Quatrième épisode d'une série de chroniques de l'association féministe Politiqu'elles publiées sur Causette.fr, qui, toutes les deux semaines, décrypte les programmes des candidat·es à l'élection présidentielle en matière de droits des femmes. Aujourd'hui, focus sur l’éducation et la déconstruction des stéréotypes de genre dès l’école.

Les jeunes Françaises et Françaises passent en moyenne 30 heures par semaine à l’école : il s’agit donc d’une instance de socialisation majeure où se fabriquent les représentations et normes sociales, y compris la construction de certains stéréotypes de genre. Le système éducatif a ainsi un rôle majeur à jouer pour prévenir les discriminations basées sur le genre et les violences sexistes et sexuelles. En ce sens, le code de l'éducation rappelle par exemple que la transmission de la valeur d'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, doit se faire dès l'école primaire.
Comme dans toutes les sphères de la société, l’égalité réelle n’est pas atteinte dans le milieu scolaire : l’UNICEF mettait en lumière l’existence d’inégalités entre les filles et les garçons dès 6 ans en termes d’accès au savoir, à la santé, aux relations sociales et aux loisirs. L’orientation scolaire différenciée des jeunes filles et garçons est documentée depuis plusieurs années et a eu des conséquences extrêmement préoccupantes sur l’accès des femmes à certaines filières à haute valeur ajoutée (carrières scientifiques, métiers du numérique…). Le manque de représentation des femmes dans les programmes scolaires cristallise également des freins importants à l’accomplissement universitaire et professionnel des jeunes filles.
Dans ce contexte, l’ensemble des candidates et des candidats à l’élection présidentielle 2022 ont un programme consacré à l’éducation, mais la question de l’égalité filles-garçons ou de la prévention des discriminations de genre n’y est pas toujours abordée. Quels sont les candidates et candidats mettant en avant l’éducation comme levier d’égalité femmes-hommes ? Cet article propose une synthèse des mesures annoncées par les prétendantes et prétendants à l’élection présidentielle pour un système éducatif plus égalitaire et participant à la déconstruction des stéréotypes de genres.
Formation des membres de la communauté éducative
La formation de la communauté éducative est une condition essentielle pour assurer un enseignement à l’égalité femmes-hommes et prévenir les comportements différenciés avec les élèves en fonction de leur genre. Le Haut Conseil à l’Egalité Femmes-Hommes rapportait par exemple en 2018 que les enseignantes et enseignants interagissent en moyenne 12% de moins avec les jeunes filles qu’avec les jeunes garçons. Cette question n’est pas directement abordée dans le programme du candidat Emmanuel Macron mais certains éléments y touchent : la convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif (2019−2024) prévoit la formation de l’ensemble de la communauté éducative à la déconstruction des préjugés et à la prévention du harcèlement et des violences sexistes et sexuelles ainsi que la présence d’un “référent égalité” dans chaque établissement scolaire qui doit diffuser une culture de l’égalité au sein de l’école.
Certains candidates et candidats formulent des propositions pour aller plus loin dans la formation du corps enseignant. Jean-Luc Mélenchon souhaite systématiser la formation initiale à l’éducation à l’égalité pour les enseignants mais aussi pour les documentalistes, et conseillers principaux d’éducation et d’intégrer l’égalité filles-garçons aux concours de recrutement des métiers de l’éducation. Le candidat communiste Fabien Roussel défend le lancement d’un plan d’action contre les stéréotypes de genre depuis la crèche jusqu’à l’enseignement supérieur et professionnel avec une formation des professionnels de la petite enfance, du scolaire mais aussi du périscolaire. Anne Hidalgo choisit quant à elle d’axer la formation du personnel éducatif sur la lutte contre les discriminations et le harcèlement, avec un soutien aux associations intervenant en milieu scolaire. Le candidat écologiste Yannick Jadot s’est exprimé en faveur d’une formation des professeurs à la question du genre “afin que les filles et les garçons soient traités de la même manière”.
