Queers, fémi­nistes : la figure de Jeanne d'Arc n'est pas seule­ment véné­rée par Le Pen

Des suffragettes à l'extrême droite en passant par De Gaulle ou le mouvement LGBT, la figure populaire et historique de Jeanne d’Arc, probablement née le 6 janvier 1412, aura été presque de toutes les luttes.

Albert Lynch Jeanne dArc
Jeanne d'Arc ©Albert Lynch - Wikipédia

Lorsque Jeanne d’Arc voit le jour dans la campagne vosgienne il y a probablement pile 610 ans (la date de naissance la plus partagée par les historien·nes est celle du 6 janvier 1412), la France se démène tant bien que mal contre les Anglais dans la guerre de Cent Ans. Personne n’est alors prêt·e à parier que cette paysanne illettrée parviendra, à seulement 17 ans, à conduire victorieusement les troupes françaises contre les armées anglaises, à lever le siège d’Orléans et à infléchir, de fait, le cours de l’Histoire. Capturée et jugée pour sorcellerie deux ans plus tard par l’Inquisition – elle est convaincue d’être mandatée par Dieu pour bouter les Anglais hors de France – Jeanne d’Arc est brûlée vive à Rouen en 1431 après un procès rapidement expédié. 

Déjà très populaire de son vivant, Jeanne d’Arc le sera d’autant plus après sa mort. Dans une trajectoire aussi brève que fulgurante, la comète que l’on surnomme « la Pucelle d’Orléans » est devenue une héroïne nationale sous la plume de l’historien Jules Michelet en 1841. La Pucelle est depuis un véritable et éternel objet de récupération symbolique et politique, et ce, pour toutes les tendances de l’échiquier. « Jeanne d’Arc est la seule figure historique française qui suscite autant de passions contraires, note Valérie Toureille, maîtresse de conférences d’Histoire du Moyen Age à l’Université de Cergy-Pontoise et autrice de la biographie Jeanne d’Arc (Ed Perrin, 2020). Peut-être parce qu'à travers ces contraires, sa force, c’est qu’elle rassemble. » Petit florilège.  

  • L'héroïne du peuple - XIXe siècle 

Vaincue par la Prusse en 1870, la France se raccroche à cette fille du peuple héroïque et martyrisée. « C’est la défaite militaire mais aussi la perte de trois départements à l’Est, qui se trouvent alors annexés à l’Allemagne, précise à Causette l’historien médiéviste Xavier Hélary, professeur des à l’université Jean-Moulin-Lyon-III. Jeanne d’Arc devient la patronne des populations de ces territoires. Celle qui résiste aux envahisseurs et défend sa nation. » La gauche récupère également le mythe de Jeanne d’Arc. En 1880, lorsque la militante féministe et révolutionnaire Louise Michel revient de ses années de déportation en Nouvelle-Calédonie, elle est acclamée comme « la Jeanne d’Arc de la révolution sociale », comme le rapporte à l’époque le quotidien Le Soleil. Certaines ouvrières de l’industrie s’empareront aussi de cette héroïne du peuple - abandonnée aux Anglais par le roi Charles VII et brûlée par l’Église - pour mobiliser leurs camarades de lutte dans des grèves.

  • L’hérétique graciée par l’Église - Début XXe siècle 

Au début du XXème siècle, Jeanne d’Arc est un objet de querelles entre deux France. Celle des laïcs républicains et celle des religieux. Soucieuse de réconcilier la France libérale avec la foi chrétienne, l’Église catholique française demande au pape d’amorcer la canonisation de celle qui fut brûlée par l’Inquisition du XVème siècle. Jeanne d’Arc sera canonisée en 1920. « Cette canonisation tardive traduit le désir d’établir une passerelle avec la France républicaine et exprime aussi les remords de l’Eglise », souligne Xavier Hélary.

  • Jeanne, figure féministe - Début XXe siècle 

Pendant que sa canonisation est examinée par le pape, Jeanne d’Arc devient la figure de proue des suffragettes, en pleine lutte pour le droit de vote. Notamment Hubertine Auclert, qui citera mainte fois la Pucelle dans ses articles. « Les féministes de l’époque se disent que c’est curieux de célébrer une femme alors même que les femmes n’ont pas le droit de vote », relève Xavier Hélary. Vêtue de son armure, elle devient l’égérie de l’Union politique et sociale des femmes (WSPU). « Il y a la Jeanne très pieuse, ancrée chez les féministes chrétiennes [avec la création en 1911 de l’association féministe catholique l’Alliance internationale Jeanne d’Arc, nldr] et de l’autre, la fille du peuple guerrière et combattante célébrée par les féministes laïques, indique à Causette la médiéviste Valérie Toureille. Ce serait anachronique de dire qu’elle était féministe mais par ses actions, on peut dire qu’elle en était véritablement une figure. »

  • Symbole de résistance - Seconde Guerre mondiale 
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© akg-images

La figure de Jeanne d’Arc est reprise pendant la guerre et ce, par des positions contradictoires. Elle est à la fois revendiquée par la France libre du général De Gaulle, « qui voit en elle celle qui a su mettre en déroute l’occupant », souligne Xavier Hélary. Mais aussi par le régime de Vichy. Après le bombardement de Rouen par les Britanniques en 1944, le maréchal Pétain diffuse ainsi une affiche de propagande anglophobe qui montre Jeanne d’Arc au bûcher avec pour légende : « les assassins reviennent toujours sur les lieux de leur crime ». 

  • Jeanne, au secours de l'extrême droite - Depuis les années 1980 

Alors que le souvenir de la Pucelle s'atténue en France, un homme politique va la faire ressurgir. Jean-Marie Le Pen. À partir de 1988, le Front National rend hommage chaque année à Jeanne d’Arc lors du défilé du 1er mai. Une manifestation à qui l’on doit le célèbre « Jeanne, au secours », lancé au pied de la statue parisienne de la Pucelle, place des Pyramides en 2015. « Pour Le Pen, Jeanne d’Arc incarne la nation chrétienne, pure et patriote », précise Xavier Hélary. Une véritable adoration puisque le père du FN fondera par la suite son propre parti, « Les Comités Jeanne », en 2016. Si le thème est moins repris par Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national continue toutefois les commémorations à la Pucelle chaque 1er mai. 

  • Jeanne, icône Queer - Années 1990

Parce qu’elle brisa les codes du genre, portait les cheveux courts et des habits d’homme, l’allure androgyne de Jeanne d’Arc est devenu un symbole du mouvement LGBT depuis les années 90. En 2010, des militant·es Queer ont notamment recouvert la statue de Jeanne d’Arc à Lille de tissu rose flashy et du slogan « Godes save the Queers ». 

  • Et aujourd’hui ? 

Si elle est moins populaire, la figure historique de Jeanne d’Arc continue d’être reprise et utilisée par nos personnalités politiques. Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et plus récemment Emmanuel Macron en 2016. Chacun·e mettant en scène leur propre réécriture de la Pucelle selon le message qu’il·elle souhaite faire passer. Fin novembre dernier, Valérie Pécresse, candidate LR à la prochaine élection présidentielle, déclarait ainsi que « Jeanne d’Arc représente pour [elle] l’image de la France debout, celle qui résiste à l'envahisseur ». Une déclaration qui montre bien que six siècles après la mort de la Pucelle, sa récupération n’est pas prête de s’arrêter.

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