Collage contre les féminicides Besançon août 2020
Collage féministe à Besançon, rendant hommage à Razzia, femme assassinée le 30 octobre 2018 par son ex-conjoint, malgré ses 7 plaintes déposées contre lui. ©Marguerite Faillenet / Wikipedia commons

Féminicides : elles avaient por­té plainte, les forces de l'ordre ne les ont pas protégées

Les récents fémi­ni­cides de Catherine, 54 ans et Fatiha, 27 ans, tuées ven­dre­di der­nier par leurs ex-​compagnons ou encore l'affaire du poli­cier insul­tant une vic­time et jugé ce 8 mars à Pontoise (Val‑d'Oise) mettent de nou­veau en lumière les défaillances des forces de l’ordre dans le trai­te­ment des plaintes pour vio­lences conjugales.

Ce sont res­pec­ti­ve­ment les 23e et 24e fémi­ni­cides de l’année 2023, selon le recen­se­ment effec­tué par le col­lec­tif fémi­niste Nous toutes. Dans la même jour­née ven­dre­di 3 mars, deux femmes ont été tuées par leur ex-​compagnon. En début d’après-midi, Catherine, 54 ans, a été tuée de vingt-​quatre coups de cou­teau à son domi­cile de Saint-Laurent‑d’Arce en Gironde par son ancien com­pa­gnon. Ce der­nier a été retrou­vé pen­du dans un garage par les gen­darmes. Quelques heures plus tard, Fatiha, 27 ans, mour­rait poi­gnar­dée par son ex-​conjoint sur le par­king juste devant l’hôtel où elle tra­vaillait à Amiens (Somme). L’auteur des faits a ensuite retour­né l’arme contre lui. 

Catherine et Fatiha sont mortes alors qu’elles avaient toutes deux déjà dénon­cé aux auto­ri­tés les vio­lences anté­rieures de leur ex-​compagnon. En vain. En ce mer­cre­di 8 mars, Journée inter­na­tio­nale des droits des femmes, force est de consta­ter que l’accueil des femmes vic­times de vio­lences conju­gales dans les com­mis­sa­riats et les gen­dar­me­ries ne les pro­tège pas tou­jours de la mort en 2023 en France.

Deux plaintes non remon­tées au procureur 

Catherine se sen­tait mena­cée depuis plu­sieurs jours par cet ex-​compagnon dont elle était sépa­rée depuis mi-​janvier. Ce der­nier avait déjà été condam­né en 2005 à vingt ans de réclu­sion pour ten­ta­tive d’assassinat sur une ancienne conjointe. Il était sor­ti en 2017 et n’avait pas fait depuis l’objet de sui­vi judi­ciaire. Catherine crai­gnait pour sa vie depuis quelque temps. « J’ai dis­cu­té avec sa sœur, expli­quait le maire de Saint-Laurent‑d’Arce Jean-​Pierre Suberville (sans éti­quette) auprès de France 3 Nouvelle-​Aquitaine. D’après ce que Catherine disait aux gens qu’elle avait au télé­phone, elle sen­tait que cela pou­vait arriver. » 

C’est d’ailleurs parce qu’elle se savait en dan­ger qu’elle avait por­té plainte à deux reprises contre lui le mois der­nier auprès des gen­darmes. Une fois pour des « vio­lences sans inca­pa­ci­té » et une fois pour « dif­fu­sion d’images por­tant atteinte à l’intimité de sa vie pri­vée », a indi­qué le pro­cu­reur de Libourne Olivier Kern dans un com­mu­ni­qué. Sa der­nière plainte datait du 23 février, une semaine avant sa mort. Aucune de ces deux plaintes n’a pour­tant fait l’objet d’une remon­tée auprès du par­quet de Libourne, rap­porte fran­cein­fo. Pourtant, la pro­cé­dure en la matière est claire : toute plainte pour vio­lence conju­gale doit être immé­dia­te­ment trans­mise au pro­cu­reur. C’est à lui que revient ensuite la déci­sion d’ouvrir ou non une instruction.

