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25 novembre 2023, place de la Nation, une dizaine de femmes enfilent un jogging gris qu’elles barbouillent de peinture rouge au niveau de l’entre-jambe. L’action symbolise le kidnapping de Naama Levy. © A.T

La menace d’Aurore Bergé de cou­per les sub­ven­tions d’associations aux pro­pos “ambi­gus” divise les féministes

"Instrumentalisation", "indi­gna­tion sélec­tive", "répres­sion poli­tique"… les décla­ra­tions de la ministre Aurore Bergé – qui pro­pose de cou­per les finan­ce­ments d’associations fémi­nistes qui auraient des pro­pos “ambi­gus” sur le 7 octobre – divisent à nou­veau les féministes.

Dimanche, la ministre char­gée de l’Égalité entre les femmes et les hommes a annon­cé, sur Radio J, son inten­tion de pas­ser “au crible” les asso­cia­tions fémi­nistes finan­cées par l’État. “S’il y a la moindre ambi­guï­té sur des pro­pos qui auraient été tenus le 7 octobre, il ne serait pas nor­mal que ces asso­cia­tions conti­nuent à avoir des sub­ven­tions de la part du gou­ver­ne­ment”, a ain­si décla­ré Aurore Bergé. D’un côté, #NousToutes dénonce aujourd’hui une “ins­tru­men­ta­li­sa­tion”, à la suite des cri­tiques adres­sées au col­lec­tif concer­nant sa réac­tion aux vio­lences com­mises le 7 octobre, et plus par­ti­cu­liè­re­ment depuis la marche du 25 novembre der­nier. De l’autre, les fémi­nistes juives confirment “l’indignation sélec­tive” de cer­taines asso­cia­tions fémi­nistes, tan­dis que le cabi­net de la ministre se défend de toute ten­ta­tive de censure.

Lire aus­si I 7 octobre : le gou­ver­ne­ment menace de cou­per les finan­ce­ments d’associations fémi­nistes aux pro­pos jugés “ambi­gus”

Détournement

Si #NousToutes – qui ne reçoit pas de sub­ven­tions de l’État – n’est a prio­ri pas mena­cé par l’annonce d’Aurore Bergé, des membres du col­lec­tif se sont néan­moins pro­non­cées sur ces poten­tielles sanc­tions finan­cières. Dans le sillage de la marche du 25 novembre der­nier, l’organisation avait été cri­ti­quée pour avoir jusque-​là sup­po­sé­ment nié les vio­lences sexuelles et fémi­ni­cides per­pé­trées contre les Israéliennes par le Hamas le 7 octobre. #NousToutes s’en était défen­du deux jours plus tard, affir­mant dans un com­mu­ni­qué condam­ner “sans ambi­guï­té les crimes sexuels et sexistes, viols et fémi­ni­cides com­mis par le Hamas, qui ont par­ti­cu­liè­re­ment visé les femmes, les per­sonnes LGBTQIA+ et les enfants”.

Aujourd’hui, Tatiana Himbert, mili­tante du col­lec­tif, fus­tige auprès de Causette une ten­ta­tive de “la ministre d’instrumentaliser les crimes du Hamas et la riposte d’Israël à Gaza pour évi­ter de prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés”. #NousToutes voit dans ces décla­ra­tions une façon pour Aurore Bergé de contour­ner “le manque de moyens dans la lutte contre les vio­lences de genre”. Tatiana Himbert juge par ailleurs que les sus­pi­cions de la ministre sont infon­dées, puisqu’il n’y a, selon elle, “aucune ambi­guï­té de la part des fémi­nistes, qui sont les pre­mières à dénon­cer toutes les vio­lences faites aux femmes”. Elle invoque un amal­game, où “les asso­cia­tions fémi­nistes qui n’auraient pas dénon­cé les crimes du Hamas sont taxées de com­pli­ci­té de ter­ro­rime.”