Enseigner l’égalité femmes-hommes
L’éducation à l’égalité femmes-hommes constitue actuellement un axe important du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, particulièrement quant à la formation de la personne et du citoyen mais dans d’autres éléments enseignements du premier et second degré, notamment dans les cours d’enseignement civique mais aussi d’histoire, de langues, de littérature en particulier. Dans son programme, Emmanuel Macron propose de créer une semaine de sensibilisation dans les établissements scolaires à l’occasion du 8 mars pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dès le plus jeune âge.[EHS1]
Les challengers à gauche avancent des mesures visant à renforcer cet apprentissage. Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo et Yannick Jadot s’engagent à renforcer l’éducation à l’égalité, contre le sexisme et les discriminations racistes et LGBTIphobes, dans les programmes scolaires. Le candidat de la France Insoumise souhaite aussi soutenir les recherches sur les pratiques pédagogiques, et développer une culture et une pédagogie de l’égalité. Fabien Roussel appelle la mise en place d’un plan d’action contre les stéréotypes de genre depuis la crèche jusqu’à l’enseignement supérieur et professionnel. Philippe Poutou met en avant la nécessité d’instaurer une « éducation antisexiste » dans la même lignée. Nathalie Arthaud se positionne pour accorder les moyens nécessaires à l'Education nationale pour informer et instruire sur les questions d'égalité, de sexualité et de droits des femmes.
A droite, si certains programmes n’évoquent simplement pas le thème de l’éducation à l’égalité femmes-hommes et la déconstruction des stéréotypes de genre, Éric Zemmour s’y oppose. Le candidat d’extrême droite a pris la parole à plusieurs occasions contre l’intégration de problématiques liées au genre ou à l’orientation sexuelle dans l’enseignement s’opposant par exemple à une circulaire du Ministère de l’Education Nationale pour une meilleure inclusion de la transidentité à l’école, “Comprendre les réalités et la diversité des situations de transidentités" sur Europe 1 en des termes touchant à la transphobie selon une partie importante de l’opinion publique.
Prévenir les violences sexistes et sexuelles
L’enseignement est également un levier important de prévention des violences sexistes et sexuelles. Parmi les outils essentiels à cette prévention, l’éducation sexuelle, y compris l’éducation au consentement, est primordiale. La loi Aubry du 4 juillet 2001 a rendu obligatoire l’éducation sexuelle dans les écoles, les collèges et les lycées, à raison de trois séances annuelles minimum. Mais, les associations critiquent une applicabilité difficile de cette mesure. En février 2022, une enquête du collectif #NousToutes montrait qu’en moyenne les élèves ne recevaient que 2 à 3 séances sur toute leur scolarité soit 13% du nombre prévu.
Bien qu’en droit, l’éducation sexuelle soit d’ores et déjà obligatoire, les insuffisances en termes de mise en œuvre font l’objet de plusieurs engagements dédiés des candidates et candidats à la présidentielle. Yannick Jadot s’est par exemple exprimé en faveur d’une “éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle autour de la notion de consentement et de respect” qu’il souhaiterait intégrée au temps périscolaire, avec la venue d’associations dans les écoles pour sensibiliser les enfants. La candidate socialiste souhaiterait mettre en place d’une part des séances d’éducation à l’égalité femmes-hommes, au respect de soi et de l’autre, et des cours d’éducation sexuelle et d’éducation au consentement. Le candidat Jean-Luc Mélenchon appelle à une meilleure application de la loi Aubry en matière d’éducation sexuelle, et déployer un plan préventif dans l’Éducation nationale contre les violences sexistes et sexuelles, favorisant l’apprentissage du consentement dès le plus jeune âge. Le programme du candidat Nicolas Dupont-Aignan met l’accent sur l’instauration de campagnes d’information sur la contraception par le Planning familial dans le lycée.. Valérie Pécresse s’est aussi exprimée en faveur d’actions de prévention contre les violences faites aux femmes dans les lycées. Néanmoins, l’actuelle présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse a également été au cœur de plusieurs polémiques à la région, concernant notamment la suppression du Pass contraception ou encore relatives à l’éducation sexuelle dans les lycées franciliens.
Une nouvelle fois, les candidats et candidats d’extrême droite font figure d’exception sur cet enjeu.La candidate Marine Le Pen a déclaré dans une interview en 2021 ne pas être favorable à la “promotion” de la sexualité auprès des mineurs, critique en creux de l’existence d’enseignements d’éducation sexuelle à l’heure actuelle.
