La rediffusion exceptionnelle de Shoah, sur France 2, est l’occasion de revenir sur le rôle joué par Ziva Postec. Si elle a consacré six ans de sa vie au montage du documentaire-fleuve, devenu un monument d’historiographie et de mémoire, elle fut largement oubliée par l’Histoire.
Elle a passé six années de sa vie à monter un film documentaire, devenu un monument d’historiographie et de mémoire, et pourtant, son nom ne figure qu’au générique. De Shoah, film consacré à l’extermination des 6 millions de Juif·ves par les nazis, l’histoire n’a retenu que le nom de son réalisateur, Claude Lanzmann, unanimement reconnu comme l’auteur du chef‑d’œuvre. Or, derrière l’immense travail du cinéaste, il y a celui tout aussi immense de Ziva Postec. La rediffusion de Shoah, mardi 30 janvier sur France 2 et en replay*, est l’occasion de mettre en lumière le travail titanesque de cette femme, aujourd’hui âgée de 83 ans.
L’Israélienne monte le documentaire de 1979 jusqu’à sa sortie en 1985. Et c’est peu dire que la tâche n’est pas une sinécure. Shoah, c’est dix années de collectes de témoignages de témoins direct·es – des survivant·es, des paysan·es polonais·es, mais aussi des bourreaux –, 350 heures de pellicules tournées en 16 mm et neuf heures trente de projection. En somme, un travail colossal sur la plus grande tragédie du XXe siècle.
Une tragédie d’ailleurs intimement liée à l’histoire personnelle de Ziva Postec. Née en Israël en 1940, Ziva grandit dans une famille juive d’origine hongroise installée au Moyen-Orient depuis une petite dizaine d’années. Après la libération des camps de travail et de concentration, la petite fille accompagnera inlassablement sa mère dans les camps de réfugié·es installés en Israël, dans l’espoir de reconnaître un visage familier, en vain. La famille maternelle a été exterminée en Europe. Travailler à la conception d’une œuvre mémorielle est donc pour elle un moyen de reconstruire une partie de son histoire familiale.
Un long processus de création
Pour monter Shoah, Ziva Postec a accompli un véritable travail de dentellière. Le simple visionnage des 350 heures de rushs lui a pris quatre mois. À l’aide des résumés des quatre-vingts entretiens réalisés par Lanzmann, Postec s’est attelée à construire pas à pas une structure narrative puisqu’il n’existait au préalable aucun scénario. Pas une seule image d’archive n’a été utilisée, aucune voix off, seulement une litanie d’entretiens bruts.
C’est à Ziva Postec que l’on doit la respiration particulière du documentaire qui en a fait sa force. C’est elle qui insiste pour que Lanzmann retourne en Pologne filmer ce qu’il reste des camps d’extermination et des rails qui menaient les déporté·es à la mort. Même s’il ne reste plus rien. Grâce à elle, donc, que les pierres de Treblinka, derniers vestiges de l’atrocité des nazis, apparaissent à l’écran. C’est aussi elle qui a accordé de l’importance aux silences. Sans elle, Shoah aurait été une succession d’interviews.
Hommage en 2018
Il faudra attendre 2018 et la mort de Claude Lanzmann pour que le nom de Ziva Postec sorte du placard grâce à la réalisatrice canadienne Catherine Hébert. Dans le documentaire Ziva Postec : la monteuse derrière le film Shoah, Ziva Postec raconte son rôle dans la création de l’œuvre. Elle aborde aussi le manque de reconnaissance à la sortie du film en 1985. Le soir de la première parisienne en présence du président François Mitterrand, Claude Lanzmann aurait lancé à sa monteuse qui se trouvait près de lui : “Pourquoi tu cours derrière moi comme un petit chien ?”
C’est à cet instant, dit-elle dans le documentaire de Catherine Hébert, que Ziva Postec a compris que le réalisateur s’approprierait tout le crédit de l’œuvre. Elle avait raison. Les critiques sont élogieuses, à raison, le film est l’un des seuls – encore aujourd’hui – à avoir rendu compte à l’écran du caractère massif que fut l’extermination des Juif·ves, mais le nom de Ziva Postec n’apparaît pas à côté de celui de Lanzmann. “Au départ, ça m’a blessée, mais après, je me suis dit je m’en fous, moi je sais ce que j’ai fait”, affirme-t-elle en 2018 à la caméra de Catherine Hébert.
Le montage de Shoah a pourtant laissé des traces. Dans le documentaire, Ziva Postec décrit que cette période fut “une prison où elle s’est mise volontairement”. Encore aujourd’hui, presque quarante ans après la sortie de Shoah, le nom de Ziva Postec est rarement évoqué. Dans une chronique publiée mardi, jour de la rediffusion du film sur France 2, Le Monde parle ainsi de Shoah comme “d’un projet littéralement fou, tenu par la volonté d’un homme seul”. C’est oublier qu’une femme a permis à ce projet d’exister et d’être ce qu’il est. Elle s’appelle Ziva Postec.
* Shoah est disponible en replay sur France.tv jusqu’au 2 mars 2024.
![Qui est Ziva Postec, la monteuse oubliée du film “Shoah” ? 2 Capture decran 2024 01 31 a 12.12.09](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/01/Capture-decran-2024-01-31-a-12.12.09.png)
Ziva Postec, la monteuse derrière le film Shoah, documentaire de Catherine Hébert, 2018. Disponible en VOD sur Univers Ciné.