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Vandalisme au centre Pompidou Metz : la per­for­mance #MeToo de Deborah de Robertis jette le trouble

En van­da­li­sant plu­sieurs œuvres de l'exposition à laquelle elle par­ti­ci­pait elle-​même pour dénon­cer les vio­lences sexistes et sexuelles dont elle aurait été vic­time et faire éclore un #MeToo dans le milieu de l'art, l'artiste Deborah de Robertis frappe fort mais inter­roge sur la forme.

“J’ai vio­lé les musées, du musée d’Orsay au musée du Louvre jusqu’au centre Pompidou. Je les ai péné­trés de force, sans consen­te­ment ni auto­ri­sa­tion, pour reven­di­quer ma place dans l’histoire.” Ainsi com­mence le long texte de Deborah de Robertis publié sur son blog de Mediapart afin d’éclaircir la démarche qui a été la sienne lun­di 6 mai au Centre Pompidou de Metz. La per­for­meuse fémi­niste luxem­bour­geoise a fait irrup­tion avec deux autres per­for­meuses dans l’exposition Lacan (pré­sen­tée jusqu’à fin mai dans la capi­tale de la Lorraine) pour van­da­li­ser plu­sieurs oeuvres : L’Origine du monde de Gustave Courbet (sous verre de pro­tec­tion) mais aus­si Aktionhose : Genitalpanik (1969−2001), un auto­por­trait fémi­niste ico­nique de VALIE EXPORT dans lequel elle montre sa vulve et des œuvres de Louise Bourgeois et Rosemarie Trockel ont été recou­vertes de l’inscription rouge ME TOO – Deborah de Robertis pré­cise que la pein­ture uti­li­sée est lavable. Quant à la petite bro­de­rie sous verre d’Annette Messager Je pense donc je suce, elle a été sor­tie de son cadre bri­sé au mar­teau et empor­tée par Deborah de Robertis sous le regard médu­sé des visiteur·rices de l’exposition. 

Comble de la contro­verse née de cette per­for­mance qui emprunte aux mobi­li­sa­tions des acti­vistes pour le cli­mat, qu’il s’agisse des jets de pein­ture de Riposte ali­men­taire ou du décro­chage des por­traits pré­si­den­tiels d’Action non vio­lente (COP21) : une oeuvre de l’artiste contes­ta­taire elle-​même est pré­sen­tée au sein de l’exposition Lacan, dans la sec­tion des réin­ter­pré­ta­tions de L’Origine du monde. Il s'agit d'une pho­to de sa per­for­mance Le Miroir de l’origine, réa­li­sée il y a dix ans et qui lui avait valu de se faire un nom. En 2014, Deborah de Robertis avait posé le sexe dévoi­lé devant cette même Origine du Monde dans sa salle du Musée d’Orsay.

"On ne sépare pas la femme de l'artiste"

Le soir même de son action en Lorraine et alors que les deux autres per­for­meuses se trou­vaient encore en garde à vue (elles ont été depuis mises en exa­men pour "dégra­da­tion en réunion d'un bien cultu­rel et vol en réunion d'un bien cultu­rel"), l'artiste reven­di­quait le vol sur son compte Instagram, en publiant une pho­to du tis­su et com­men­tant : “J’ai orga­ni­sé une per­for­mance au Centre Pompidou Metz. Je me suis réap­pro­prié la pièce d’Annette Messager dont le pro­prié­taire est Bernard Marcadé, le cura­teur de l’exposition [Lacan, ndlr]. Sur une deuxième pho­to appa­raît un tis­su blanc sur lequel a été bro­dé, à la manière de Je pense donc je suce : “On ne sépare pas la femme de l’artiste”, clin d’œil plu­tôt bien vu au fameux "il faut sépa­rer l'homme de l'artiste" sur lequel s'arc-boutent les sou­tiens des agres­seurs célèbres. Des inter­nautes ont affi­ché leur conster­na­tion à l’idée que l’oeuvre d’Annette Messager ait été van­da­li­sée par une nou­velle bro­de­rie à son ver­so mais il sem­ble­rait qu’il s’agisse de deux tis­sus dif­fé­rents puisqu’aucun point de cou­ture du pre­mier mes­sage ne figure sur le second. Contactée par Causette, Deborah de Robertis pré­fère "gar­der le mys­tère" sur ce point. En conclu­sion de sa publi­ca­tion, elle déclare avec aplomb : “Je consi­dère que cette œuvre est la mienne, il me la doit.” Bernard Marcadé, donc.

