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Changement de nom : 40.000 demandes ont été enre­gis­trées depuis le mois de juillet

Changer de nom ? Rien de plus facile : depuis le 1er juillet 2022, une simple déclaration à l’état civil suffit pour porter le nom de sa mère, de son père, ou les deux. Et les Français·es en profitent : en six mois, 40.000 demandes ont été enregistrées, alors qu’on en comptait 4 000 par an jusqu’alors. De quoi faire enfin la part belle aux matronymes.

Une « cérémonie athée ». Voilà ce qu’a imaginé Coline Herbomel Ringa, qui est passée devant un officier d’état civil pour ajouter le nom de sa mère à celui de son père. Cette architecte parisienne veut marquer le coup. « Mon compagnon craignait la réaction de nos deux filles, âgées de 3 et 6 ans, qui vont elles aussi changer de nom de famille. Donc on a consulté une psychologue de la PMI, qui nous a suggéré d’organiser une petite fête. » Les invitations vont bientôt être lancées. Une vingtaine d’ami·es proches et de membres de la famille viendront boire, manger, danser pour célébrer cet événement chargé de sens. Coline y pensait depuis longtemps.

En 2015, elle avait commencé à constituer le dossier pour déposer une demande motivée auprès de la garde des Sceaux, avant de baisser les bras devant la complexité des démarches. En cas de motif affectif, ça pouvait prendre des années, sans aucune certitude d’obtenir gain de cause. Depuis le 1er juillet 2022 et la mise en application de la loi relative au choix du nom issu de la filiation, plus besoin de se justifier si l’on veut prendre le nom de l’autre parent. Quand Coline a appris la bonne nouvelle, elle a sauté sur l’occasion pour adjoindre Ringa à Herbomel. Une façon de rendre hommage à sa mère et de réhabiliter ses origines juives. Deux symboles enchâssés l’un dans l’autre : les femmes effacées de l’état civil d’un côté, les victimes de la Shoah de l’autre.

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« Ce qu’on voyait surtout, avant, c’était monsieur Kiki qui voulait s’appeler monsieur Durand pour ne plus subir de moqueries », souligne-t-on dans l’entourage du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, très sensible à cette question. Élevé par sa mère à la mort de son père, l’ancien avocat a choisi de porter leurs deux noms, il y a plusieurs années, et ce, sans difficulté, grâce à sa notoriété. C’est pour réparer une injustice qu’il a soutenu l’an dernier le texte de Patrick Vignal, député Renaissance de l’Hérault, qui est venu simplifier la procédure. Et a provoqué un appel d’air : les demandes de changement de nom sont passées de 4 000 par an à 40 000 en six mois.

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Héritage révolutionnaire

Un succès qui bouscule le principe très français d’immuabilité du nom de famille, à en croire la sociologue Caroline Bovar : « Chez les Anglo-Saxons, c’est beaucoup plus souple. Les Américains, notamment, peuvent changer de nom quinze fois dans leur vie sur simple déclaration au juge du comté. » Pour les Français·es, les choses se sont compliquées après la Révolution : « Avant, on pouvait modifier son nom quand on en avait un, ou y ajouter celui du lieu d’où l’on venait », raconte la chercheuse, autrice d’un ouvrage intitulé Le Nom des femmes, une enquête sur ses usages et sa transmission (à paraître aux Presses universitaires de Provence). « Mais, ayant constaté que des tas de gens se mettaient à prendre des noms révolutionnaires, les élus de la Convention nationale ont créé un état civil laïc, détaché des registres paroissiaux, et décrété en 1794 qu’aucun citoyen ne pourrait porter un nom autre que celui exprimé dans son acte de naissance », poursuit la sociologue. En grande majorité celui du père, que continuent de porter 82 % des enfants nés en France métropolitaine – 93 % de ceux nés au sein du mariage. En 2021, seuls 12 % avaient le double nom et 5 % uniquement celui de la mère...

« Le nom de famille est un marquage qui ne laisse pas de place à la mère, une façon pour les pères d’affirmer que cet enfant est le leur », estime Marine Gatineau-Dupré. La présidente de l’association Porte mon nom a œuvré pour le vote de la nouvelle loi, qui, en outre, autorise un parent à ajouter un nom d’usage à son enfant mineur, en informant simplement l’autre parent. « J’ai publié un questionnaire en ligne qui m’a permis de recueillir plus de 2 000 témoignages. Il en ressort que 85 % des femmes – donc presque toutes ! – regrettent de ne pas avoir donné leur nom à leur bébé », affirme Marine Gatineau-Dupré, qui est devenue la voix de ces mères invisibles, prises dans des imbroglios administratifs. « Au quotidien, il faut sans arrêt se justifier, quand on prend l’avion, quand on fait l’inscription au centre aéré... Le coup de grâce, pour moi, a été le jour où j’ai emmené mon enfant aux urgences de l’hôpital. J’avais la pièce d’identité de mon fils, mais ils voulaient celle de son père, car je ne pouvais pas justifier de relation de filiation. Trop, c’était trop... »

