Un rassemblement est organisé ce soir devant la mairie de Bayonne après le décès de l’homme agressé lors des Fêtes qui ont eu lieu fin juillet. L’occasion également de dénoncer les violences sexistes et sexuelles qui émaillent chaque année les festivités. Décryptage d'un problème systémique.
Dire « non à toutes formes de violence durant les Fêtes de Bayonne ». Au lendemain de l’annonce du décès d’un homme, violemment agressé pendant la 91ème édition des Fêtes qui a eu lieu du 26 au 30 juillet dernier, un rassemblement aura lieu ce vendredi soir à 18 heures devant la mairie de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), à l’initiative de plusieurs cafetiers-restaurateurs, d’un collectif de riverains et de plusieurs associations. Parmi elles, le collectif Pour une alternative féministe ! (PAF) sera présent. Ce sera également l’occasion de manifester contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) qui ont une fois de plus entaché les festivités. « Nous ne passerons pas sous silence les 4 plaintes pour viol enregistrées au commissariat de police, indique le communiqué des organisateur·trices du rassemblement. Cela doit suffire ! » Le parquet de Bayonne a en effet annoncé mardi l’ouverture de quatre enquêtes pour viol. Selon le parquet, ces viols sont « survenus sur la voie publique ou dans des appartements » et certains ont pu être « clairement établis », mais les auteurs présumés n'ont pas encore été identifiés.
Dans un tweet publié il y a deux jours, l’association féministe basque Itaia indique avoir dénombré « au moins 21 agressions sexuelles » sur les cinq jours de Fête qui ont rassemblé 1,3 million de personnes. Elle précise cependant que « cette estimation est sous-évaluée ». Chaque année, la clôture des Fêtes est dédiée au sinistre bilan des violences, notamment les violences sexistes et sexuelles. « C’est très compliqué d’avoir des chiffres exacts, les victimes ne témoignent pas systématiquement des violences qu’elles ont subi ou le font parfois des semaines ou des mois après, témoigne une membre du collectif PAF, Arantxa Gascué auprès de Causette. Mais on sait que les agressions sont très courantes lors des Fêtes, on a dénombré une vingtaine d'agressions sexistes rien que le samedi. »
Violences systémiques
L’an dernier, deux hommes ont été mis en examen pour le viol d’une femme de 27 ans. Et 124 personnes se sont présentées aux Postes médicaux avancés (PMA) pour suspicion de piqûres sauvages. En 2019, trois agressions sexuelles avaient fait l’objet d’une procédure judiciaire, dont une a abouti à la condamnation d’un homme à deux ans d’emprisonnement avec sursis. En 2017, un homme avait été condamné à huit ans d’emprisonnement pour un viol commis lors de l’édition 2014.
Des violences sexistes et sexuelles systémiques qui ont poussé le collectif PAF à œuvrer pour une meilleure lutte et une plus large prévention des violences durant cet événement festif, qui attire chaque année de plus en plus de visiteur·euses. En 2017, le collectif féministe met en place un guide de prévention à destination des bars et des peñas (associations festives investies dans la vie bayonnaise). Puis, il y a deux ans, les membres lancent une formation gratuite à destination du personnel des bars et des bénévoles des associations afin de leur indiquer comment réagir lorsqu’une victime de violences sexistes et sexuelles se présente. « On leur explique ce que sont les violences sexistes et sexuelles et qu’une main aux fesses est une agression, indique Arantxa Gascué. On leur explique aussi l’importance de croire la victime, de l’écouter et de ne pas la juger. C’est également un temps d’échange avec des mises en situation. »
Actions de lutte
Depuis la mise en place de ce protocole, elle sent les acteur·trices de l’évènement « réceptifs à faire bouger les choses » en matière de lutte contre les VSS. « Les discussions qu’on a eu ont été très enrichissantes », estime-t-elle. À la fin de la formation, le collectif PAF a distribué un kit en français et en basque comprenant un petit livret à destination des membres du staff, ainsi que des affiches et un macaron à coller sur la vitrine du bar qui dit « ici, les violences sexistes et sexuelles ne sont pas acceptées ». « Ça rassure les femmes de se rendre dans des établissements “safe”, elles savent que si elles sont victimes, elles peuvent venir, elles seront prises en charge », indique la membre du collectif féministe. Cette année, l’association féministe Itaia a aussi mis en place une ligne téléphonique ainsi qu’un espace pour accueillir les personnes agressées tous les soirs de 21h à 4h du matin. Des maraudes de sensibilisation ont aussi été menées dans la foule.
Malgré ces initiatives et la hausse des dénonciations, la route est encore longue et les Fêtes de Bayonne sont toujours l’expression de la violence machiste à l’encontre des femmes. « Chaque année il y a d’innombrables viols, mains aux fesses sans consentement, de remarques et d’insultes machistes qui font de nous des objets sexuels », dénonce Itaia dans un communiqué publié sur Twitter la veille du début des Fêtes. L’association dénonce l’inaction des politiques publiques notamment de la mairie de Bayonne qui « limite son action à une campagne d’affichage et profite que les associations bayonnaises s’emparent de l’organisation, création de permanence, mise en place de protocole et formation de personnes bénévoles pour faire de ces fêtes un lieu sûr ».
