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Photographie d'identité judiciaire de Rudolf Muller. Hambourg, 1934.

Paris : au Mémorial de la Shoah, une expo sur la répres­sion des homo­sexuels et les­biennes sous le nazisme

Une expo­si­tion au Mémorial de la Shoah se penche pour la pre­mière fois sur le sort des homo­sexuels et des les­biennes sous le nazisme. Persécuté·es, isolé·es, déporté·es et exécuté·es, elles et ils sont long­temps resté·es dans l’ombre de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. 

C’est un pan de l’Histoire long­temps pas­sé sous silence. Le des­tin des « tri­angles roses »1 et des les­biennes est un objet d’étude depuis seule­ment une tren­taine d'années. Très peu sont celles et ceux à avoir témoi­gné après la guerre de leurs années de per­sé­cu­tion parce qu’elles et ils étaient gay et les­biennes dans l’Europe du III ème Reich. Pourtant, les historien·nes estiment à près de 100 000 les homo­sexuels qui furent fichés par le régime Nazi. 50 000 ceux qui firent l’objet d’une condam­na­tion et entre 5 000 et 15 000 ceux qui furent envoyés dans les camps de concen­tra­tion où la grande majo­ri­té ne revien­dra pas. Difficile d’estimer le nombre de les­biennes per­sé­cu­tées par le régime nazi, les rela­tions entre femmes n’entrant pas dans le champ de la loi allemande. 

Comme pour rat­tra­per enfin le temps et don­ner la voix à ces femmes et ces hommes, le Mémorial de la Shoah accueille la pre­mière expo­si­tion ins­ti­tu­tion­nelle sur le sujet. Inaugurée en juin 2021 à l’occasion du mois des fier­tés, l’exposition Homosexuels et les­biennes dans l’Europe nazie se tient au troi­sième étage de l'institution pari­sienne jusqu'à la fin du mois de mars.

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Exposition Homosexuels et les­biennes dans l’Europe nazie. ©A.T.
Temps long 

L’exposition, uni­que­ment consa­crée aux cas alle­mands et fran­çais, suit un par­cours chro­no­lo­gique qui s’inscrit dans le temps long. Des pre­miers mou­ve­ments homo­sexuels de la fin du XIXème siècle aux récents pro­ces­sus mémo­riels du XXIème siècle. « La période sombre du nazisme n’est pas une paren­thèse incom­pré­hen­sible dans l’histoire des per­sé­cu­tions des homo­sexuels et des les­biennes, sou­ligne d’emblée Florence Tamagne, com­mis­saire de l’exposition et maî­tresse de confé­rences en his­toire contem­po­raine à l’Université de Lille, qui a consa­cré sa thèse à l’histoire de l’homosexualité durant l’entre-deux guerres. Le nazisme s’inscrit dans une conti­nui­té répres­sive au sein d'une socié­té majo­ri­tai­re­ment hos­tile à la libé­ra­tion sexuelle depuis bien plus long­temps. » Pour com­prendre la mon­tée des per­sé­cu­tions, l’exposition explore tout d'abord l’éclosion d’une sub­cul­ture cita­dine – à Paris et Berlin – dans les années folles où homo­sexuels et les­biennes se retrouvent dans les caba­rets, les grands bals tra­ves­tis et les salons pri­vés. Si une visi­bi­li­té s'affirme alors dans l’art, la lit­té­ra­ture et le ciné­ma – en témoignent les nom­breuses cou­pures de presse et pho­to­gra­phies pré­sen­tées – les témoi­gnages de l'époque rap­pellent que pour une majo­ri­té d’hommes et de femmes, la dis­cré­tion reste de mise. 

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Photographies de caba­ret. Exposition Homosexuels et les­biennes dans l’Europe nazie. ©A.T.

