Ainees pour le climat
© Monika Flueckiger / Facebook Aînées pour la protection du climat

Les Aînées pour la pro­tec­tion du cli­mat, mamies vertes de rage

Une asso­cia­tion d’aînées pas comme les autres : la semaine der­nière, les Aînées pour la pro­tec­tion du cli­mat ont réus­si à faire condam­ner la Suisse par la Cour euro­péenne des droits de l’homme pour inac­tion climatique. 

Moyenne d’âge des membres de l’association Les Aînées pour la pro­tec­tion du cli­mat : 73 ans… Et pour­tant, pas de repos pour ces retrai­tées enga­gées, bien déci­dées à ne pas “res­ter les bras bal­lants” face à l’inaction poli­tique sur l’urgence cli­ma­tique qu’elles dénoncent. Lancées dans un bras de fer judi­ciaire de longue haleine avec leur patrie, la Suisse, elles ont, mar­di 9 avril, gagné une bataille his­to­rique : pour la pre­mière fois de son his­toire, la Cour euro­péenne des droits de l’homme (CEDH) a condam­né un pays pour inac­tion cli­ma­tique… Reconnaissant ain­si que la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique fait par­tie des droits humains fondamentaux.

C’est en 2016 que l’aventure de ce groupe de seniors mili­tantes com­mence, lorsque l’affaire Urgenda attire l’attention de plu­sieurs femmes âgées suisses qui auraient pu se conten­ter de cou­ler une retraite bien méri­tée. L’association néer­lan­daise Urgenda avait pour­sui­vi le gou­ver­ne­ment des Pays-​Bas pour inac­tion face aux objec­tifs de réduc­tion de gaz à effet de serre. En 2015, la Cour de dis­trict de La Haye a jugé en faveur d’Urgenda, affir­mant que le gou­ver­ne­ment néer­lan­dais avait l’obligation légale de pro­té­ger ses citoyen·nes contre les effets néfastes du chan­ge­ment cli­ma­tique. C’était la pre­mière fois qu’un tri­bu­nal ordon­nait à un gou­ver­ne­ment de prendre des mesures spé­ci­fiques pour réduire les émis­sions de gaz à effet de serre. 

Lire aus­si l Pour le dépu­té euro­péen éco­lo Damien Carême : “Face à des gou­ver­ne­ments obtus, faire condam­ner les États pour inac­tion cli­ma­tique est la seule voie qu'il nous reste”

Cette vic­toire ins­pi­rante a mené nos super mamies hel­vé­tiques à se regrou­per et à contac­ter des avocat·es envi­ron­ne­men­ta­listes afin d’entamer une action judi­ciaire contre leur pays. Leur angle d’attaque a été de démon­trer la vul­né­ra­bi­li­té par­ti­cu­lière des femmes âgées lors des épi­sodes cani­cu­laires qu’implique le chan­ge­ment cli­ma­tique. “Les femmes âgées sont par­ti­cu­liè­re­ment impac­tées par des pro­blèmes cardio-​vasculaires et res­pi­ra­toires lors de ces fortes cha­leurs”, nous confie Anne Mahrer, copré­si­dente de l’association et ancienne pré­si­dente des Verts du can­ton de Genève.

Être une femme et avoir plus de 64 ans 

En août 2016, l’association Les Aînées pour la pro­tec­tion du cli­mat est créée. Les cri­tères pour en faire par­tie sont simples : il faut être une femme, avoir plus de 64 ans et être domi­ci­liée en Suisse. À l’automne 2016, lors du lan­ce­ment de leur pre­mière action en jus­tice, elles n’étaient qu’un petit groupe. Aujourd’hui, elles sont 2 500 à se battre chaque jour pour lais­ser un monde meilleur, plus durable, aux géné­ra­tions futures. 

Entre 2017 et 2020, ces seniors enga­gées enchaînent les pro­cé­dures judi­ciaires contre la Suisse pour inac­tion en matière de réduc­tion d’émissions de gaz à effet de serre (notam­ment sur l’objectif de réduc­tion de 20 % pour 2020 par rap­port à 1990, fixé par l’Union euro­péenne). Un vrai par­cours de com­bat­tantes. En 2017, elles reçoivent un clas­se­ment sans suite à leur requête de la part du Département fédé­ral de l’environnement, des trans­ports, de l’énergie et de la com­mu­ni­ca­tion (Detec), qui juge que les plai­gnantes ne sont pas réel­le­ment tou­chées en Suisse par ce qu’elles décrivent et que, par ailleurs, elles ne sont pas plus affec­tées que d’autres. Leur appel auprès du tri­bu­nal admi­nis­tra­tif fédé­ral reçoit éga­le­ment un juge­ment néga­tif et remet en cause la légi­ti­mi­té des actions des mamies écolos. 

