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Le 25 novembre 2023, Paris. NousToutes a appelé à manifester ce samedi 25 novembre contre les violences de genre, sociales et d'État. © Claire Série / Hans Lucas via AFP

Féministes juives : “On se sent très seules”

Depuis les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre dernier, des féministes juives se sentent mal à l'aise, voire laissées pour compte ou prises pour cible. Une impression renforcée par les marches du 25 novembre.

Solitude”, “déception”, “attristée”, "désabusée" : ce sont les termes employés par des féministes de confession ou de culture juive, qui disent se sentir lâchées par les mouvements féministes auxquels elles appartiennent ou au sein desquels elles militent, parfois depuis des années. Toutes évoquent une grande fatigue, amplifiée par les réseaux sociaux.

Parmi les femmes que Causette a interrogées, plusieurs regrettent en premier lieu que les violences sexuelles subies par des victimes israéliennes, le 7 octobre dernier, soient passées sous silence. Pour moi, on aurait dû en parler dès le lendemain. Les arguments consistant à dire que l'on ne savait pas et qu'il n’y a pas de preuve sont difficiles à accepter puisque tout a été filmé et posté presque en direct sur les réseaux par les terroristes eux-mêmes”, avance Myriam Levain, co-fondatrice du site féministe Cheek et du site Milim. Celle-ci pointe, dans ce contexte, l’usage fait par les terroristes “du viol comme arme de guerre”. Un “féminicide de masse” selon le terme employé dans plusieurs tribunes et lettres ouvertes, dans L’Obs ou encore Libération.

"Quand il s’agit des Juifs, soit on est mis de côté, soit on est instrumentalisés et à la fin, on ne s’occupe jamais vraiment de nous"

Plusieurs pointent également un traitement discriminatoire, voire antisémite des femmes juives par les mouvements féministes eux-mêmes : Myriam Levain évoque une “déshumanisation consciente ou inconsciente des israéliens. Il y a un problème avec Israël. Est-ce qu’on se dit que ces femmes ont mérité ce qui leur est arrivé ? Je m'interroge. En tout cas, je réalise qu'on a moins d’empathie pour les femmes israéliennes que pour les autres.” Les engagements qui opposent généralement féministes du courant dit intersectionnel à celles de la mouvance universaliste se trouvent ici brouillés : “Dans mon travail de journaliste féministe, ces dix dernières années, j’ai beaucoup cru en l’intersectionnalité mais aujourd’hui je me demande si elle ne s’arrête pas à la porte des Juives.” Un double-standard également pointé du doigt par Illana Weizman, autrice de l'essai Des Blancs comme les autres? Les Juifs, angle mort de l'antiracisme (2022) : “Les féministes juives se sentent très seules et isolées post-7 octobre. Force est de constater qu’il y a a minima une gêne ou un silence assumé de la part d’individus, groupes ou organisations féministes intersectionnelles, regrette t-elle. "Croire les victimes, c’est censé être notre premier adage en tant que féministes, mais visiblement pas dans tous les cas. Là, on se rend compte que le féminisme est au conditionnel : ça dépend de ton lieu de naissance, de ton ethnie, de ta couleur politique... Un dévoiement moral s’est produit et cela m’attriste énormément, je suis très désabusée.”

Silence de la gauche

Pour certaines, les enjeux géopolitiques sont une excuse à l'inaction d'une partie des militantes et parasitent le soutien sororal aux femmes juives :J’ai pu lire de la part de certaines féministes que dénoncer ces violences-là, ce serait donner des gages au gouvernement d’extrême-droite israélien qui s’en servirait pour justifier les massacres en cours à Gaza et les milliers de morts civils, décrypte Illana Weizman. Cela fait écho, chez moi, au silence de la gauche radicale ou de certains groupes antiracistes qui évitent de dénoncer l’antisémitisme trop frontalement parce que le RN instrumentalise cette lutte à des fins islamophobes. Moi je dis qu’il faut d’abord le dénoncer, même s’il est instrumentalisé. D’abord, on doit défendre les victimes, c’est le mot d’ordre. Quand il s’agit des Juifs, soit on est mis de côté, soit on est instrumentalisés et à la fin on ne s’occupe jamais vraiment de nous."
Les marches contre les violences faites aux femmes organisées en France le 25 novembre dernier par le collectif NousToutes (Causette était sur place à Paris) ont renforcé ce sentiment : certaines se sont senties oubliées par les organisations, voire effacées des luttes collectives au profit de mots d'ordre exclusivement pro-Palestinien·nes. Marguerite, militante féministe de culture juive par son père, a participé à la marche à Nantes et raconte, bouleversée, les slogans de soutien à Gaza et l’absence de mots prononcés pour les femmes israéliennes : “C’est comme si on me hurlait dessus que les Juives ne sont pas des humaines, pas des femmes. J’ai eu l’impression qu’on me confisquait un moment où on est censée être toutes ensemble.” “Les femmes juives qui marchaient en leur nom auraient dû être consolées dans ce contexte, mais au lieu de ça, elles se sont fait expulser, c’est hallucinant,” ajoute Myriam Levain, en référence au cortège du collectif "Nous vivrons" écarté de la marche parisienne. Cette dernière note toutefois qu'un soutien commence à poindre depuis samedi dernier : "Ça bouge : je vois un avant et un après. Mieux vaut tard que jamais".

A lire aussi I Le conflit israélo-palestinien s'invite à la Marche du 25 novembre : entre large soutien aux palestiniennes et mise à l'écart des féministes juives 

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