Si la France abroge « le crime de sodo­mie » pas­sible de la peine de mort en 1791 – ce qui ne veut pas dire que l’homosexualité est bien vue -, l’Allemagne conti­nue de péna­li­ser par le para­graphe 175 du Code pénal, « la débauche contre nature […] com­mise entre per­sonnes de sexe mas­cu­lin ou entre être humains et ani­maux » au début du XXème siècle. La répres­sion s’intensifie lorsqu'Hitler arrive au pou­voir en 1933 : les revues homo­sexuelles sont désor­mais inter­dites, les clubs ferment et les mou­ve­ments mili­tants dis­sous. « On voit un tour­nant avec la modi­fi­ca­tion du para­graphe 175 en sep­tembre 1935, qui affirme que toute expres­sion de désir entre hommes est désor­mais sous le coup de la loi », constate Florence Tamagne. La peur s'empare des homo­sexuels vivant en Allemagne aus­si bien que dans les ter­ri­toires annexés comme l’Alsace-Lorraine. 

Le cas des lesbiennes 

L’exposition met éga­le­ment en lumière la com­plexi­té pour les chercheur·euses d’analyser et quan­ti­fier les répres­sions subies par les les­biennes. Contrairement aux hommes, elles ne sont pas condam­nées ni dépor­tées pour le seul motif d’aimer une autre femme puisque l'homosexualité fémi­nine n'est pas péna­li­sée. « Le les­bia­nisme est jugé secon­daire par le régime qui pense pou­voir le contrô­ler, pré­cise la com­mis­saire. Pour le régime, c'est un phé­no­mène anec­do­tique. Les méde­cins et psy­chiatres de l'époque pensent qu'être les­bienne n'est qu’une phase dans la vie d'une femme et que l’instinct mater­nel fini­ra for­cé­ment par refaire sur­face pour la sau­ver de la per­ver­sion. » Si elles n’ont pas por­té le tri­angle rose cou­su sur la poi­trine des hommes, elles sont nom­breuses à avoir été éga­le­ment dépor­tées dans les camps de concen­tra­tion au motif qu'elles étaient « juives », « com­mu­nistes », « aso­ciales » et/​ou « cri­mi­nelles ». « Le régime a trou­vé d'autres motifs légaux pour enfer­mer ces femmes qui furent sou­vent vic­times de viols et d’humiliations dans les camps, indique Florence Tamagne. Elles furent aus­si for­cées de se pros­ti­tuer dans le bor­del du camp, sous la fausse pro­messe d’être libé­rées et souf­frirent éga­le­ment de l’ostracisme de la part de leurs co-détenues. » 

Vers une recon­nais­sance officielle
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Exposition Homosexuels et les­biennes dans l’Europe nazie. ©A.T.

Mêlant recherches scien­ti­fiques his­to­riques récentes, archives inédites, conte­nus audio­vi­suels ain­si que dix-​huit par­cours de vies d’homosexuels et de les­biennes vic­times de la répres­sion nazie, cette expo est une source de connais­sances pré­cieuse. Elle consacre toute une der­nière par­tie à la lente et dif­fi­cile quête de recon­nais­sance du sta­tut de déporté·es ain­si que la réha­bi­li­ta­tion de ces femmes et ces hommes dans les mémoires. « Il faut attendre les années 1970 pour que la dépor­ta­tion pour motif d’homosexualité com­mence à être enten­due, sous l’influence des mou­ve­ments de libé­ra­tion gay et les­bien », sou­ligne Florence Tamagne. À l’image de Pierre Seel, dépor­té à l’âge de 17 ans et pre­mier Français à témoi­gner à visage décou­vert de ces per­sé­cu­tions en 1994. En 2001, Lionel Jospin amorce le début d’une recon­nais­sance offi­cielle de la dépor­ta­tion homo­sexuelle. Depuis 2010, des mili­tantes les­biennes alle­mandes et autri­chiennes demandent l’installation d’un monu­ment propre aux les­biennes dans l’enceinte du mémo­rial de Ravensbrück (Allemagne). Il n'a été vali­dé que cet été, soixante-​seize ans après la libé­ra­tion du camp. 

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  1. Le tri­angle rose, pointe vers le bas, cou­su sur la poi­trine était le sym­bole uti­li­sé par les nazis pour mar­quer les homo­sexuels dans les camps de concen­tra­tion.[]
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