Ce 6 juin, on fête la journée mondiale de la mini-jupe. L’occasion de se pencher sous ce vêtement, symbole de liberté et d’émancipation, qui reste encore souvent cantonné, dans l’imaginaire collectif, au dressing des jeunes femmes. Du moins c'est ce que l'on pensait…
Il y a quelques semaines, j’ai rendu visite à ma mère qui vient d’avoir 63 ans. Il fait chaud, elle décide naturellement de se changer. Alors qu’elle enfile une jupe courte lui arrivant bien au-dessus des genoux, une pensée me traverse un instant : « Tu ne vas pas mettre une jupe si courte à ton âge ? » Si je réprime aussitôt cette réflexion intérieure mêlant sexisme et âgisme, reste que cette remarque m’interroge sur notre représentation de ce que doivent ou non porter les femmes en vieillissant. D’où vient donc cette injonction ? Pour le savoir, Causette a mené l’enquête en cette journée mondiale de la mini-jupe, pour soulever, non pas les jupes, mais le problème.
Le sujet semble d'ailleurs passionner au-delà des frontières de la presse féminine. Le Petit Journal du Tarn-et-Garonne s'est récemment penché sur la question, se fendant d'un édito nauséabond : « Ce qui est charmant à quinze ou vingt ans devient le plus souvent ridicule après soixante ans, et même avant. » L'éditorialiste passe ensuite au crible la tenue de « Madame Méteo de plusieurs fois vingt ans, dont les dimensions de la jupe sont plutôt celle d'un plagne ».
On se passera bien de son avis masculin. Qu'en pensent plutôt les principales intéressées ? D’abord, il y a celles pour qui ce n’est pas du tout un sujet. « Je porterai des mini-jupes même à l’âge de 80 ans et personne n’aura rien à redire là-dessus », assure haut et fort Martine, 70 ans. Et puis les autres. Celles qui en portent, mais se questionnent : y aurait-il un âge limite à la mini-jupe ? Passé la barre de la quarantaine – et pire encore, celle de la cinquantaine -, les femmes tomberaient-elles dans les abîmes de la vulgarité en montrant leurs genoux, comme le suggèrent nombre d'articles de presse féminine ?
« Si tu n’en portes pas maintenant, ce n’est pas à 40 ans que tu le feras. »
Séverine, 50 ans.
Ces interrogations, Émilie, 38 ans, est justement en plein dedans. L'enseignante nous avait écrit il y a deux ans pour nous partager ses réflexions autour de la mini-jupe : « Est-ce que je ne serai bientôt pas trop vieille pour sortir comme ça ? » Ou encore : « Est-ce que je ne vais pas devoir commencer à réfléchir à abandonner ce qui risquerait de faire vulgaire ou “vieille qui veut faire jeune” dans mon dressing ? » Émilie a mis des années à se sentir bien dans son corps et à surpasser les complexes qui l’empêchaient jusqu'alors de porter des jupes courtes. Alors, devoir déjà y renoncer lui donne comme l’impression d’être privée de dessert.