« Dysfonctionnement du système »

Fatiha aus­si se sen­tait mena­cée. Le couple était sépa­ré depuis le mois d’août der­nier à la suite d’un dépôt de plainte de la jeune femme pour des vio­lences conju­gales, indique France 3 Hauts-​de-​France. Selon BFM-​TV, il fai­sait l'objet d'une convo­ca­tion par procès-​verbal (CPPV) avec pla­ce­ment sous contrôle judi­ciaire et inter­dic­tion d’entrer en contact avec Fatiha. Selon une amie de la jeune femme, il a pour­tant conti­nué de la har­ce­ler et n'a éco­pé que d'« une simple inter­dic­tion d’approcher. Ils ne lui ont pas mis de bra­ce­let, ils n’ont pas mis de télé­phone [grave dan­ger, ndlr] à la dis­po­si­tion de Fatiha, il n’y a rien eu. Pourquoi ? Juste, pour­quoi ? », s’interroge-t-elle auprès de RMC. Pour l'heure, le par­quet d'Amiens n'a pas com­mu­ni­qué indique France 3. Pour l'avocate péna­liste enga­gée contre les vio­lences conju­gales, Yael Mellul, inter­viewée par Le Parisien, il est clair que « ces femmes ne devraient pas être mortes. Elles le sont, car il y a eu un dys­fonc­tion­ne­ment du système. » 

On peut en effet par­ler de « sys­tème » car Catherine et Fatiha ne sont pas des cas iso­lés. Avant elles, il y a par exemple eu Chloé, vic­time d’une ten­ta­tive de fémi­ni­cide à Blois (Loir-​et-​Cher) en décembre 2022. La jeune femme de 24 ans est sor­tie du coma en février. Le jour de la vio­lente agres­sion, Chloé avait bien ten­té de por­ter plainte en se ren­dant au com­mis­sa­riat de police où un agent avait refu­sé de prendre sa plainte, l’invitant à se repré­sen­ter le len­de­main. Il avait aus­si refu­sé de la rac­com­pa­gner chez elle alors même qu’elle se sen­tait mena­cée. Les conclu­sions de l'enquête admi­nis­tra­tive déci­dée par l’Inspection géné­rale de la police natio­nale (IGPN) en décembre sont tom­bées le 5 février der­nier. Le poli­cier qui n'a pas pris la plainte de Chloé ne sera pas pour­sui­vi par la jus­tice. Il a été mis à pied et doit pas­ser en conseil de dis­ci­pline pro­chai­ne­ment. Il encourt une simple sanc­tion disciplinaire.

Lire aus­si I Tentative de fémi­ni­cide : Chloé, la jeune femme vio­lem­ment agres­sée à Blois est sor­tie du coma

À l’image de Chloé, Ophélie aus­si a été mal-​reçue par les forces de l'ordre lorsqu’elle a deman­dé de l’aide. Le 31 juillet der­nier, cette femme de 31 appelle le com­mis­sa­riat, car son ex-​conjoint la menace en bas de chez elle. Au bout du fil, elle tombe sur un fonc­tion­naire de police qui ne semble pas prendre son inquié­tude au sérieux. « Il dit qu’il va me tuer », dit pour­tant la jeune femme au poli­cier. « Non », répond ce der­nier sur un ton iro­nique, pré­cise fran­cein­fo qui a pu consul­ter le PV de retrans­crip­tion de l’appel. Pour se défendre, Ophélie lance à son ex-​compagnon : « Commence pas à crier mon nom en bas de chez moi, casse pas les couilles Issa ». Le poli­cier au bout du fil assène alors un violent « Et tu parles mal grosse merde. Alors tu m’étonnes qu’il te menace. Et rap­pe­lez plus, démerdez-​vous avec. »

Une heure et demie plus tard, Ophélie rap­pelle la police et tombe sur un fonc­tion­naire plus com­pré­hen­sif. Selon fran­cein­fo, c’est en réa­li­té le même poli­cier qui fait mine de ne pas la recon­naître. « Ah bon, il vous a insul­tée ? […] “Démerdez-​vous grosse merde”, ça m’étonnerait », lui répond-​il quand elle se plaint de son pré­cé­dent inter­lo­cu­teur. Le len­de­main, Ophélie sera roué de coups par cet ex-compagnon. 

