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Emmanuel Macron © Pietro NAJ-OLEARI / Flickr

Violences sexistes et sexuelles : en Macronie, l'ère de l'impunité ?

Alors que le rema­nie­ment doit être annon­cé ce lun­di 4 juillet, les obser­va­trices fémi­nistes scru­te­ront les choix d'Élisabeth Borne et Emmanuel Macron quant aux ministres visé·es par des accu­sa­tions de viol.

« Sur tous ces sujets de har­cè­le­ment, d’agressions sexuelles, il ne peut y avoir aucune impu­ni­té », décla­rait la Première ministre, Élisabeth Borne, à la suite des révé­la­tions concer­nant le ministre des Solidarités Damien Abad, accu­sé de viol par deux femmes (dont l’une a dépo­sé deux plaintes, clas­sées sans suite). Depuis, une troi­sième a révé­lé avoir subi une ten­ta­tive de viol et le par­quet a ouvert une enquête pré­li­mi­naire. Quant à la secré­taire d’État char­gée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats inter­na­tio­naux Chrysoula Zacharopoulos accu­sée de viols dans le cadre de l'exercice de son métier de gyné­co­logue, elle est visée par deux plaintes depuis le 22 juin. 

Tout comme Gérald Darmanin, recon­duit à l’Intérieur mal­gré deux plaintes – clas­sées elles aus­si sans suite – pour viol, har­cè­le­ment sexuel et abus de fai­blesse. Il y a aus­si Éric Dupond-​Moretti, qui reste garde des Sceaux, alors qu’il est mis en exa­men depuis juillet 2021 pour « prise illé­gale d’intérêts ». La volon­té de « mora­li­sa­tion » de la vie publique affi­chée en 2017 par Emmanuel Macron est-​elle défi­ni­ti­ve­ment enter­rée ? Le rema­nie­ment annon­cé ce lun­di 4 juillet va appor­ter des élé­ments de réponse.

Béligh Nabli

Maître de confé­rences HDR (habi­li­té à diri­ger des recherches) en droit public. Auteur de La République du soup­çon (éd. Cerf, 2018)

“On ne peut pas par­ler d’impunité au sens lit­té­ral et juri­dique du terme, puisque les res­pon­sables poli­tiques doivent répondre de leurs actes lorsqu’ils sont délic­tuels ou cri­mi­nels – même s’ils béné­fi­cient, notam­ment en tant que ministres, d’une juri­dic­tion spé­ciale qui est la Cour de jus­tice de la République. Mais ce qui est effec­ti­ve­ment mar­quant sous l’ère d’Emmanuel Macron, c’est que des accu­sa­tions graves, voire des enquêtes judi­ciaires ou des mises en exa­men ne sont sui­vies d’aucune sanc­tion poli­tique – telle qu’une démis­sion ou une non-​reconduction. En cela, il y a une rup­ture assez nette avec ce qu’il a vou­lu affi­cher en 2017, avec une valo­ri­sa­tion du dis­cours de l’exemplarité et l’adoption d’une loi ren­for­çant les obli­ga­tions des poli­tiques. La ligne de défense de l’exécutif, et du pré­sident en par­ti­cu­lier, consiste à dire : “Il y a une pré­somp­tion d’innocence.” Sur le plan légal, c’est juste. Le pro­blème, c’est que ça ne répond pas à la logique de l’exemplarité, qui ne se résume pas au res­pect du droit. Car l’exemplarité, c’est jus­te­ment deman­der plus, en affi­chant un com­por­te­ment exem­plaire. Il a fal­lu attendre très long­temps pour voir appa­raître des lois spé­ci­fiques en matière de mora­li­sa­tion : après celle sur le finan­ce­ment des par­tis, en 1988, il y a eu un vide, jusqu’aux lois de 2013 et de 2017. La période char­nière, c’est la fin du man­dat de Nicolas Sarkozy et le début de celui de François Hollande, où l’exemplarité s’est impo­sée dans le débat. Le man­dat d’Emmanuel Macron marque une régres­sion, qui se tra­duit par la fin de la “juris­pru­dence Balladur”, qui consiste à ce qu’un ministre mis en exa­men doive démis­sion­ner. Mais qui n’a jamais été consa­crée par la loi.”