En ligne ou à l’école, les jeunes filles sont bien plus exposées au harcèlement comme le soulève l’UNICEF ou en matière de violences, comme le démontre l’étude de 2016 du centre Hubertine Auclert. La lutte contre ces violences peut donc être citée parmi les mesures participant à une plus égalité filles-garçons à l’école. La quasi-totalité des programmes étudiés proposent des mesures contre le harcèlement à l’école, sans que soit nécessairement mentionné le caractère genrée de ces violences. Parmi les équipes de campagne rencontrées par Politiqu’elles, les équipes de Fabien Roussel et Valérie Pécresse ont mentionné l’importance d’une éducation au numérique et de la lutte contre le cyberharcèlement, y compris des jeunes filles. Jean-Luc Mélenchon souligne également l’importance de l’éducation pour prévenir les cyberviolences, ainsi que de la répression des cas de cyberharcèlement les plus graves, avec la création d’une police du cyberspace. Enfin, le candidat Emmanuel Macron propose la mise en place d’un contrôle parental des écrans des enfants systématiquement proposé à l’installation, afin de limiter leur accès aux réseaux sociaux.
L’accès aux loisirs et à l’espace dans l’école n’est pas exempt d’inégalités. Les études réalisées sur l’occupation des cours de récréation montre que l’espace est majoritairement occupé par les garçons, notamment en raison de la présence centrale de terrains de foot principalement utilisés par les garçons. Pour lutter contre ce phénomène, le candidat Jean-Luc Mélenchon souhaite réorganiser les cours de récréation pour permettre l’égalité entre les filles et les garçons, tout comme Yannick Jadot qui se déclare favorable à l’urbanisme égalitaire, en particulier pour réorganiser les cours de récréation.
Permettre la réalisation des vocations des jeunes filles
Les inégalités dans l’orientation des jeunes filles et garçons est une des explications premières du manque de représentation des femmes dans certaines filières à forte valeur ajoutée. A titre d’exemple, bien que les femmes soient majoritaires dans l’enseignement supérieur, les étudiantes sont minoritaires dans les formations sélectives et surtout dans les filières à caractère technique ou scientifique. Selon le Women’s forum, les femmes ne représentent que 24% des employés du secteur technologique et si l’on considère les postes à responsabilité, leur présence chute à 11% à l’échelle internationale.
En France, il semblerait que la récente réforme du baccalauréat ait eu des effets négatifs sur cette question : les mathématiques n’étant plus obligatoires en première et terminale, les lycéennes sont de moins en moins poussées à aller vers ces filières scientifiques avec 10% de filles en moins dans la spécialité mathématiques. Plusieurs candidates et candidats proposent de revenir sur la réforme du baccalauréat parmi lesquels Jean-Luc Mélenchon, Valérie Pécresse, Yannick Jadot, Anne Hidalgo ou encore Marine Le Pen. Cette dernière appelle également à renforcer l’enseignement des mathématiques dans le tronc commun, sans lien formulé par la candidate avec les inégalités filles-garçons dans les dernières déclarations analysées. De façon générale, le candidat insoumis appelle à mettre fin à une représentation genrée des métiers. Par ailleurs, plusieurs candidats et candidates abordent directement la question de l’accès des jeunes filles aux carrières scientifiques y compris Valérie Pécresse et Yannick Jadot d’après les entretiens conduits par Politiqu’elles avec leur équipe de campagne respective
Plus largement, le manque de représentation des femmes dans les manuels scolaires et donc l’absence de rôles-modèles féminins dans certains de domaines (politique, littérature, recherche…) restreint les possibilités à disposition des jeunes filles à se projeter dans certains types de carrières. Une étude sur les manuels scolaires de collèges de 2016 par les chercheuses par Catherine Chadefaud Claire Desaint et Nicole Fouché relevait que “les manuels actuels ne traitent pas d’histoire mixte, […] Les filles qui étudient dans les manuels de 2016 n’ont quasiment aucun modèle, aucune héroïne pour se projeter : ni dans les luttes d’émancipation des femmes, ni dans les engagements citoyens.” Cette thématique est relativement peu abordée dans les programmes des candidates et candidats. Lors d’un entretien avec Politiqu’elles, la porte-parole de Yannick Jadot, Mélissa Camara mentionnait la volonté du candidat de modifier les programmes scolaires pour une représentation plus juste quant au rôle des femmes dans l’histoire et intégrer l’histoire des luttes LGBTQIA féministes aux programmes scolaires. Anne Hidalgo déclarait dans une récente interview vouloir supprimer « les livres scolaires qui véhiculent des stéréotypes de genre à l’école ». Le candidat Nicolas Dupont-Aignan mentionne également vouloir "rééquilibrer les programmes scolaires” pour mieux représenter les femmes.