Ce poli­cier de 48 ans est cité à com­pa­raître ce mer­cre­di 8 mars devant le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Pontoise (Val‑d’Oise) pour « omis­sion de por­ter secours ». « J’ai immé­dia­te­ment caté­go­ri­sé cet appel avec les fan­tai­sistes », a‑t-​il expli­qué au cours de son audi­tion à l’IGPN, rap­porte fran­cein­fo. S’il a for­mu­lé des regrets et recon­nu « avoir mal par­lé à la dame », il a aus­si indi­qué avoir eu « l’impression qu’elle était en train de par­ler avec le sou­rire ». « Une femme en dan­ger n’est pas agres­sive en géné­ral avec l’individu qui la menace », a‑t-​il argué.

Inaction 

Avant elles, il y a eu encore Aurélie Langelin, 33 ans, retrou­vée morte en mai 2021 cou­verte d’ecchymoses au domi­cile de son com­pa­gnon à Douai (Nord). Celui-​ci avait déjà été condam­né à plu­sieurs reprises pour vol, menaces et vio­lences. Peu de temps avant sa mort, elle avait elle aus­si dépo­sé plainte contre lui pour menaces de mort. Sa famille vient d’ailleurs de dépo­ser une plainte pour « non assis­tance à per­sonne en péril » la semaine der­nière contre les quatre poli­ciers inter­ve­nus le soir de la mort d’Aurélie. Appelés la nuit pré­cé­dant le décès de la jeune femme, ils sont en effet inter­ve­nus dans l’immeuble pour une alter­ca­tion entre le com­pa­gnon d’Aurélie et une voi­sine. Les poli­ciers avaient choi­si de ne rien faire alors que les témoins ont par la suite évo­qué pen­dant l'enquête, qu'Aurélie pré­sen­tait cette nuit-​là des « bleus sur les jambes » et se fai­sait insul­ter par son com­pa­gnon, qui mena­çait de la « niquer », de la « cre­ver », de la « buter », indique fran­cein­fo.

C'est en fait le fémi­ni­cide de Chahinez Daoud à Mérignac (Gironde) quelques semaines avant celui d’Aurélie Langelin qui, pour la pre­mière fois, a sou­le­vé une indi­gna­tion natio­nale quant aux man­que­ments de la police pour pro­té­ger les vic­times. Cette femme de 31 ans avait été bles­sée par balle par son ex-​époux avant qu’il l’immole par le feu en pleine rue. Chahinez avait por­té plainte plu­sieurs fois contre lui, la plus récente en mars, deux mois avant sa mort. En jan­vier 2022, les six poli­ciers convo­qués en Conseil de dis­ci­pline pour leur res­pon­sa­bi­li­té dans le fémi­ni­cide de Chahinez avaient éco­pé de sanc­tions légères allant de l’avertissement à trois jours de sanc­tions avec sursis. 

Lire aus­si I Féminicide de Chahinez Daoud : des sanc­tions légères pro­po­sées à l'encontre des policier·ères

Catherine, Fatiha, Chloé, Ophélie, Aurélie et Chahinez – pour ne citer qu’elles – avec une constante : vic­times de vio­lences conju­gales, elles ont ten­té en vain d’obtenir de l’aide de la gen­dar­me­rie ou de la police. Ni leurs craintes ni la dan­ge­ro­si­té de leur ex-​compagnon n’ont été prises au sérieux par les forces de l'ordre. Alors même que l’accueil dans les com­mis­sa­riats et les gen­dar­me­ries des femmes vic­times de vio­lences était l’un des axes majeurs du Grenelle des vio­lences faites aux femmes en 2019, notam­ment par la for­ma­tion des gen­darmes et poli­ciers à une meilleure prise en charge des vic­times. Le poli­cier qui a reçu l'appel d'Ophélie a affir­mé qu'il n'avait pas été for­mé à recueillir ce type d'appel, mais « sen­si­bi­li­sé uni­que­ment à l'école de police », indique franceinfo.

