La seule femme arbitre professionnelle en France déchaîne régulièrement les passions sexistes, en ligne ou dans les stades. Ce dimanche, un ballon malheureux du joueur de Monaco Takumi Minamino finissant sur la tête de Stéphanie Frappart a entraîné des commentaires haineux.
“En espérant que ça lui remette les idées en place à cette grognasse” ; “Après, sa place est à la cuisine, aussi… On les avait prévenues” ; “Elles sont toujours au mauvais endroit au mauvais moment”. Voilà le genre de propos sexistes, au milieu de milliers de tweets exprimant de la joie, qu’a occasionné la frappe malheureuse du joueur de Monaco Takumi Minamino qui a, lors d’un match contre Rennes ce dimanche, envoyé par inadvertance un ballon sur la tête de l’arbitre Stéphanie Frappart.
Seule Française arbitre professionnelle de football, Stéphanie Frappart est, depuis ses débuts sur le devant de la scène lorsqu’elle devient arbitre de Ligue 1 masculine en 2019, victime d’un sexisme plus ou moins assumé. En novembre dernier, son arbitrage d’un match Rennes-Lyon, perdu par les premiers, a été l’occasion d’une déferlante d’insultes sexistes en tribune – “Sale pute, salope, grosse chienne”, recensait Footeuses, média spécialisé dans le football féminin. Comme l’analysait So Foot dans la foulée, si les complaintes envers l’arbitrage sont quasi inhérentes à une rencontre footballistique, l’arbitre Frappart doit composer très souvent avec une dimension sexiste dans ces attaques. “À l’instar du racisme, il ne s’agit pas de critiquer le joueur ou la femme en noir, mais de lui rappeler que sa présence demeure à peine tolérée et reste celle d’un ou d’une ‘inférieure’”, rappelait le magazine.
Décisions très contestées, utilisation de la VAR (assistance vidéo à l’arbitrage) moquée, détermination qualifiée d’“entêtement”… l’arbitrage de Stéphanie Frappart cristallise les critiques des supporteur·rices comme des joueur·euses mais aussi des médias. La semaine dernière, L’Équipe lui a même attribué la très rare note de 1/10 pour sa prestation lors du match Lyon-Valenciennes en Coupe de France (soldé sur 3–0 pour l’Olympique lyonnais). Cette note a suffisamment interrogé les lecteur·rices pour que le quotidien lui accorde un article de justification le lendemain. Évoquant des “décisions erronées ou incompréhensibles” dans le cadre d’un arbitrage “globalement médiocre” ce soir-là, L’Équipe réaffirme sa sévérité en pointant ce qu’il qualifie de deux erreurs majeures : un but refusé et un penalty accordé, qui ont tous deux soulevé la colère (souvent violente à l’égard de l’arbitre) des Valenciennois·es.
Invitée à se faire "greffer une teub"
Dans le lot de ces contempteur·rices, certain·es se défendent souvent de tout biais sexiste et réclament leur droit à critiquer une arbitre pour ses décisions sur le terrain. “Il y a une phrase un peu commune, un peu nulle, qu’on entend de temps à autre, c’est ‘le féminisme aura gagné quand il y aura des femmes incompétentes à des postes de responsabilité’. Je pense qu’on y est avec Stéphanie Frappart”, dit l’un d’eux. Mais ici aussi, l’outrance n’est jamais loin. Un autre demande ainsi à l’arbitre de se “greff[er] une teub” pour “qu’on puisse [lui] insulter [ses] grands morts sans qu’on passe pour des misogynes”, avant d’ajouter… “sale pute”.
De son côté, L’Équipe, qui se dit embarrassé “d’avoir hurlé avec des loups dont on apprécie peu la compagnie” a réalisé une introspection sur le sujet. “Est-ce que l’on aurait attribué la même note à un arbitre masculin ?, se questionne le quotidien. Est-ce que Stéphanie Frappart est victime, dans l’appréciation générale de son arbitrage, et au-delà du match de mardi, de son rôle de pionnière et de modèle qui lui a valu par exemple d’avoir la deuxième note des arbitres français en 2022 et d’être sélectionnée pour la Coupe du monde ?” Sans répondre clairement à la première question, L’Équipe argue que le “soupçon du sexisme” n’a pas lieu puisque “toutes les femmes du foot qui ont critiqué son arbitrage sur les réseaux ne peuvent pas [en] être soupçonnables”. Notons ici que c’est oublier un peu vite la puissance du sexisme intériorisé dans un milieu encore très masculin. “Le véritable sexisme aurait pu consister à tenir compte de sa condition de pionnière de l’arbitrage, et des murs que son obstination et son destin ont fait tomber ces dernières années”, poursuit L’Équipe.
"Meilleure arbitre féminine du monde"
Celle qui a pourtant été nommée début 2024 meilleure arbitre féminine du monde pour la cinquième année d’affilée et a accédé, en 2022, à l’arbitrage de matches de la Coupe du monde, a accordé un récent entretien au Monde dans lequel elle affirme avoir finalement peu subi de sexisme au cours de sa carrière et n’avoir “rien à dire” sur ce 1/10 de L’Équipe. Et fait part du dilemme qui est le sien : “Je ne veux pas être vue comme une femme ou être un porte-drapeau. Même si j’ai conscience d’avoir ouvert la voie.” Mais tant que ses éventuels faux pas professionnels seront instrumentalisés pour discréditer les femmes et leurs capacités à arbitrer des matches, Stéphanie Frappart demeurera, malgré elle, le symbole d’une incongruité dans une culture virile de vestiaire.
Lire aussi l Stéphanie Frappart devient la première femme arbitre centrale d’un match de Coupe du monde masculine