Fetes de Bayonne 2015
Les Fêtes de Bayonne en 2015. ©Koudkeu

Violences sexistes et sexuelles aux Fêtes de Bayonne : « On milite pour que ça ne devienne pas une normalité »

Un ras­sem­ble­ment est orga­ni­sé ce soir devant la mai­rie de Bayonne après le décès de l’homme agres­sé lors des Fêtes qui ont eu lieu fin juillet. L’occasion éga­le­ment de dénon­cer les vio­lences sexistes et sexuelles qui émaillent chaque année les fes­ti­vi­tés. Décryptage d'un pro­blème systémique. 

Dire « non à toutes formes de vio­lence durant les Fêtes de Bayonne ». Au len­de­main de l’annonce du décès d’un homme, vio­lem­ment agres­sé pen­dant la 91ème édi­tion des Fêtes qui a eu lieu du 26 au 30 juillet der­nier, un ras­sem­ble­ment aura lieu ce ven­dre­di soir à 18 heures devant la mai­rie de Bayonne (Pyrénées-​Atlantiques), à l’initiative de plu­sieurs cafetiers-​restaurateurs, d’un col­lec­tif de rive­rains et de plu­sieurs asso­cia­tions. Parmi elles, le col­lec­tif Pour une alter­na­tive fémi­niste ! (PAF) sera pré­sent. Ce sera éga­le­ment l’occasion de mani­fes­ter contre les vio­lences sexistes et sexuelles (VSS) qui ont une fois de plus enta­ché les fes­ti­vi­tés. « Nous ne pas­se­rons pas sous silence les 4 plaintes pour viol enre­gis­trées au com­mis­sa­riat de police, indique le com­mu­ni­qué des organisateur·trices du ras­sem­ble­ment. Cela doit suf­fire ! » Le par­quet de Bayonne a en effet annon­cé mar­di l’ouverture de quatre enquêtes pour viol. Selon le par­quet, ces viols sont « sur­ve­nus sur la voie publique ou dans des appar­te­ments » et cer­tains ont pu être « clai­re­ment éta­blis », mais les auteurs pré­su­més n'ont pas encore été identifiés. 

Dans un tweet publié il y a deux jours, l’association fémi­niste basque Itaia indique avoir dénom­bré « au moins 21 agres­sions sexuelles » sur les cinq jours de Fête qui ont ras­sem­blé 1,3 mil­lion de per­sonnes. Elle pré­cise cepen­dant que « cette esti­ma­tion est sous-​évaluée ». Chaque année, la clô­ture des Fêtes est dédiée au sinistre bilan des vio­lences, notam­ment les vio­lences sexistes et sexuelles. « C’est très com­pli­qué d’avoir des chiffres exacts, les vic­times ne témoignent pas sys­té­ma­ti­que­ment des vio­lences qu’elles ont subi ou le font par­fois des semaines ou des mois après, témoigne une membre du col­lec­tif PAF, Arantxa Gascué auprès de Causette. Mais on sait que les agres­sions sont très cou­rantes lors des Fêtes, on a dénom­bré une ving­taine d'agressions sexistes rien que le samedi. »

Violences sys­té­miques

L’an der­nier, deux hommes ont été mis en exa­men pour le viol d’une femme de 27 ans. Et 124 per­sonnes se sont pré­sen­tées aux Postes médi­caux avan­cés (PMA) pour sus­pi­cion de piqûres sau­vages. En 2019, trois agres­sions sexuelles avaient fait l’objet d’une pro­cé­dure judi­ciaire, dont une a abou­ti à la condam­na­tion d’un homme à deux ans d’emprisonnement avec sur­sis. En 2017, un homme avait été condam­né à huit ans d’emprisonnement pour un viol com­mis lors de l’édition 2014. 