« Porter plainte ne suf­fit pas »

« Que fait-​on pour pro­té­ger les vic­times ? », inter­ro­geait la pré­si­dente de l’Union natio­nale des familles de fémi­ni­cide Sandrine Bouchait au micro de RMC après les fémi­ni­cides de Catherine et Fatiha ce ven­dre­di. « Porter plainte ne suf­fit pas, dénonçait-​elle. Il y a un réel pro­blème de sui­vi et de prise en charge des auteurs. C’est le délai de trai­te­ment des plaintes. » 

Lire aus­si I Reportage : for­ma­tion à la lutte contre les vio­lences conju­gales des policier·ères de Colmar

Concernant le trai­te­ment des deux plaintes dépo­sées par Catherine en février, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a deman­dé same­di l’ouverture d’une enquête admi­nis­tra­tive de l’Inspection géné­rale de la gen­dar­me­rie natio­nale (IGGN) afin de déter­mi­ner s’il y a eu des dys­fonc­tion­ne­ments. Une déci­sion saluée par la ministre délé­guée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Lonvis-​Rome qui a décla­ré sur BFM-​TV qu’il est « très impor­tant qu’on y voie clair dans cette affaire », avant d’ajouter que les fémi­ni­cides sont une « prio­ri­té » pour le gou­ver­ne­ment et que « beau­coup a été lan­cé déjà depuis 2017 en matière de pro­tec­tion des vic­times ». Elle en veut notam­ment pour preuve les 160.000 policier·ières et gen­darmes formé·es depuis 2019, les 4 000 télé­phones grave dan­ger et les 1 000 bra­ce­lets anti-​rapprochement dis­tri­bués, ain­si que l’augmentation de 80 % du nombre de places en héber­ge­ment d’urgence. 

Pour l’avocate péna­liste Yael Mellul inter­viewée par Le Parisien, « les mesures d’éloignement sont bien insuf­fi­santes face aux dan­gers aux­quels sont expo­sées les vic­times. On sait que l’interdiction d’entrer en contact ne freine pas les ex-​conjoints vio­lents. C’est le même constat pour les bra­ce­lets anti-​rapprochement ». Dans le cas du fémi­ni­cide de Catherine, il aurait par exemple fal­lu « une réponse pénale beau­coup plus forte : le pla­ce­ment en déten­tion », explique-​t-​elle au quotidien. 

Création d'un fichier natio­nal des auteur·trices de vio­lences intrafamiliales

Dans une inter­view accor­dée au maga­zine Elle le 1er mars der­nier, la pre­mière ministre Élisabeth Borne a annon­cé dans le cadre du plan inter­mi­nis­té­riel « pour l’Égalité entre les femmes et les hommes », la créa­tion en novembre pro­chain, d’un fichier natio­nal des auteur·trices de vio­lences intra­fa­mi­liales, qui per­met­tra de connaître leurs anté­cé­dents de vio­lences en croi­sant les fichiers des minis­tères de l’Intérieur et de la Justice. Il per­met­tra de « ren­for­cer la vigi­lance des forces de l’ordre et d’éviter ces situa­tions », pré­cise Elisabeth Borne auprès du maga­zine fai­sant réfé­rence aux fémi­ni­cides dans les­quels les vic­times avaient por­té plainte pour vio­lences contre leur ex-compagnon. 

Selon Matignon, les infor­ma­tions sui­vantes seront acces­sibles dans ce fichier : les déten­tions d’armes, les anté­cé­dents de vio­lences et les mesures de pro­tec­tion des vic­times comme une ordon­nance de pro­tec­tion ou le port de bra­ce­let anti-​rapprochement. En réa­li­té, cette mesure avait déjà été annon­cée par Jean Castex en 2021, alors pre­mier ministre, après la publi­ca­tion d’un rap­port de vingt-​sept pages poin­tant l’impressionnante série de défaillances ayant pré­cé­dé le fémi­ni­cide de Chahinez Daoud. 

Pour rap­pel, en 2021, 122 femmes sont décé­dées des suites de vio­lences conju­gales. Selon les chiffres du minis­tère de l’Intérieur, par­mi les 39 femmes vic­times ayant subi des vio­lences anté­rieures à leur mort, 25 avaient signa­lé ces faits aux forces de l’ordre et 21 avaient déjà dépo­sé plainte contre l’auteur des violences.

Lire aus­si I Avec "Nos Absentes", la jour­na­liste Laurène Daycard pro­pose une plon­gée sai­sis­sante et néces­saire dans l'envers des féminicides

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