Vanessa Jérome

Politiste asso­ciée à l'Université
de Victoria (Canada)

“Pendant long­temps les poli­tiques se sont peu sou­ciés d’exemplarité. Et du côté des citoyens, il n’ y avait pas, non plus, de demande par­ti­cu­lière de ce côté-​là ; des élus condam­nés dans des affaires finan­cières ont sou­vent été réélus. La par­ti­cu­la­ri­té du quin­quen­nat Macron, c’est le déca­lage entre l'affichage, la reven­di­ca­tion d’exemplarité et la réa­li­té. En 2017, il a mis un temps fou pour com­po­ser le gou­ver­ne­ment car il disait vou­loir véri­fier minu­tieu­se­ment que tous les ministres étaient irré­pro­chables. Tout ça pour nom­mer Nicolas Hulot… Si on parle d'affaires finan­cières, tous les par­tis ne sont pas à éga­li­té. Ne serait-​ce que parce que pour qu'un sys­tème de cor­rup­tion soit ins­tal­lé, il faut être en situa­tion de pouvoir,donc ceux qui ne gou­vernent pas sont moins expo­sés. En revanche, en matière de vio­lences sexuelles, aucun par­ti ne peut se tar­guer d’être exem­plaire. Beaucoup a été fait depuis Metoo. Et il est deve­nu de plus en plus cou­teux, à tous points de vue, ne pas lut­ter contre leur exis­tence. Ces der­nières années, tous les par­tis de gauche ont mis en place des cel­lules d’écoute, des com­mis­sions d’enquête interne et des actions defor­ma­tion. Il n'existe rien d’aussi for­mel dans les par­tis de droite, chez les mar­cheurs et à l'extrême droite. Mais y com­pris à gauche, la volon­té s'effrite tou­jours lorsqu'il s'agit d'envisager des sanc­tions. Certes, les membres des par­tis ne sont pas des juristes mais on pour­rait ima­gi­ner que s’instaure une forme de micro-​contrôle mili­tant plus ser­rée pour signa­ler les har­ce­leurs et les agres­seurs, et sur­tout, les sanc­tion­ner, par exemple en leur inter­di­sant toute inves­ti­ture ; y com­pris tem­po­rai­re­ment, par prin­cipe de pré­cau­tion. Cela arrive par­fois. Mais il faut batailler beau­coup avec les appa­reils, sur­tout lorsque le poten­tiel élec­to­ral des can­di­dats est éle­vé. J'entends encore beau­coup dire, comme à l'époque de Denis Baupin, “A part ça, il coche toutes les cases”. Preuve que les règles du champ poli­tique sont tou­jours les plus fortes et l’emportent sur l’exemplarité.”

Marine Turchi 

Journaliste chez Mediapart

“Pour ce qui est des vio­lences sexuelles, il est dif­fi­cile de com­pa­rer les quin­quen­nats Macron aux pré­cé­dents, parce que avant, la presse enquê­tait peu sur le sujet. Le pré­cé­dent qui vient en tête est Georges Tron. Nous sommes en mai 2011, en pleine affaire DSK, sous Sarkozy. Il est secré­taire d’État et démis­sionne immé­dia­te­ment après le dépôt de deux plaintes pour agres­sion sexuelle. À l’époque, Matignon explique que ce départ doit per­mettre à Georges Tron d’assurer sa défense, au minis­tère de la Fonction publique de cor­rec­te­ment tra­vailler et que tout cela ne pré­juge pas des suites qui seront don­nées par la jus­tice. Une posi­tion inverse à celle d’aujourd’hui. Que vous soyez mis en exa­men, sous enquête judi­ciaire pour viol ou visé par des accu­sa­tions mul­tiples dans un article de presse étayé, il n’y a pas de démis­sion. À titre de com­pa­rai­son, en Allemagne, il y a eu deux ministres, en 2013 et 2021, qui ont démis­sion­né parce qu’elles étaient accu­sées de pla­giat pour leur thèse. En Suède, une ministre a démis­sion­né pour avoir dépen­sé 5 000 euros de frais per­son­nels avec sa carte pro­fes­sion­nelle. En Norvège, un ancien dépu­té a car­ré­ment été condam­né à de la pri­son pour avoir détour­né envi­ron 41 000 euros. En Grande-​Bretagne, il y a sou­vent des démis­sions après des scan­dales de notes de frais… En France, c’est de plus en plus rare. On a certes l’exemple de Bayrou et de Rugy, qui ont démis­sion­né, mais pas de prin­cipe de pré­cau­tion pour les ministres accu­sés de viol. Il y a une par­tie de la socié­té pour qui c’est un vrai sujet. Mais beau­coup de gens ont aus­si du mal à com­prendre que c’est d’intérêt public.” 

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