Critique d’art et orga­ni­sa­teur d’expositions, l’homme de 76 ans est accu­sé par Deborah de Robertis, 40 ans, de l’avoir agres­sée sexuel­le­ment "il y a une quin­zaine d'années", nous affirme celle qui avait alors 26 ans. Il et elle s'étaient rencontré·es dans le cadre d'un concours artis­tique orga­ni­sé à l'école du Fresnoy auquel elle a par­ti­ci­pé et, selon l'artiste, Bernard Marcadé aurait recon­tac­té la can­di­date pour éta­blir "un rap­port qui s'avère toxique et abu­sif à tra­vers le flou qu'il a entre­te­nu à l'égard de son res­pect sur [le] tra­vail [de la jeune femme]", décrit-​elle à Causette. A l'occasion de l'une de ces ren­contres, Bernard Marcadé l'aurait agres­sée sexuel­le­ment. “Je n’oublierai jamais quand, en public, dans un bar, sans aver­tis­se­ment, tu m’as bru­ta­le­ment agrip­pé le sexe”, lance-​t-​elle à Bernard Marcadé dans son texte publié sur le blog de Mediapart, l’accusant d’avoir pro­fi­té du fait qu’alors débu­tante dans le milieu de l'art, elle lui demande une “lettre de recom­man­da­tion artistique”.

"J'ai mis la main partout"

De Robertis et Marcadé se sont revu·es après cet épi­sode. En atteste une vidéo d’une durée de dix-​sept minutes inti­tu­lée elle aus­si On ne sépare pas la femme de l’artiste publiée hier sur le compte Viméo de la per­for­meuse. Pour le contexte dans lequel a été fil­mé cette vidéo datant de la même époque que l’agression dont elle accuse Marcadé, Deborah de Robertis nous pré­cise : “Un jour, il m’a invi­tée à une expo­si­tion et j’ai com­pris que j’étais invi­tée pour ‘après l’exposition’, alors je me suis armée de ma caméra.” 

Dedans, on voit Bernard Marcadé allon­gé sur un lit qui semble être le sien, puisque la camé­ra montre aus­si accro­ché au mur le fameux Je pense donc je suce d’Annette Messager, qui appar­tient au cura­teur d’art. Deborah de Robertis filme l’homme habillé, en lui deman­dant s’il n’est pas gêné d’être fil­mé par elle et s’il a confiance dans ce qu’elle pour­ra faire de ces images. Il lui répond par l'affirmative. C’est ensuite Marcadé qui tient la camé­ra, tan­dis que de Robertis se désha­bille. Tous deux ont une conver­sa­tion de plus en plus intime, dans laquelle l’homme lui demande un acte sexuel. Surtout, Marcadé semble recon­naître l’agression sexuelle : “J’ai mis la main par­tout, là où je pou­vais ren­trer, quoi”, commente-​t-​il à pro­pos de l’épisode. Deborah de Robertis montre alors son visage, sur lequel elle a ajou­té au mon­tage l’inscription “je suis gênée”. En com­men­taire, sa voix off ques­tionne : “On en parle du mépris quand un homme te désire parce que t’es jeune et que t’as un gros cul et des yeux bleus en amande ? Ça, c’est mépri­sant. Et en échange, quoi ? On devrait nous les aimer pour ce qu’ils sont ? On serait des salopes de les aimer pour ce qu’on nomme le pou­voir ? Mais ils n’ont aucun pou­voir. 'Les femmes aiment le pou­voir.' Mais qui a inven­té cette putain de phrase ? Ces hommes ? Mais quel nar­cis­sisme de pen­ser qu’on a du pou­voir uni­que­ment parce qu’on a un privilège.”

#MeTooArtWorld

On le com­prend, Deborah de Robertis cherche à dénon­cer des vio­lences sexistes et sexuelles dans le cadre d'un rap­port domi­nant – domi­née. La jeune femme pointe sa jeu­nesse, l’écart d’âge avec Marcadé et la sta­ture de ce der­nier, pesant dans le milieu de l’art, comme des fac­teurs de rela­tion abu­sive. De son côté, Bernard Marcadé a réagi dans un article du Point en repre­nant le champ lexi­cal des vio­lences sexuelles à son compte : "C'est une mani­pu­la­tion, un piège, je me sens vio­lé par cette artiste que j'ai pour­tant défen­due par le passé."