Séverine, 50 ans, s’est posé les mêmes questions il y a quinze ans. « J’hésitais à acheter une mini-jupe vraiment très courte, raconte-t-elle à Causette. Je l’ai prise en me disant “Si tu n’en portes pas maintenant, ce n’est pas à 40 ans que tu le feras”. » Elle avait grandi avec l’idée qu’avec l’âge, le corps des femmes devenait « moins beau ». Il fallait donc se préparer à cacher ces jambes et plus particulièrement ces cuisses qui deviennent plus flasques avec le temps. « À l’époque, le corps des femmes de plus de 40 ans était très peu montré, que ce soit dans les magazines, les films ou les défilés de mode. J’avais donc pris acte de ce conformisme social, estime Séverine. J’avais tellement intégré ces injonctions sociales liées à l’âge et aux vêtements que je finissais par croire qu’il s’agissait de choix personnels. »
Arrivée à la quarantaine, Séverine a pourtant continué à porter sa mini-jupe. Elle la porte toujours aujourd’hui, en repensant avec amusement à son hésitation d’il y a quinze ans. « Ces dernières années, j’ai pris conscience que nous sommes souvent nos propres modératrices, souligne la quinquagénaire. Je me suis aperçue aussi que personne ne me faisait de commentaires. Il faut dire aussi que le mouvement MeToo m’a offert des éléments de langage qui sont, pour moi, des armes de défense face à d’éventuelles remarques sur mes tenues vestimentaires. Mes proches ont bien conscience que le terrain est miné, par conséquent, j'ai l’impression que peu de monde risque de s’y aventurer. Quand je porte une mini-jupe, je me sens féminine, mais surtout féministe, finalement. »
Symbole d’émancipation
Porter une mini-jupe à 50 ans serait donc un acte militant ? Pour le comprendre, il faut revenir sur l’origine de ces quelques centimètres de tissu qui ont fait une apparition décapante à l’orée des années 60, après une décennie marquée par l’austérité d’après-guerre où toute femme digne de ce nom ne se risquait pas à montrer un bout de genou. Jusqu'à Mary Quant, une jeune styliste londonienne, qui, en 1962, a l’audacieuse idée de raccourcir les jupes pour pouvoir courir librement. Pratique et sexy à la fois, la mini-jupe créée par Mary Quant fait une entrée tonitruante dans les vestiaires de la jeunesse yéyé, sous le regard courroucé d'une large partie de la société.
En France, l’impact sociétal de ce bout de tissu est considérable : il devient l’ultime emblème de l’émancipation des femmes. « La mini-jupe comme le maillot de bain est clairement un signe de libération, soutient Audrey Millet, historienne et autrice spécialiste de la mode. L’apparition de la mini-jupe intervient dans une période plus large d’émancipation des femmes dans les années 60–70 où les femmes peuvent désormais ouvrir un compte bancaire à leur nom, gérer leurs biens propres ou exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari, elles peuvent également avorter et donc aussi montrer leurs jambes. »
Preuve que porter une mini-jupe relève dans les années 60 de l’acte révolutionnaire, en 1964, la journaliste française Noëlle Noblecourt est licenciée pour avoir présenté l’émission Télé Dimanche en mini-jupe. Cinquante-neuf plus tard, pour l’historienne, porter une mini-jupe à plus de 50 ans est toujours « un acte résolument politique ». Elle s’explique : « On le voit aux États-Unis, avec le droit à l’avortement, les droits des femmes sont constamment mis à rude épreuve. On a besoin que cette génération de femmes nous rappelle le combat que fut la libération des corps et surtout du droit à disposer de son corps. »
La crainte de « faire vulgaire »
Mais montrer son corps vieillissant n'est pas toujours facile. Chez celles qui n’osent pas raccourcir la jupe, la crainte de « faire vulgaire » revient régulièrement dans les témoignages reçus par Causette. Comme si, en vieillissant, les femmes devaient désormais « faire leur âge » et donc ne plus porter des vêtements associés, dans notre imaginaire collectif, à la jeunesse. On pense par exemple à cet article de Biba qui nous gratifie de conseils sur comment porter une jupe après cinquante ans « sans tomber dans la vulgarité ».
Pour Valentine, 42 ans, « abandonner la mini-jupe pour ne pas tomber dans la vulgarité » est toujours une vraie question. La conductrice de bus et de tramway a toujours porté des jupes courtes mais avoue avoir parfois du mal avec le regard des autres. « Depuis que je suis jeune je me demande souvent si j’assumerais de porter une mini-jupe plus vieille, confie-t-elle à Causette. Je me considère comme féministe, mais pour moi, la frontière est fine entre la vulgarité et l’âge. Je me sens bien quand j’en porte mais les regards désapprobateurs pèsent sur moi. »
Potentiel érotique
Sous la mini-jupe se cache évidemment un potentiel érotique. « Entre le genou et le nombril, c'est l’interdit, souligne Audrey Millet. Les jambes amènent au pubis et au sexe de la femme. » Et donc, symboliquement, à la maternité. Dans un entretien accordé au Temps, la philosophe féministe, Camille Froidevaux-Metterie explique que « tous les événements corporels qui jalonnent la vie des femmes – la puberté, la grossesse, la ménopause – modifient, de façon irréversible, non seulement leur intimité, mais aussi le regard que la société porte sur elles ».