D’après David Daoulas, membre du cabi­net d’Aurore Bergé contac­té par Causette, il n’est pour­tant “abso­lu­ment pas ques­tion de jeter le dis­cré­dit sur les asso­cia­tions fémi­nistes”. Le conseiller minis­té­riel insiste “sur la carac­té­ri­sa­tion de ce qui s’est pas­sé le 7 octobre. Il faut avoir la capa­ci­té de recon­naître ce qu’il s’est pas­sé, notam­ment les actions qui ont été menées à l’encontre des femmes qui ont subi des vio­lences phy­siques, des muti­la­tions, des viols et j’en passe”. Le “contrôle” des asso­cia­tions annon­cé par Aurore Bergé et ses poten­tielles réper­cus­sions ne relèvent par ailleurs pas, selon David Daoulas, d’une volon­té de cen­sure, “cha­cun [étant] évi­dem­ment libre de cri­ti­quer la poli­tique du gou­ver­ne­ment israé­lien et ce qui se passe à Gaza depuis le 7 octobre”, commente-​t-​il. Le cabi­net n’a pas sou­hai­té nom­mer les asso­cia­tions visées par cette ini­tia­tive d’Aurore Bergé.

Signalements internes

Autre flou, les termes “pro­pos ambi­gus” employé par la ministre char­gée de l’Égalité entre les femmes et les hommes laisse place à de nom­breuses inter­pré­ta­tions, d’après Tatiana Himbert : “C’est très étrange et dan­ge­reux de ne pas dire ce qu’est un pro­pos ambi­gu.” Si David Daoulas dit ne pas vou­loir jouer sur les mots, il pré­cise que “concrè­te­ment” les pro­pos mis en cause sont des “décla­ra­tions publiques de ces asso­cia­tions”, ain­si que des prises de posi­tion offi­cielles. Il peut par exemple s’agir d’“une décla­ra­tion disant que ce qui s’est pas­sé le 7 octobre est un acte de résis­tance. Ce qui revien­drait à amoin­drir les faits de vio­lence com­mis à l’égard des femmes et des vic­times civiles le 7 octobre”. 

Toujours d’après le conseiller minis­té­riel, l’initiative du gou­ver­ne­ment éma­ne­rait notam­ment de signa­le­ments internes aux asso­cia­tions. “C’est interne et c’est aus­si ce qui a pu être remon­té par les réseaux, par les citoyens, par d’autres asso­cia­tions, autant de per­sonnes qui ont pu être cho­quées par des pro­pos qui tendent à nier ou jus­ti­fier ce qui a pu se pas­ser le 7 octobre”. Pour Tatiana Himbert, Aurore Bergé serait cepen­dant cou­tu­mière de ce genre de pro­po­si­tion en ce qui concerne le conflit israélo-​palestinien, rap­pe­lant des pro­pos de la ministre tenus en 2022 : “Elle avait dit qu’il fal­lait dis­soudre Amnesty International parce qu’ils avaient dénon­cé l’apartheid qu’Israël opé­rait sur la Palestine.”

Une déci­sion courageuse

Au sein des asso­cia­tions juives et/​ou fémi­nistes, les réac­tions sont par­ta­gées. Membre du col­lec­tif citoyen d’action contre l’antisémitisme Nous vivrons, Sarah Aizenman déplore auprès de Causette que cette pro­po­si­tion vise ain­si les asso­cia­tions fémi­nistes, tout en saluant le mes­sage trans­mis par le gou­ver­ne­ment. “On est très embê­tées et très inter­pel­lées que le gou­ver­ne­ment ait mena­cé les asso­cia­tions de leur cou­per leurs sub­ven­tions. Parler des ‘asso­cia­tions fémi­nistes’ comme un groupe uni­forme n’a pas de sens, il s’agit de consi­dé­rer chaque enti­té indi­vi­duel­le­ment, explique-​t-​elle, avant d’ajouter : “Il n’en demeure pas moins qu’avec ses décla­ra­tions cou­ra­geuses, Aurore Bergé a envoyé un signal fort.” Un sen­ti­ment en demi-​teinte par­ta­gé par de nombreux·euses militant·es juif·ves.

La mili­tante LGBT et juive, Élise Goldfarb, coa­ni­ma­trice du pod­cast Coming Out, consi­dère que les juif·ves sont vic­times du “syn­drome du pre­mier de la classe”, défendu·es “par le pro­vi­seur.” En clair : “Des sou­tiens catas­trophes dont on ne veut pas à la base, mais qui sont les seuls qu’il reste”, analyse-​t-​elle auprès de Causette. Aurore Bergé, dont la mili­tante fus­tige par ailleurs les pro­pos jugés trans­phobes, appa­raît ain­si comme une alliée mal­heu­reuse qui a su néan­moins prendre “une déci­sion extrê­me­ment cou­ra­geuse”, selon Élise Goldfarb. 

