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La journaliste Marie Portolano ©Astrid di Crollalanza

“Le sys­tème nous fai­sait croire qu’il ne pou­vait y avoir qu’une seule femme sur le pla­teau” : Marie Portolano per­siste et signe contre le sexisme dans le jour­na­lisme sportif

La journaliste et présentatrice Marie Portolano, qui a évolué pendant une dizaine d’années dans le milieu du journalisme sportif, vient de sortir son premier livre, Je suis la femme du plateau. Elle s’attaque, à travers des anecdotes percutantes, à tout un système qui a permis au sexisme de prospérer et aux hommes de se sentir tout-puissants.

Trois ans après son documentaire Je ne suis pas une salope, je suis journaliste, diffusé sur Canal+, Marie Portolano prolonge sa réflexion sur la place des femmes dans le journalisme sportif avec un premier livre personnel, Je suis la femme du plateau, paru le 13 mars, aux éditions Stock. Harcèlement, sentiment d’illégitimité, commentaires sur son apparence de la part de sa hiérarchie comme de celle des téléspectateurs… La journaliste et présentatrice, qui a évolué pendant une dizaine d’années dans ce milieu et a connu de nombreuses rédactions, dénonce à travers des anecdotes percutantes tout un système qui a permis au sexisme de prospérer et aux hommes de se sentir tout-puissants. Aujourd’hui à la coprésentation de Télématin, l’emblématique matinale de France 2, Marie Portolano continue néanmoins de garder un œil sur ce monde qu’elle a bien connu et regrette de ne toujours pas voir plus d’une journaliste à la fois sur les plateaux des émissions dédiées au sport. Causette l’a rencontrée dans les locaux de sa nouvelle maison.

Causette : Dès vos débuts dans le métier, lors de votre premier contrat pour une petite chaîne de télévision qui parle de foot, en 2010, vous vous prenez en pleine figure une situation de harcèlement sexiste. Est-ce que cela a été une surprise ? Qu’avez-vous ressenti ?
Marie Portolano :
Au tout début de ma carrière, je me suis rendu compte que j’avais été embauchée parce que je plaisais au recruteur. J’étais pleine de bonne volonté, j’avais beaucoup d’idées, probablement mauvaises, mais j’en avais. Sauf qu’il s’en foutait, il voulait juste coucher avec moi. J’ai ressenti beaucoup de déception, les bras m’en tombaient. J’avais évidemment déjà expérimenté le sexisme et le harcèlement, comme toutes les femmes au monde, et comme certains hommes. Mais j’ai été surprise de découvrir que le milieu de la télévision marchait de cette manière. Ça m’avait bouleversée de me dire que, finalement, il fallait coucher pour réussir. Je ne l’ai pas fait, évidemment, mais cette première expérience m’a énormément déçue.

Cette première expérience a été le début d’une longue succession d’actes sexistes dans ce milieu. Vous expliquez avoir dû mettre en place des stratégies pour passer outre des situations de harcèlement.
M.P. : Il s’agit de stratégies d’évitement connues par toutes les femmes. Moi, j’en parle parce que j’ai l’impression que les gens ne se rendent pas compte. Je me suis souvent retrouvée seule dans une pièce avec des hommes, puisqu’il y avait beaucoup d’hommes dans le journalisme sportif. Il y avait un collègue en particulier dont je savais qu’il allait me toucher ou faire quelque chose de désagréable. Pendant ces réunions, je pensais à l’éviter au maximum physiquement, c’est-à-dire que je refusais de m’asseoir à côté de lui, je me levais quand il s’approchait de moi. Les autres hommes ne s’en rendaient pas compte, mais c’est normal, puisqu’ils ne vivent pas ces situations. Je n’avais pas la chance de ne penser qu’à mon travail, à mes questions, à préparer mes fiches, je devais aussi tout faire pour éviter untel, parce que je savais que, sinon, il allait me mettre une main aux fesses. Je devais rigoler bêtement à la blague sexiste de mon supérieur…

Quand vous arrivez à la télévision, en vous comparant avec les autres journalistes sportives, vous découvrez qu’il en existe un portrait-robot. Que traduit-il de notre société ?
M.P. :
Un soir, avec une amie journaliste, pour s’amuser, on a regardé toutes les présentatrices des émissions de sport. On a constaté qu’il y avait un problème et qu’on était finalement toutes pareilles. C’est la question aussi que je me pose dans le livre : quelle est l’image qu’une femme dans le sport doit représenter ? Visiblement, il faut être plutôt mince, plutôt jolie, plutôt blonde, ne pas trop parler et ne pas donner l’impression d’avoir une expertise du sport.

Dans une émission en particulier, vous vous retrouvez d’ailleurs prisonnière des choix vestimentaires de la production. On vous oblige à défiler pour valider les tenues.
M.P. :
Tout ce que je portais dans cette émission était validé, survalidé par ses producteurs et les décideurs de la chaîne. Je m’arrachais littéralement les cheveux, car je faisais des essayages devant des gens qui me lançaient : “Oui, non, ça c’est pas terrible, ça c’est pas bien.” Puis, après cette première validation, la chaîne devait se décider sur photo, donc parfois, on n’était pas d’accord et il fallait que je recommence la session d’essayage. Ça me prenait un temps fou et je me disais vraiment, le plus important, c’est comment je m’habille. Les personnes présentes qui me faisaient défiler étaient toutes aussi désolées que moi. C’était des hommes, des femmes… Tout le monde se rendait compte de cette situation ubuesque. Mais une femme à la télévision doit être conforme à une certaine image et je n’arrive pas encore très bien à comprendre laquelle.