Pour l’association Itiaia comme pour le collectif féministe PAF, il y a surtout la banalisation de ces violences. « Nous avons tous·tes intégré et banalisé certaines agressions sexistes comme faisant malheureusement partie des Fêtes », dénonce Itaia dans un communiqué publié au lendemain de l’annonce du parquet. Même sentiment amer pour Arantxa Gascué. « On a parfois l’impression que ça fait partie du paysage des Fêtes de Bayonne, que les gens sont habitués à entendre cela chaque année alors ils se disent “Bon, c’est ce qui arrive aux Fêtes de Bayonne”, regrette la membre du collectif. Nous on milite justement pour que les violences sexistes et sexuelles lors des Fêtes ne deviennent pas une normalité . »
Arantxa Gascué dénonce également la culture machiste de la fête en général et le fait que la rue reste un espace de domination masculine. « Les hommes s’approprient l’espace public et l’alcool exacerbe les comportements violents, même s’il faut rappeler que ce n’est pas du tout une excuse, martèle la militante. Mais pour beaucoup, les Fêtes sont synonymes de beuverie. Il règne un peu l’impression qu’ici, tout est permis. » Et les Fêtes de Bayonne sont loin d’être un cas isolé. Dans toutes les grandes festivités publiques, il y a des agressions sexuelles ou des comportements sexistes. Lors des Fêtes de Mont-de-Marsan par exemple, achevées une semaine avant celles de Bayonne, deux suspicions de viol et d'agression sexuelle ont été signalées par le parquet.
Toujours plus de participant·es
Une violence machiste accentuée par le nombre toujours plus important de participant·es. « C’est une masse énorme, dans toute la ville, et dans cette masse, il y a évidemment des prédateurs, souligne-t-elle. Surtout dans les rues, il y a vraiment beaucoup de monde, il faut être tout le temps aux aguets, on se prend des mains aux fesses tout le temps. » À 34 ans, Arantxa Gascué vient de participer à sa seizième édition. « Même si je suis victime au moins une fois d’un comportement sexiste, je ne veux pas arrêter de les faire, je n’ai pas envie de laisser l’espace publique aux hommes violents, soutient-elle. La ville et les Fêtes appartiennent à tout le monde. »
Pour faire baisser la fréquentation et permettre de mieux protéger les participant·es, la municipalité a mis en place en 2018 un pass payant pour pénétrer dans le périmètre des Fêtes pour les non-Bayonnais·es de plus de 16 ans. Une initiative qui n'a pas visiblement pas porté ses fruits. « Cette année, c’était très compliqué de circuler, j’ai trouvé que c’était parfois dangereux, je me demande s’il ne faudrait pas mieux instaurer des jauges », s’interroge la militante.
Exemple de l’Espagne
Limitation de la fréquentation, action renforcée des politiques publiques, prise de conscience collective… Il reste encore un long chemin à faire donc. Et comme souvent en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, la réponse se trouve peut-être de l’autre côté de la frontière. À une heure de Bayonne, la ville espagnole de Pampelune célèbre chaque année les Fêtes de San Fermin du 6 au 14 juillet. Connues dans le monde entier, elles ont provoqué l’indignation collective en 2016, à la suite du viol collectif d’une jeune fille. Cette affaire, baptisée « la manada », « la meute », avait obligé le législateur espagnol à modifier le code pénal dans un sens plus restrictif : il n’établit plus de différence entre « abus sexuel » et « viol ».
Avant l’affaire de la manada, il y avait eu le viol et le meurtre d’une jeune femme de 20 ans, Nadore Lafagge. C’était en 2008 et depuis, Pampelune tente de lutter contre les violences machistes. Des caméras haute définition ont été placées dans les rues de la ville, une police spécialement dédiée à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles a été instaurée, une ligne téléphonique mise à disposition 24 heures sur 24 ainsi qu’un point d’information et de sensibilisation installé sur la place centrale de la ville. En conséquence, depuis, dans 95% des plaintes, l'auteur est identifié, relève une étude sur les violences sexuelles lors des fêtes réalisée en 2018.
« On sent qu’il y a quelque chose de fort là-bas dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, j’ai l’impression qu’il y a eu une véritable prise de conscience, estime Arantxa Gascué. Dès qu’il y a connaissance d’un viol lors des Fêtes de Pampelune, les gens se rassemblent sur la place del Castillo pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles, la place est alors pleine de monde. On a fait un rassemblement dimanche à Bayonne, on n’était pas très nombreux. » Pour Arantxa Gascué, l’heure est donc au questionnement : « Qu’est ce qui fait qu'à une heure d'ici ce soit si différent ? » En attendant de trouver la réponse, la jeune femme a prévu de donner de la voix ce soir, pour poursuivre la lutte contre toutes les violences et faire, enfin, de l’édition 2024 un espace festif pour tous·tes.