Dans son texte chez Mediapart, elle reven­dique d’ailleurs ce moment artis­tique (la per­for­mance à Metz et la publi­ca­tion de la vidéo, regrou­pés sous le hash­tag #MeTooArtWorld) comme la pre­mière per­for­mance qui “vise des hommes, non uni­que­ment des ins­ti­tu­tions”. Car Marcadé n’est pas le seul à être incri­mi­né dans cette tri­bune fleuve. Quatre hommes sont éga­le­ment accu­sés de vio­lences sexuelles : Juan, un pro­fes­seur de per­for­mance ; Richard, col­lec­tion­neur d’œuvres d’art ; John, un homme inter­viewé dans le cadre de son tra­vail sur le nu et Fabrice, un ancien ami qui aurait abu­sé de l’artiste pour, là encore, en tirer des faveurs sexuelles. L'artiste nous pré­cise avoir dépo­sé un signa­le­ment au par­quet rela­tant les faits "pour cer­tains des hommes mentionnés".

Au-​delà de son cas par­ti­cu­lier, Deborah de Robertis affirme vou­loir lan­cer le #MeToo du milieu de l’art : “J'appelle toutes les femmes, avec ou sans vulve, toutes les per­sonnes inter­sexes, trans et non-​binaires, et toutes les per­sonnes sous-​représentées – qu’elles soient artistes, assistant·es ou sta­giaires du monde de l’art – à oser s’exprimer”, lance-​t-​elle solen­nel­le­ment. Et de conclure : “Dans le hors champ des ins­ti­tu­tions, des bien­nales et des musées de renom, le patriar­cat contem­po­rain garde la main­mise sur les sexes et sur les expo­si­tions qui se veulent toutes fémi­nistes ! Ça expose des vulves blanches au nom de l’émancipation mais à condi­tion bien sûr, que ce sexe exhi­bé serve de cou­ver­ture et n’accuse ni leurs cura­teurs, ni leurs mécènes, ni leurs spon­sors, ni leurs directeurs…”

VALIE EXPORT ne cau­tionne pas

Reste que l’ensemble de la démarche demeure confus et mal­adroit. En 2023, Deborah de Robertis s’était offus­quée dans la presse que son Miroir de l’origine n’ait pas été, au départ, pré­vu pour faire par­tie des œuvres hom­mages à L'Origine du monde au sein de l’expo Lacan qui se pré­pa­rait à Metz. Si fina­le­ment, après des pour­par­lers avec la direc­trice du musée, Chiara Parisi, et Bernard Marcadé lui-​même, son oeuvre a été inté­grée au cata­logue, com­ment ne pas voir dans l’action de de Robertis une forme de ran­cune envers l’institution ?

Surtout, quel sens don­ner à la souillure (sym­bo­lique, puisque cette pein­ture est lavable) d’œuvres de femmes, de sur­croît de femmes fémi­nistes telles que l'Aurtrichienne VALIE EXPORT et Louise Bourgeois ? En quoi écrire Me Too sur celles-​ci ou sur celle de Courbet, qui, en inti­tu­lant son tableau de la sorte, fait acte de fémi­nisme lui aus­si pour son époque, fait-​il avan­cer la légi­time lutte contre les vio­lences sexistes et sexuelles ? Dans une décla­ra­tion dif­fu­sée sur son compte Instagram ce mar­di, VALIE EXPORT, 83 ans, affiche sa conster­na­tion : "Chaque oeuvre d'art a son propre lan­gage, un lan­gage que les artistes donnent à leur tra­vail. Il s'agit d'un lan­gage auto­nome, dans lequel on ne peut pas inter­fé­rer sans le consen­te­ment de l'artiste. Si ce lan­gage auto­nome est vio­lé par une inter­ven­tion non auto­ri­sée par l'artiste, l'autonomie de l'oeuvre d'art est détruite." Déçue de cette réac­tion, Deborah de Robertis sou­ligne qu'"une des artistes fémi­nistes les plus sub­ver­sives n'a pas besoin de mode d'emploi pour com­prendre et lire ce genre de geste, d'autant plus que l'oeuvre n'est pas détruite." 

Habituée des pour­suites judi­ciaires en rai­son de ses méthodes bous­cu­lant les ins­ti­tu­tions – elle a été relaxée dans son affaire d'exhibition au Louvre en 2017 – l'artiste mili­tante demeure, auprès de Causette, éva­sive sur ce qu'elle compte faire de l'oeuvre pillée d'Annette Messager, atten­dant "d'être convo­quée par la police". Et de mar­te­ler, quand on évoque une pos­sible res­ti­tu­tion (Messager en avait fait don à Marcadé) : "Pour moi, c'est à lui de me la res­ti­tuer, ce serait un comble qu'il me la demande."

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