Des vio­lences sexistes et sexuelles sys­té­miques qui ont pous­sé le col­lec­tif PAF à œuvrer pour une meilleure lutte et une plus large pré­ven­tion des vio­lences durant cet évé­ne­ment fes­tif, qui attire chaque année de plus en plus de visiteur·euses. En 2017, le col­lec­tif fémi­niste met en place un guide de pré­ven­tion à des­ti­na­tion des bars et des peñas (asso­cia­tions fes­tives inves­ties dans la vie bayon­naise). Puis, il y a deux ans, les membres lancent une for­ma­tion gra­tuite à des­ti­na­tion du per­son­nel des bars et des béné­voles des asso­cia­tions afin de leur indi­quer com­ment réagir lorsqu’une vic­time de vio­lences sexistes et sexuelles se pré­sente. « On leur explique ce que sont les vio­lences sexistes et sexuelles et qu’une main aux fesses est une agres­sion, indique Arantxa Gascué. On leur explique aus­si l’importance de croire la vic­time, de l’écouter et de ne pas la juger. C’est éga­le­ment un temps d’échange avec des mises en situation. » 

Actions de lutte 

Depuis la mise en place de ce pro­to­cole, elle sent les acteur·trices de l’évènement « récep­tifs à faire bou­ger les choses » en matière de lutte contre les VSS. « Les dis­cus­sions qu’on a eu ont été très enri­chis­santes », estime-​t-​elle. À la fin de la for­ma­tion, le col­lec­tif PAF a dis­tri­bué un kit en fran­çais et en basque com­pre­nant un petit livret à des­ti­na­tion des membres du staff, ain­si que des affiches et un maca­ron à col­ler sur la vitrine du bar qui dit « ici, les vio­lences sexistes et sexuelles ne sont pas accep­tées ». « Ça ras­sure les femmes de se rendre dans des éta­blis­se­ments “safe”, elles savent que si elles sont vic­times, elles peuvent venir, elles seront prises en charge », indique la membre du col­lec­tif fémi­niste. Cette année, l’association fémi­niste Itaia a aus­si mis en place une ligne télé­pho­nique ain­si qu’un espace pour accueillir les per­sonnes agres­sées tous les soirs de 21h à 4h du matin. Des maraudes de sen­si­bi­li­sa­tion ont aus­si été menées dans la foule.

Malgré ces ini­tia­tives et la hausse des dénon­cia­tions, la route est encore longue et les Fêtes de Bayonne sont tou­jours l’expression de la vio­lence machiste à l’encontre des femmes. « Chaque année il y a d’innombrables viols, mains aux fesses sans consen­te­ment, de remarques et d’insultes machistes qui font de nous des objets sexuels », dénonce Itaia dans un com­mu­ni­qué publié sur Twitter la veille du début des Fêtes. L’association dénonce l’inaction des poli­tiques publiques notam­ment de la mai­rie de Bayonne qui « limite son action à une cam­pagne d’affichage et pro­fite que les asso­cia­tions bayon­naises s’emparent de l’organisation, créa­tion de per­ma­nence, mise en place de pro­to­cole et for­ma­tion de per­sonnes béné­voles pour faire de ces fêtes un lieu sûr ». 

« On a par­fois l’impression que ça fait par­tie du pay­sage des Fêtes de Bayonne » 

Pour l’association Itiaia comme pour le col­lec­tif fémi­niste PAF, il y a sur­tout la bana­li­sa­tion de ces vio­lences. « Nous avons tous·tes inté­gré et bana­li­sé cer­taines agres­sions sexistes comme fai­sant mal­heu­reu­se­ment par­tie des Fêtes », dénonce Itaia dans un com­mu­ni­qué publié au len­de­main de l’annonce du par­quet. Même sen­ti­ment amer pour Arantxa Gascué. « On a par­fois l’impression que ça fait par­tie du pay­sage des Fêtes de Bayonne, que les gens sont habi­tués à entendre cela chaque année alors ils se disent “Bon, c’est ce qui arrive aux Fêtes de Bayonne”, regrette la membre du col­lec­tif. Nous on milite jus­te­ment pour que les vio­lences sexistes et sexuelles lors des Fêtes ne deviennent pas une normalité . » 

Arantxa Gascué dénonce éga­le­ment la culture machiste de la fête en géné­ral et le fait que la rue reste un espace de domi­na­tion mas­cu­line. « Les hommes s’approprient l’espace public et l’alcool exa­cerbe les com­por­te­ments vio­lents, même s’il faut rap­pe­ler que ce n’est pas du tout une excuse, mar­tèle la mili­tante. Mais pour beau­coup, les Fêtes sont syno­nymes de beu­ve­rie. Il règne un peu l’impression qu’ici, tout est per­mis. » Et les Fêtes de Bayonne sont loin d’être un cas iso­lé. Dans toutes les grandes fes­ti­vi­tés publiques, il y a des agres­sions sexuelles ou des com­por­te­ments sexistes. Lors des Fêtes de Mont-​de-​Marsan par exemple, ache­vées une semaine avant celles de Bayonne, deux sus­pi­cions de viol et d'agression sexuelle ont été signa­lées par le parquet.