Traumatismes

Mais très souvent, les changements de nom sont liés à des traumatismes. Un parent absent, violent, incestueux... Le vendredi 1er juillet, Nicole s’est présentée à la mairie du 15e arrondissement de Paris à 9 heures pile. « Ce n’était pas facile », confie cette femme de 62 ans. « Pendant deux jours, je n’ai pas arrêté de pleurer... Mais le matin, en me levant, j’étais super heureuse, j’allais enfin prendre le nom de ma mère ! » Victime d’abus sexuels dans son enfance, toute sa vie, elle a porté le nom de son agresseur. « Il n’y a pas un espace qu’il a laissé intact », affirme-t-elle. En 1996, elle a 36 ans et se bat contre ses démons : « Dès que quelque chose réveillait ma mémoire, je me couvrais de plaques rouges, je tremblais, je claquais des dents. J’avais du mal à vivre de façon moins intense. »

Devant l’étendue des symptômes, un psychiatre lui souffle alors l’idée de se délester de son patronyme, et lui propose de faire jouer ses relations pour accélérer la procédure. Le temps passant, elle finit par décrocher son téléphone et là, manque de chance, son contact à l’Hôtel de ville n’y travaille plus. « Mon dossier était tout en dessous de la pile. J’avais tellement espéré et attendu que j’ai laissé tomber ! » À force de multiplier les démarches pour aller mieux, elle y parvient. Là-dessus, la nouvelle loi arrive. « Le nom, c’est la colonne vertébrale d’une personne. Ma mère reconnaissait les faits, elle s’était excusée de ne pas m’avoir protégée. Porter le sien, c’était comme relancer les dés. »

Tisser de nouveaux liens
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Jacques Boboth, lui, parle de « tourner la page ». Pas question pour cet étudiant en médecine dentaire d’inscrire le nom de son père sur la plaque de son futur cabinet, ni sur sa carte de visite. « Je ne veux pas soigner des gens en portant le nom de famille de quelqu’un qui a exercé des pressions psychologiques ainsi que des violences verbales et physiques sur ma mère, ma sœur et moi. » À 29 ans, il ne veut plus être associé, de près ou de loin, à ce « géniteur » violent contre lequel il a déposé des plaintes et des mains courantes par le passé. Un homme auquel Jacques n’a plus adressé la parole depuis près de vingt ans et qu’il n’a pas revu après que son père a fait l’objet, en 2012, d’une mesure d’éloignement du domicile conjugal. Avancer dans l’existence sans effacer la lignée paternelle ? Impossible... « Son nom, je ne voulais pas le transmettre. Il fallait qu’il s’arrête avec moi... Je ne me voyais pas construire quoi que ce soit sous cette identité ! »

À la place de Kalifa, il a donc embrassé le nom judéo-marocain de sa mère. « Boboth est imprégné de l’essence de ma grand-mère maternelle, qui a toujours été un exemple de bonté et de don de soi. Elle n’est plus de ce monde, mais c’est pour moi une manière de lui rendre un ultime hommage », révèle en souriant le jeune homme. « Plus qu’identifier, le nom relie », affirme la sociologue Caroline Bovar. « C’est une identité en forme d’appartenance à un groupe. Le lien avec un père, mais aussi des cousins, des grands-parents, ainsi qu’avec des origines régionales ou ethniques parfois », explique-t-elle.

Couper le lien

C’est pour couper le dernier lien qu’Ange* conservait avec son père qu’elle s’est saisie de la loi, dont elle a découvert l’existence sur TikTok. « Mon père m’a rejetée à l’annonce de ma transition, il y a quatre ans et demi. Depuis, on ne se parle plus. Je ne voulais donc pas lui donner ce plaisir de continuer à porter son nom », souffle Ange, qui réside dans les Hauts-de-France. Détricoter ce lien est parfois une façon d’en tisser un autre. C’est le cas des jumeaux Antoine et Charlotte Métayer, qui ont changé de nom en même temps. « On a eu le déclic pendant les vacances d’été, avec ma sœur, on se comprend sans se parler », raconte Antoine. Exit le père homophobe. « Comme il n’acceptait pas la personne que je suis devenue, il a coupé les ponts avec moi il y a plusieurs années. Ce n’est pas facile de se construire quand on reçoit ça en pleine figure à 20 ans. L’idée s’est mise à me trotter dans la tête. Puisque lui n’accepte pas qui je suis, pourquoi continuer à porter son nom ? »

Sa décision est prise, en dépit de toute la paperasse à remplir pour prévenir les administrations : impôts, préfecture, banques, assurances... « Ça m’a permis de passer à autre chose, mais aussi de mettre en avant ma maman, une femme hyper forte qui a toujours été là. C’est d’autant plus important qu’on vit dans une société patriarcale où le nom du père reste le premier mot qui nous identifie ! » Un tel hommage aurait certainement fait plaisir aux féministes radicales du XIXe siècle qui, comme Hubertine Auclert, revendiquaient de garder leur nom de jeune fille et de le perpétuer à travers leur progéniture. Aujourd’hui, la loi permet enfin de faire la part belle au matronyme.

* Le prénom a été modifié.

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