Première enquêtrice pour la célèbre agence Pinkerton, Kate Warne a contribué à déjouer le « complot de Baltimore » et à sauver la vie du président Lincoln en 1861. Un biopic avec Emily Blunt dans le rôle-titre va enfin lui donner la reconnaissance qu’elle mérite.
![Kate Warne, détective en crinoline 1 Kate warnecropped](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2023/06/Kate-warnecropped.jpg)
Kate Warne est née dans une famille nombreuse et pauvre de la ville d’Erin, dans l’État de New York, en 1833. Il reste peu de traces de sa vie privée, car les incendies et les inondations ont détruit de nombreux documents d’état civil et de journaux de l’époque. On sait seulement qu’elle rêvait de devenir comédienne et que ses parents l’ont très vite découragée. Mais c’était une jeune fille déterminée. Elle souhaitait s’évader de sa condition en incarnant des personnages, et elle y parviendra. Pas sur le devant de la scène, mais dans l’ombre.
Nous sommes en 1856, Kate a 23 ans et décide de répondre à une petite annonce pour un emploi de détective privé à Chicago. Une initiative pour le moins audacieuse, car c’est un métier exclusivement réservé aux hommes. La jeune femme n’a pas froid aux yeux, elle réunit ses économies et se présente devant Allan Pinkerton, fondateur de l’agence du même nom. Cet immigré écossais, ancien tonnelier puis shérif, a créé en 1850 sa propre agence de détectives privés, la première du genre dans le pays. Son équipe, c’est l’Amérique des chasseurs de primes, des braqueurs de banques et des cow-boys testostéronés. Des durs à cuire et des as de la gâchette.
Allan Pinkerton “ne cherche pas de secrétaire”
Quand il voit débarquer Kate Warne dans son bureau, Pinkerton lui signale qu’il ne cherche pas une secrétaire. Mais Kate lui tient tête. « Selon le témoignage d’Allan Pinkerton dans ses mémoires, elle lui répondit qu’elle pourrait se lier d’amitié avec les épouses et les petites amies de criminels présumés afin de recueillir leurs confidences… Car les femmes ont le sens du détail et sont d’excellentes observatrices ! » raconte l’écrivaine Kate Hannigan, autrice du livre jeunesse The Detective’s Assistant (non traduit). Amusé devant tant d’aplomb, le détective se laisse convaincre. « À cet instant, on ne peut pas savoir si Allan Pinkerton est un vrai défenseur des droits des femmes, ou s’il est juste un homme d’affaires avisé qui se rend compte qu’elle va lui faire gagner de l’argent. Quelle que soit sa raison, il l’engage ! » déclare Brad Meltzer, écrivain spécialiste du thriller.
C’est une première, il n’existe aucune femme enquêtrice aux États-Unis. En bonne espionne, Kate se déguise, change d’identité pour traquer et confondre les criminels et les malfrats. Elle a toutes les qualités requises pour être une bonne détective privée : « Son exemple est très intéressant, car c’est un métier de patience et d’observation lorsqu’on doit être en planque ou en filature… Contrairement aux hommes, les femmes s’exposent moins au danger et sont moins dans la précipitation », confirme Dhiego Teles Da Silva, maître de conférences en droit public à l’université de Nîmes1. Elle impose une nouvelle façon d’exercer ce métier et deviendra l’un des meilleurs éléments de l’équipe Pinkerton.
Le premier bureau de femmes détectives
En 1859, elle aide à coincer le voleur notoire Nathan Maroney, soupçonné d’avoir détourné de l’argent de l’Adams Express Company à Montgomery en Alabama. Kate Warne prend l’accent du Sud (alors qu’elle a l’accent du Nord) pour se lier d’amitié avec la femme du malfrat. « Elle était très courageuse et très douée pour s’infiltrer… Elle allait dans des soirées mondaines et récoltait des confidences », affirme John Derrig, ancien policier et auteur d’un roman sur l’enquêtrice. La détective et son
collègue John White coincent le détourneur de fonds et obtiennent des aveux complets. Très impressionnée par le travail de Kate en Alabama, Allan Pinkerton crée en 1861 le premier bureau des femmes détectives, et lui en confiera la direction. Elle va ainsi recruter et former de nombreuses candidates au métier de détective.
Mais son plus grand exploit, Kate Warne l’accomplit en février 1861, à Baltimore. Elle enquête alors sur des vols dans des trains, fomentés par une bande organisée. Lynchages, bandes rivales, guerres indiennes… nous sommes en pleine conquête de l’Ouest. La ville est esclavagiste et les sécessionnistes y sont nombreux. Dans leur ligne de mire : le président de l’époque, Abraham Lincoln, fervent abolitionniste. Utilisant les pseudonymes de Mme Cherry et Mme Barley, Kate assiste à des fêtes, une cocarde sécessionniste épinglée ostensiblement sur la poitrine.
Rapidement, elle parvient à se lier d’amitié avec les épouses et les sœurs de complotistes et assiste bientôt à une réunion secrète. Elle y découvre le projet d’assassinat des Sudistes contre le président élu, à la faveur de sa cérémonie d’investiture. « Lincoln devait partir de son domicile dans l’Illinois et traverser tout le pays en train jusqu’à Washington DC. Des milliers de personnes se sont rendues aux arrêts de train tout au long du voyage. Les journaux ont publié son itinéraire afin que ses admirateurs puissent suivre son périple. C’était un trajet très périlleux ! » précise Kate Hannigan. Les complotistes prévoient d’attaquer le train à Baltimore. Alerté par Kate, Allan Pinkerton la rejoint. Ils escortent anonymement le président durant la nuit du 22 au 23 février 1861. La détective se fait passer pour la sœur de Lincoln qui, lui, se déplace avec une canne, vêtu d’un grand manteau, pour rester incognito. Kate Warne n’a pas dormi du voyage, surveillant du coin de l’œil son protégé dont les pieds dépassaient de sa couchette – il mesurait plus de 1,90 mètre.
“Bodyguard” présidentiel
Le dévouement de cette super agente sera à l’origine de la devise Pinkerton : « We never sleep » (« Nous ne dormons jamais »). « Et pourtant, Kate Warne a dû descendre du train avant d’atteindre sa destination. Il fallait contrer une éventuelle rumeur sur le fait qu’elle aurait pu être sa maîtresse… Pouah ! » s’indigne Kate Hannigan.
Le complot n’aboutira pas et Lincoln pourra prendre ses fonctions à la Maison-Blanche, sain et sauf. « On l’a aussi soupçonnée d’avoir été la maîtresse de Pinkerton, car on ne pouvait pas imaginer à cette époque qu’une femme puisse être une aussi bonne détective. Elle aura prouvé le contraire. Pourtant, les fils Pinkerton ont fermé le bureau féminin lorsqu’ils ont succédé à leur père, et les femmes n’ont plus travaillé comme détectives jusqu’au tournant du nouveau siècle. Un pas en avant, deux pas en arrière… », regrette l’autrice.
Kate Warne a eu une carrière de détective privée très courte, douze années seulement. Elle meurt d’une pneumonie à 35 ans, en 1868. Elle est enterrée au cimetière de Graceland (Chicago) dans la concession de la famille Pinkerton. Sur sa pierre tombale, son nom est gravé avec une faute : Kate Warn. Mais la pionnière devrait connaître bientôt son heure de gloire, car l’actrice Emily Blunt devrait bientôt produire et d’interpréter son biopic, distribué par Amazon Studios. Et son nom, qui a marqué l’histoire, sera orthographié correctement !
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- Également responsable de la licence professionnelle « Agent de recherches privées » à l’université de Nîmes[↩]