Mais rien qui ne décou­rage ces retrai­tées déter­mi­nées, qui, mal­gré leurs défaites, com­mencent à peser sur la scène poli­tique et média­tique suisse et sont invi­tées à par­ti­ci­per à des nom­breuses tables rondes, confé­rences et à inter­ve­nir dans des cités sco­laires. Elles ne baissent donc pas les bras et déposent une requête au Tribunal fédé­ral à Lausanne, qui rejette alors leurs recours contre l’arrêt du tri­bu­nal admi­nis­tra­tif fédé­ral. Cette fois, ç’en est trop : l’association dépose son recours devant la CEDH en 2020. Il fau­dra attendre mars 2023 pour que se tienne à Strasbourg, siège de la plus haute juri­dic­tion euro­péenne, une pre­mière audience sur leur requête. Les Aînées attendent encore un an pour obte­nir leur vic­toire finale : pour la CEDH, don­ner rai­son aux requé­rantes, c’est consi­dé­rer que la Suisse viole la Convention euro­péenne des droits de l’homme quant au “droit à la vie”, ins­crit dans son article 2. “Ce qui s’est pas­sé le 9 avril, évi­dem­ment, est tout à fait his­to­rique”, nous confie Anne Mahrer. “Ça a été une immense émo­tion, une immense satis­fac­tion et une très grande fier­té d’avoir contri­bué à un fait his­to­rique et d’avoir ame­né pour la pre­mière fois à la Cour, le pro­blème cli­ma­tique dans le champ des droits fon­da­men­taux. La pro­tec­tion du cli­mat est recon­nue comme un droit humain.”

Lire aus­si l Inaction cli­ma­tique : grâce à la mobi­li­sa­tion de femmes âgées, la CEDH rend un juge­ment his­to­rique en condam­nant la Suisse

Continuer à "mettre la pression" 

La suite de cette lutte relève de la bonne appli­ca­tion de cet arrêt par les quarante-​six pays membres du Conseil de l’Europe, la Suisse en tout pre­mier lieu. Pour cela, un comi­té des ministres rat­ta­ché au Conseil de l’Europe veille à ce que tous les arrêts contrai­gnants de la CEDH soient mis en œuvre. “Et croyez-​moi que nous, les aînées en Suisse, nous allons aus­si veiller très atten­ti­ve­ment à ce que nos poli­tiques mettent en œuvre ce qui a été déci­dé”, déclare Anne Mahrer. Les poli­tiques n’ont qu’à bien se tenir ! En plus de son armée de vieilles déter­mi­nées à faire bou­ger les choses, la copré­si­dente de l’association compte sur la socié­té civile et les nom­breuses ONG envi­ron­ne­men­tales, avec qui Les Aînées ont tis­sé des liens, pour scru­ter de près la mise en appli­ca­tion par les États. 

"Un mes­sage d'espoir dans un monde qui va mal" 

Allô, la jeu­nesse ? Les Aînées pour le cli­mat ont un mes­sage à vous faire pas­ser. “J’ai envie de leur dire qu’il ne faut rien lâcher.” Anne Mahrer a fini par confier à Causette son enthou­siasme devant les pos­si­bi­li­tés qu’offrait ce nou­vel arrêt pour les acti­vistes éco­lo­giques, notam­ment celles et ceux des nou­velles géné­ra­tions : “Maintenant, on ne peut plus condam­ner des jeunes acti­vistes qui se mobi­lisent pour le cli­mat puisque la pro­tec­tion du cli­mat est un droit humain recon­nu par la Cour euro­péenne des droits de l’homme.” Et pour les jeunes découragé·es par l’inaction de cer­tains États, nos super mamies éco­los sont là pour leur redon­ner l’énergie de l’indignation : “Tant qu’on a la san­té et l’énergie, on conti­nue­ra à les sou­te­nir et à être en lien avec eux. C’est ce qu’on a dit aux jeunes [col­lec­tif de Portugais·es âgé·es de 12 à 24 ans qui avaient pour­sui­vi trente-​deux États devant la CEDH pour inac­tion cli­ma­tique et dont la requête avait été reje­tée, ndlr] qui étaient tel­le­ment décou­ra­gés et tristes. On les a ser­rés très fort dans nos bras et on leur a dit : ‘Mais cet arrêt, c’est aus­si votre arrêt. Nous avons gagné. Vous avez aus­si gagné’.

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