­to. Kate Warne n’a pas dor­mi du voyage, sur­veillant du coin de l’œil son pro­té­gé dont les pieds dépas­saient de sa cou­chette – il mesu­rait plus de 1,90 mètre.

“Bodyguard” pré­si­den­tiel

Le dévoue­ment de cette super agente sera à l’origine de la devise Pinkerton : « We never sleep » (« Nous ne dor­mons jamais »). « Et pour­tant, Kate Warne a dû des­cendre du train avant d’atteindre sa des­ti­na­tion. Il fal­lait contrer une éven­tuelle rumeur sur le fait qu’elle aurait pu être sa maî­tresse… Pouah ! » s’indigne Kate Hannigan.

Le com­plot n’aboutira pas et Lincoln pour­ra prendre ses fonc­tions à la Maison-​Blanche, sain et sauf. « On l’a aus­si soup­çon­née d’avoir été la maî­tresse de Pinkerton, car on ne pou­vait pas ima­gi­ner à cette époque qu’une femme puisse être une aus­si bonne détec­tive. Elle aura prou­vé le contraire. Pourtant, les fils Pinkerton ont fer­mé le bureau fémi­nin lorsqu’ils ont suc­cé­dé à leur père, et les femmes n’ont plus tra­vaillé comme détec­tives jusqu’au tour­nant du nou­veau siècle. Un pas en avant, deux pas en arrière… », regrette l’autrice.

Kate Warne a eu une car­rière de détec­tive pri­vée très courte, douze années seule­ment. Elle meurt d’une pneu­mo­nie à 35 ans, en 1868. Elle est enter­rée au cime­tière de Graceland (Chicago) dans la conces­sion de la famille Pinkerton. Sur sa pierre tom­bale, son nom est gra­vé avec une faute : Kate Warn. Mais la pion­nière devrait connaître bien­tôt son heure de gloire, car l’actrice Emily Blunt devrait bien­tôt pro­duire et d’interpréter son bio­pic, dis­tri­bué par Amazon Studios. Et son nom, qui a mar­qué l’histoire, sera ortho­gra­phié correctement !

Lire aus­si l Détective pri­vée : « je peux me retrou­ver à faire des fila­tures en short et tongs ou en com­bi sur une piste de ski »

  1. Également res­pon­sable de la licence pro­fes­sion­nelle « Agent de recherches pri­vées » à l’université de Nîmes[]
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