Selon elle, « jusqu’à aujourd’hui, on considérait que, passé la cinquantaine, les femmes devenaient inutiles. N’étant plus procréatrice, elles étaient immédiatement disqualifiées, perdant toute possibilité d’être à la fois désirées et désirantes ». Ce qui pourrait alors expliquer pourquoi les femmes de 50 ans seraient perçues comme vulgaires en portant une jupe : elles seraient donc disqualifiées pour en porter puisque bonnes à mettre à la poubelle du marché de la séduction.
« Une amie de 70 ans me dit souvent “À mon âge, on n’est pas jolie” »
Émilie, 38 ans.
C'est exactement ce que ressent Aurélie, 44 ans, depuis qu'elle devenue grand-mère à l’âge de 37 ans. Celle qui portait librement des mini-jupes jusque là, s'est alors interdit de porter des jupes au-dessus des genoux : une contrainte liée chez elle non pas à l'âge mais à son nouveau statut. « À ce moment-là, je me suis sentie gênée de porter un vêtement perçu comme “sexy” en étant grand-mère. Je devais désormais être respectable dans ma manière de m’habiller, indique-t-elle. Si je n’avais pas de petits-enfants, je continuerais certainement à en porter comme toutes mes copines, mais depuis que je suis grand-mère, c’est impossible. Je n’assumerais pas d’être la mamie en mini-jupe qui court après ses petits-enfants au jardin d’enfants. »
La figure de la cougar
Et qu’en pensent les jeunes filles justement ? Laura, 20 ans, flâne avec sa mère, Martine, 56 ans, dans une boutique du centre commercial de la gare parisienne Saint Lazare. Si la jeune femme aime montrer ses genoux, elle serait gênée que sa mère en fasse autant. « J’aurais un peu l’impression de traîner avec une copine, confie-t-elle à Causette. J’aurais aussi peur que ça fasse cougar. »
Laura n'a pas tord, la figure féminine de la cougar, cette femme méprisée et pointée du doigt parce qu'elle entretient des liaisons avec des hommes plus jeunes qu’elle, colle souvent aux femmes de 50 ans qui portent une mini-jupe. On se souvient des critiques sexistes et agistes essuyées par Brigitte Macron pour avoir porté une jupe courte en déplacement à Bruxelles en 2017 pour le sommet de l’Otan. « Quand je porte une mini-jupe, je sens que les regards changent sur moi, confie Martine, 70 ans. J’attire ceux des jeunes hommes tandis que les femmes me voient comme une rivale et me dévisagent. Je sens que je suis reléguée dans la case cougar alors que je suis mariée et fidèle depuis cinquante ans (rire). » Elle a déjà entendu des remarques sur son passage, des moqueries et pire parfois des « vieille pute ». « Parfois, ça me décourage vraiment d’en porter », déplore Martine.
À l’inverse d’Aurélie, qui a relégué ses mini-jupes au placard en vieillissant, pour ma mère la mini-jupe est justement venue avec l’âge… et la retraite. « J’ai vécu ce passage comme le début d'une nouvelle vie, me lance-t-elle. Je n’ai plus de responsabilité professionnelle, je me sens libre dans ma tête et dans mon corps pour porter ce que je veux. J’ai le sentiment d’avoir retrouvé ma liberté de jeune fille. » De mon côté, je me garderais bien désormais de juger sa manière de s’habiller.