"Indignation sélec­tive"

Même impres­sion d’être laissé·es pour compte du côté du col­lec­tif Oraaj, orga­ni­sa­tion anti­ra­ciste anti­pa­triar­cale et juive inter­ro­gée par Causette, qui déplore que “beau­coup de col­lec­tifs fémi­nistes [n’aient] pas vou­lu par­ler de ces vio­lences, comme si les recon­naître fai­sait d’eux des col­lec­tifs sym­pa­thi­sants avec Israël, et comme si les femmes et mino­ri­tés de genre israé­liennes qui avaient subi des vio­lences n’étaient pas dignes d’égard”. Le col­lec­tif consi­dère par ailleurs que les quelques voix qui se sont éle­vées pour défendre les Israéliennes l’ont fait dans un but de récu­pé­ra­tion, “pour nour­rir le dis­cours isla­mo­phobe omni­pré­sent en France et ne jamais par­ler des vio­lences, notam­ment de genre, éga­le­ment per­pé­trées à l’encontre de Palestiniennes”.

Lire aus­si I Aurore Bergé, nom­mée à l'Égalité femmes-​hommes et à la Lutte contre les dis­cri­mi­na­tions, atten­due au tournant

Il n’en reste pas moins qu’Oraaj s’oppose pour sa part “à l’annonce d’Aurore Bergé, qui est de l’ordre de la répres­sion poli­tique”. Maya, membre d’associations juives fémi­nistes, affirme à Causette qu'elle serait aus­si "très ennuyée de voir les asso­cia­tions perdre leur finan­ce­ment", tout en dénon­çant une “indi­gna­tion sélec­tive” de la part des asso­cia­tions fémi­nistes. “Je pense que l'État est dans son rôle. Une sub­ven­tion est là pour expri­mer un sou­tien de l'État. Mais quel est le mes­sage envoyé si la France sou­tien une asso­cia­tion fémi­niste qui ne croit pas des femmes vic­times de viols en fonc­tion de leur natio­na­li­té ?". En ce sens, Élise Goldfarb affirme que les asso­cia­tions fau­tives “doivent évi­dem­ment être péna­li­sées”.

Des moda­li­tés à définir

En ce qui concerne les poten­tielles cou­pures de sub­ven­tions impo­sées aux asso­cia­tions, le cabi­net d’Aurore Bergé évite pour l’instant de ren­trer dans les détails. “Il y a pas mal de para­mètres à prendre en compte”, explique David Daoulas, qui ajoute que “tout dépen­dra des pro­pos qui ont été tenus, de ce qui est pré­co­ni­sé par l’administration, les mon­tants des sub­ven­tions…”. Pour l’heure, “un contrôle est en cours et les sanc­tions poten­tielles arri­ve­ront dans un deuxième temps”, conclut le conseiller minis­té­riel. Aurore Bergé a pré­ci­sé avoir for­mu­lé sa demande à l’administration la semaine der­nière et attendre un retour “dans les jours qui viennent”.

Tatiana Himbert, de #NousToutes, main­tient pour sa part que “les asso­cia­tions fémi­nistes dénoncent les crimes faits aux femmes de façon géné­rale, peu importe qui en est l’auteur”, refu­sant ain­si toute accu­sa­tion de “silence” dans le contexte des vio­lences com­mises envers les femmes par le Hamas. Peu convaincu·es, beau­coup de militant·es juif·ves espèrent quant à eux·elles, dans les termes du col­lec­tif Oraaj, “que toutes les voix fémi­nistes qui sont en train de s’élever contre les décla­ra­tions d’Aurore Bergé en pro­fitent pour s’élever à la mémoire des femmes vio­lées et tuées le 7 octobre. Il est pos­sible de faire les deux”. 

Lire aus­si I “À Gaza, le trau­ma­tisme est col­lec­tif et trans­gé­né­ra­tion­nel”, alerte la psy­chiatre pales­ti­nienne Samah Jabr 

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