Une association d’aînées pas comme les autres : la semaine dernière, les Aînées pour la protection du climat ont réussi à faire condamner la Suisse par la Cour européenne des droits de l’homme pour inaction climatique.
Moyenne d’âge des membres de l’association Les Aînées pour la protection du climat : 73 ans… Et pourtant, pas de repos pour ces retraitées engagées, bien décidées à ne pas “rester les bras ballants” face à l’inaction politique sur l’urgence climatique qu’elles dénoncent. Lancées dans un bras de fer judiciaire de longue haleine avec leur patrie, la Suisse, elles ont, mardi 9 avril, gagné une bataille historique : pour la première fois de son histoire, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné un pays pour inaction climatique… Reconnaissant ainsi que la lutte contre le réchauffement climatique fait partie des droits humains fondamentaux.
C’est en 2016 que l’aventure de ce groupe de seniors militantes commence, lorsque l’affaire Urgenda attire l’attention de plusieurs femmes âgées suisses qui auraient pu se contenter de couler une retraite bien méritée. L’association néerlandaise Urgenda avait poursuivi le gouvernement des Pays-Bas pour inaction face aux objectifs de réduction de gaz à effet de serre. En 2015, la Cour de district de La Haye a jugé en faveur d’Urgenda, affirmant que le gouvernement néerlandais avait l’obligation légale de protéger ses citoyen·nes contre les effets néfastes du changement climatique. C’était la première fois qu’un tribunal ordonnait à un gouvernement de prendre des mesures spécifiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Cette victoire inspirante a mené nos super mamies helvétiques à se regrouper et à contacter des avocat·es environnementalistes afin d’entamer une action judiciaire contre leur pays. Leur angle d’attaque a été de démontrer la vulnérabilité particulière des femmes âgées lors des épisodes caniculaires qu’implique le changement climatique. “Les femmes âgées sont particulièrement impactées par des problèmes cardio-vasculaires et respiratoires lors de ces fortes chaleurs”, nous confie Anne Mahrer, coprésidente de l’association et ancienne présidente des Verts du canton de Genève.
Être une femme et avoir plus de 64 ans
En août 2016, l’association Les Aînées pour la protection du climat est créée. Les critères pour en faire partie sont simples : il faut être une femme, avoir plus de 64 ans et être domiciliée en Suisse. À l’automne 2016, lors du lancement de leur première action en justice, elles n’étaient qu’un petit groupe. Aujourd’hui, elles sont 2 500 à se battre chaque jour pour laisser un monde meilleur, plus durable, aux générations futures.
Entre 2017 et 2020, ces seniors engagées enchaînent les procédures judiciaires contre la Suisse pour inaction en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (notamment sur l’objectif de réduction de 20 % pour 2020 par rapport à 1990, fixé par l’Union européenne). Un vrai parcours de combattantes. En 2017, elles reçoivent un classement sans suite à leur requête de la part du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (Detec), qui juge que les plaignantes ne sont pas réellement touchées en Suisse par ce qu’elles décrivent et que, par ailleurs, elles ne sont pas plus affectées que d’autres. Leur appel auprès du tribunal administratif fédéral reçoit également un jugement négatif et remet en cause la légitimité des actions des mamies écolos.
Mais rien qui ne décourage ces retraitées déterminées, qui, malgré leurs défaites, commencent à peser sur la scène politique et médiatique suisse et sont invitées à participer à des nombreuses tables rondes, conférences et à intervenir dans des cités scolaires. Elles ne baissent donc pas les bras et déposent une requête au Tribunal fédéral à Lausanne, qui rejette alors leurs recours contre l’arrêt du tribunal administratif fédéral. Cette fois, ç’en est trop : l’association dépose son recours devant la CEDH en 2020. Il faudra attendre mars 2023 pour que se tienne à Strasbourg, siège de la plus haute juridiction européenne, une première audience sur leur requête. Les Aînées attendent encore un an pour obtenir leur victoire finale : pour la CEDH, donner raison aux requérantes, c’est considérer que la Suisse viole la Convention européenne des droits de l’homme quant au “droit à la vie”, inscrit dans son article 2. “Ce qui s’est passé le 9 avril, évidemment, est tout à fait historique”, nous confie Anne Mahrer. “Ça a été une immense émotion, une immense satisfaction et une très grande fierté d’avoir contribué à un fait historique et d’avoir amené pour la première fois à la Cour, le problème climatique dans le champ des droits fondamentaux. La protection du climat est reconnue comme un droit humain.”
Continuer à "mettre la pression"
La suite de cette lutte relève de la bonne application de cet arrêt par les quarante-six pays membres du Conseil de l’Europe, la Suisse en tout premier lieu. Pour cela, un comité des ministres rattaché au Conseil de l’Europe veille à ce que tous les arrêts contraignants de la CEDH soient mis en œuvre. “Et croyez-moi que nous, les aînées en Suisse, nous allons aussi veiller très attentivement à ce que nos politiques mettent en œuvre ce qui a été décidé”, déclare Anne Mahrer. Les politiques n’ont qu’à bien se tenir ! En plus de son armée de vieilles déterminées à faire bouger les choses, la coprésidente de l’association compte sur la société civile et les nombreuses ONG environnementales, avec qui Les Aînées ont tissé des liens, pour scruter de près la mise en application par les États.
"Un message d'espoir dans un monde qui va mal"
Allô, la jeunesse ? Les Aînées pour le climat ont un message à vous faire passer. “J’ai envie de leur dire qu’il ne faut rien lâcher.” Anne Mahrer a fini par confier à Causette son enthousiasme devant les possibilités qu’offrait ce nouvel arrêt pour les activistes écologiques, notamment celles et ceux des nouvelles générations : “Maintenant, on ne peut plus condamner des jeunes activistes qui se mobilisent pour le climat puisque la protection du climat est un droit humain reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme.” Et pour les jeunes découragé·es par l’inaction de certains États, nos super mamies écolos sont là pour leur redonner l’énergie de l’indignation : “Tant qu’on a la santé et l’énergie, on continuera à les soutenir et à être en lien avec eux. C’est ce qu’on a dit aux jeunes [collectif de Portugais·es âgé·es de 12 à 24 ans qui avaient poursuivi trente-deux États devant la CEDH pour inaction climatique et dont la requête avait été rejetée, ndlr] qui étaient tellement découragés et tristes. On les a serrés très fort dans nos bras et on leur a dit : ‘Mais cet arrêt, c’est aussi votre arrêt. Nous avons gagné. Vous avez aussi gagné’.”