Nos conclusions et ce qu’il manque à ce stade
L’éducation comme levier d’égalité femmes-hommes est une thématique relativement peu abordée dans les programmes contrairement aux précédents thèmes analysés par Politiqu’elles à savoir la lutte contre les stéréotypes de genre par et au sein du système éducatif est peu développée dans les programmes analysés à l’inverse de la lutte contre les violences, l’émancipation économique ou la santé des femmes notamment (voir notre précédente chronique #Femmes2022 Santé des Femmes, récemment mise à jour). La majorité des programmes et déclarations analysés affichent des objectifs généraux pour renforcer l’éducation et la sensibilisation contre les stéréotypes de genre, une minorité proposent des mesures détaillées sur la question.
Si le sujet de la lutte contre le harcèlement, y compris en ligne, fait l’objet d’engagements ambitieux chez de nombreux candidats, nous ne regrettons qu’encore peu d’entre eux soulignent la dimension genrée de ces violences qui touchent davantage les jeunes filles. Par ailleurs, plusieurs recherches montrent l’importance d’investir cet axe parents-école pour des politiques éducatives plus efficaces. Cependant, nous n’avons pas identifié à ce stade de propositions sur la relation entre les familles et l’école sur les questions d’égalité femmes-hommes. Les associations et structures spécialisées jouent aujourd’hui un rôle important dans la formation à l’égalité femmes-hommes au sein des écoles qui pourrait davantage être souligné par les candidates et les candidats. Concernant le manque de représentation des femmes dans certains secteurs à haute valeur ajoutée, une responsabilisation accrue des filières concernées pourrait être envisagée : les grandes entreprises pourraient être par exemple davantage mises à contribution, en les appelant par exemple à s’engager et à allouer davantage de ressources pour des ateliers ciblés dans les écoles.
Pour finir, si les actions au niveau de l’école sont primordiales pour déraciner et prévenir les inégalités de genre, il nous semble important que ces mesures s’inscrivent dans une construction plus large d’une culture de l’égalité et d’une sphère publique féministe.
Cet article a été réalisé par l’association transpartisane Politiqu’elles dans le cadre du cycle de chroniques « Femmes 2022 » en partenariat avec Causette. L’association s’appuie sur l’analyse des programmes et déclarations des candidates et candidats ainsi que sur des auditions des responsables thématiques au sein des différentes de campagnes. L’équipe projet est pilotée par le binôme Sandrine Elmi Hersi et Agathe Hervey.
La présidente-fondatrice de l’association Fatima El Ouasdi, également élue LREM locale, n’a pas souhaité prendre part au projet compte tenu de ses engagements politiques actuels, afin de garantir la neutralité politique de l’analyse.
Dans un souci de transparence les membres de l’équipe du projet ont également tenu à partager leurs précédentes activités en lieu avec la politique. Agathe Hervey a été collaboratrice parlementaire d'Erwan Balanant (MODEM) jusqu'au 11 février. Sandrine Elmi Hersi a été collaboratrice de la députée Paula Forteza en 2020, ainsi que candidate lors des dernières municipales sur la liste Nouveau Paris (portée par Cédric Villani). Mathilde Lebon, également membre du projet, a participé aux primaires du parti réunionnais Banian en 2021.
Un premier rapport, “Femmes 2017”, avait été publié par l’association lors de la précédente campagne présidentielle. Plus d’infos : [email protected]