Capture decran 2024 01 31 a 12.04.47
© Les films du 3 mars

Qui est Ziva Postec, la mon­teuse oubliée du film “Shoah” ?

La redif­fu­sion excep­tion­nelle de Shoah, sur France 2, est l’occasion de reve­nir sur le rôle joué par Ziva Postec. Si elle a consa­cré six ans de sa vie au mon­tage du documentaire-​fleuve, deve­nu un monu­ment d’historiographie et de mémoire, elle fut lar­ge­ment oubliée par l’Histoire.

Elle a pas­sé six années de sa vie à mon­ter un film docu­men­taire, deve­nu un monu­ment d’historiographie et de mémoire, et pour­tant, son nom ne figure qu’au géné­rique. De Shoah, film consa­cré à l’extermination des 6 mil­lions de Juif·ves par les nazis, l’histoire n’a rete­nu que le nom de son réa­li­sa­teur, Claude Lanzmann, una­ni­me­ment recon­nu comme l’auteur du chef‑d’œuvre. Or, der­rière l’immense tra­vail du cinéaste, il y a celui tout aus­si immense de Ziva Postec. La redif­fu­sion de Shoah, mar­di 30 jan­vier sur France 2 et en replay*, est l’occasion de mettre en lumière le tra­vail tita­nesque de cette femme, aujourd’hui âgée de 83 ans. 

L’Israélienne monte le docu­men­taire de 1979 jusqu’à sa sor­tie en 1985. Et c’est peu dire que la tâche n’est pas une siné­cure. Shoah, c’est dix années de col­lectes de témoi­gnages de témoins direct·es – des survivant·es, des paysan·es polonais·es, mais aus­si des bour­reaux –, 350 heures de pel­li­cules tour­nées en 16 mm et neuf heures trente de pro­jec­tion. En somme, un tra­vail colos­sal sur la plus grande tra­gé­die du XXe siècle. 

Une tra­gé­die d’ailleurs inti­me­ment liée à l’histoire per­son­nelle de Ziva Postec. Née en Israël en 1940, Ziva gran­dit dans une famille juive d’origine hon­groise ins­tal­lée au Moyen-​Orient depuis une petite dizaine d’années. Après la libé­ra­tion des camps de tra­vail et de concen­tra­tion, la petite fille accom­pa­gne­ra inlas­sa­ble­ment sa mère dans les camps de réfugié·es ins­tal­lés en Israël, dans l’espoir de recon­naître un visage fami­lier, en vain. La famille mater­nelle a été exter­mi­née en Europe. Travailler à la concep­tion d’une œuvre mémo­rielle est donc pour elle un moyen de recons­truire une par­tie de son his­toire familiale. 

Un long pro­ces­sus de création

Pour mon­ter Shoah, Ziva Postec a accom­pli un véri­table tra­vail de den­tel­lière. Le simple vision­nage des 350 heures de rushs lui a pris quatre mois. À l’aide des résu­més des quatre-​vingts entre­tiens réa­li­sés par Lanzmann, Postec s’est atte­lée à construire pas à pas une struc­ture nar­ra­tive puisqu’il n’existait au préa­lable aucun scé­na­rio. Pas une seule image d’archive n’a été uti­li­sée, aucune voix off, seule­ment une lita­nie d’entretiens bruts. 

C’est à Ziva Postec que l’on doit la res­pi­ra­tion par­ti­cu­lière du docu­men­taire qui en a fait sa force. C’est elle qui insiste pour que Lanzmann retourne en Pologne fil­mer ce qu’il reste des camps d’extermination et des rails qui menaient les déporté·es à la mort. Même s’il ne reste plus rien. Grâce à elle, donc, que les pierres de Treblinka, der­niers ves­tiges de l’atrocité des nazis, appa­raissent à l’écran. C’est aus­si elle qui a accor­dé de l’importance aux silences. Sans elle, Shoah aurait été une suc­ces­sion d’interviews. 

Hommage en 2018

Il fau­dra attendre 2018 et la mort de Claude Lanzmann pour que le nom de Ziva Postec sorte du pla­card grâce à la réa­li­sa­trice cana­dienne Catherine Hébert. Dans le docu­men­taire Ziva Postec : la mon­teuse der­rière le film Shoah, Ziva Postec raconte son rôle dans la créa­tion de l’œuvre. Elle aborde aus­si le manque de recon­nais­sance à la sor­tie du film en 1985. Le soir de la pre­mière pari­sienne en pré­sence du pré­sident François Mitterrand, Claude Lanzmann aurait lan­cé à sa mon­teuse qui se trou­vait près de lui : “Pourquoi tu cours der­rière moi comme un petit chien ?”

C’est à cet ins­tant, dit-​elle dans le docu­men­taire de Catherine Hébert, que Ziva Postec a com­pris que le réa­li­sa­teur s’approprierait tout le cré­dit de l’œuvre. Elle avait rai­son. Les cri­tiques sont élo­gieuses, à rai­son, le film est l’un des seuls – encore aujourd’hui – à avoir ren­du compte à l’écran du carac­tère mas­sif que fut l’extermination des Juif·ves, mais le nom de Ziva Postec n’apparaît pas à côté de celui de Lanzmann. “Au départ, ça m’a bles­sée, mais après, je me suis dit je m’en fous, moi je sais ce que j’ai fait”, affirme-​t-​elle en 2018 à la camé­ra de Catherine Hébert.

Le mon­tage de Shoah a pour­tant lais­sé des traces. Dans le docu­men­taire, Ziva Postec décrit que cette période fut “une pri­son où elle s’est mise volon­tai­re­ment”. Encore aujourd’hui, presque qua­rante ans après la sor­tie de Shoah, le nom de Ziva Postec est rare­ment évo­qué. Dans une chro­nique publiée mar­di, jour de la redif­fu­sion du film sur France 2, Le Monde parle ain­si de Shoah comme “d’un pro­jet lit­té­ra­le­ment fou, tenu par la volon­té d’un homme seul”. C’est oublier qu’une femme a per­mis à ce pro­jet d’exister et d’être ce qu’il est. Elle s’appelle Ziva Postec.

Shoah est dis­po­nible en replay sur France.tv jusqu’au 2 mars 2024.

Capture decran 2024 01 31 a 12.12.09

Ziva Postec, la mon­teuse der­rière le film Shoah, docu­men­taire de Catherine Hébert, 2018. Disponible en VOD sur Univers Ciné.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.