Toujours plus de participant·es

Une vio­lence machiste accen­tuée par le nombre tou­jours plus impor­tant de participant·es. « C’est une masse énorme, dans toute la ville, et dans cette masse, il y a évi­dem­ment des pré­da­teurs, souligne-​t-​elle. Surtout dans les rues, il y a vrai­ment beau­coup de monde, il faut être tout le temps aux aguets, on se prend des mains aux fesses tout le temps. » À 34 ans, Arantxa Gascué vient de par­ti­ci­per à sa sei­zième édi­tion. « Même si je suis vic­time au moins une fois d’un com­por­te­ment sexiste, je ne veux pas arrê­ter de les faire, je n’ai pas envie de lais­ser l’espace publique aux hommes vio­lents, soutient-​elle. La ville et les Fêtes appar­tiennent à tout le monde. »

Pour faire bais­ser la fré­quen­ta­tion et per­mettre de mieux pro­té­ger les participant·es, la muni­ci­pa­li­té a mis en place en 2018 un pass payant pour péné­trer dans le péri­mètre des Fêtes pour les non-Bayonnais·es de plus de 16 ans. Une ini­tia­tive qui n'a pas visi­ble­ment pas por­té ses fruits. « Cette année, c’était très com­pli­qué de cir­cu­ler, j’ai trou­vé que c’était par­fois dan­ge­reux, je me demande s’il ne fau­drait pas mieux ins­tau­rer des jauges », s’interroge la militante. 

Exemple de l’Espagne 

Limitation de la fré­quen­ta­tion, action ren­for­cée des poli­tiques publiques, prise de conscience col­lec­tive… Il reste encore un long che­min à faire donc. Et comme sou­vent en matière de lutte contre les vio­lences faites aux femmes, la réponse se trouve peut-​être de l’autre côté de la fron­tière. À une heure de Bayonne, la ville espa­gnole de Pampelune célèbre chaque année les Fêtes de San Fermin du 6 au 14 juillet. Connues dans le monde entier, elles ont pro­vo­qué l’indignation col­lec­tive en 2016, à la suite du viol col­lec­tif d’une jeune fille. Cette affaire, bap­ti­sée « la mana­da », « la meute », avait obli­gé le légis­la­teur espa­gnol à modi­fier le code pénal dans un sens plus res­tric­tif : il n’établit plus de dif­fé­rence entre « abus sexuel » et « viol ». 

Avant l’affaire de la mana­da, il y avait eu le viol et le meurtre d’une jeune femme de 20 ans, Nadore Lafagge. C’était en 2008 et depuis, Pampelune tente de lut­ter contre les vio­lences machistes. Des camé­ras haute défi­ni­tion ont été pla­cées dans les rues de la ville, une police spé­cia­le­ment dédiée à la lutte contre les vio­lences sexistes et sexuelles a été ins­tau­rée, une ligne télé­pho­nique mise à dis­po­si­tion 24 heures sur 24 ain­si qu’un point d’information et de sen­si­bi­li­sa­tion ins­tal­lé sur la place cen­trale de la ville. En consé­quence, depuis, dans 95% des plaintes, l'auteur est iden­ti­fié, relève une étude sur les vio­lences sexuelles lors des fêtes réa­li­sée en 2018. 

« On sent qu’il y a quelque chose de fort là-​bas dans la lutte contre les vio­lences sexistes et sexuelles, j’ai l’impression qu’il y a eu une véri­table prise de conscience, estime Arantxa Gascué. Dès qu’il y a connais­sance d’un viol lors des Fêtes de Pampelune, les gens se ras­semblent sur la place del Castillo pour dénon­cer les vio­lences sexistes et sexuelles, la place est alors pleine de monde. On a fait un ras­sem­ble­ment dimanche à Bayonne, on n’était pas très nom­breux. » Pour Arantxa Gascué, l’heure est donc au ques­tion­ne­ment : « Qu’est ce qui fait qu'à une heure d'ici ce soit si dif­fé­rent ? » En atten­dant de trou­ver la réponse, la jeune femme a pré­vu de don­ner de la voix ce soir, pour pour­suivre la lutte contre toutes les vio­lences et faire, enfin, de l’édition 2024 un espace fes­tif pour tous·tes.

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