Vous confiez dans votre livre avoir parfois eu l’impression d’accepter ce système où l’apparence est reine. Avez-vous eu la sensation d’être un peu dans un rôle d’équilibriste ?
M.P. :
Le système que je dénonce aujourd’hui dans Je suis la femme du plateau est un système que j’ai accepté pendant un temps, auquel j’ai participé même. J’y raconte un épisode assez parlant. Un jour, j’ai porté une paire de lunettes parce que j’avais oublié mes lentilles de contact. J’ai reçu beaucoup de commentaires sur les réseaux sociaux sur mon look. Ces messages m’ont fait plaisir. Donc, j’ai ressorti mes lunettes à chaque émission. Mais un jour, je me suis retrouvée face à cette contradiction : je ne pouvais pas avoir cette réflexion sur la femme-objet d’un plateau, la dénoncer en interne et l’incarner avec mes lunettes. Je ne les ai plus remises. En fait, j’avais le sentiment que personne ne m’écoutait, que ce que je disais n’était pas important. Avec cet accessoire, d’un coup, j’existais : ma hiérarchie m’avait même dit qu’il s’agissait d’une très bonne idée. Je m’étais alors dit : “C’est ça qu’on veut de moi ? Je vais vous le donner.” Sauf que non. Il faut se battre contre cela. Heureusement, c’était en 2014, avant #MeToo. J’espère que les gens ont changé.

En étant la seule femme sur le plateau, aviez-vous l’impression de devoir travailler beaucoup plus que les hommes pour prouver votre légitimité sur le sujet du sport, accaparé par les hommes ?
M.P. : Dans le milieu du journalisme sportif, généralement, les hommes sont non seulement des journalistes, mais en plus ont pratiqué le sport dont ils parlent. Moi, j’arrive à un moment où il faut féminiser les antennes. Mais je n’ai pas fait de foot de ma vie. Donc les gens qui me voient débarquer se disent que je n’y connais rien et que je suis là parce que je suis une femme. Je me sentais illégitime constamment et croyais que je devais travailler deux fois plus. Dès que je proposais quelque chose, je trouvais mon idée nulle. J’étais constamment en train de me rabaisser. Il existe, en plus, un deux poids deux mesures dans le sport. Quand un homme fait une erreur de prononciation, c’est un lapsus. Quand une femme réalise la même erreur, c’est qu’elle n’y connaît rien.

Vous étiez souvent la seule journaliste femme du plateau. Est-ce qu’on vous mettait en concurrence les unes avec les autres ou est-ce qu’il existait une certaine sororité entre vous ?
M.P. : La sororité existe vraiment aujourd’hui. Avec mes consœurs, on partage toutes les mêmes pensées et manières de réfléchir concernant le sexisme. Mais à l’époque, on était tellement isolées, chacune dans notre émission, chacune dans notre chaîne, qu’on s’accrochait à notre place. Le système nous faisait croire qu’il ne pouvait y avoir qu’une seule femme sur le plateau. Avec mon documentaire, je voulais rencontrer d’autres journalistes sportives, savoir si elles pensaient comme moi. Mais, aujourd’hui, je trouve encore que sur les plateaux de sport, il n’y a pas beaucoup de filles. On en voit généralement une, parfois deux grand maximum. Alors y a des postulantes. C’est pas qu’elles ne veulent pas y aller. Elles n’y sont pas.

Après la sortie de ce documentaire, vous racontez avoir regretté que peu d’hommes à des postes haut placés fassent leur mea culpa. Avez-vous reçu des commentaires différents pour votre livre ?
M.P. :
Avec mon livre, j’ai beaucoup d’hommes qui m’écrivent et me disent qu’ils ne se rendaient pas compte, qu’ils réfléchissent autrement maintenant. Cela me fait plaisir, parce que je sens un mélange de sororité et de fraternité. C’est exactement ce pourquoi j’ai écrit ce texte. Maintenant que le constat est fait, il faut passer à autre chose, tous ensemble, les femmes et les hommes. Je n’en veux à personne. Je ne suis pas en colère contre les hommes. D’ailleurs, j’ai fait exprès de ne citer aucun nom, aucune rédaction, de brouiller un peu la temporalité parce que je ne suis pas intéressée par l’individu. Je suis intéressée par le système qui a permis à ces individus de se comporter comme ça pendant des années. C’est en son sein que se trouve le mal. Il faut le déconstruire de l’intérieur.

Si vous deviez revenir dans le journalisme sportif, pensez-vous que vous auriez un autre comportement face au sexisme ambiant ?
M.P. :
Je ne sais pas comment je me comporterais si j’arrivais dans une rédaction sportive aujourd’hui. Ce qui est certain, c’est que depuis la sortie du documentaire, plus personne ne m’a mis de main aux fesses ! Plus je vieillis, plus je sais m’imposer, mais je suis quand même encore gênée et je n’arrive pas toujours à appliquer à moi-même mes propres conseils. Parfois, je ris à des blagues auxquelles je ne devrais pas rire et qui me gênent. Alors que j’ai presque 40 ans. Je trouve quand même que les choses avancent : je ne suis plus harcelée, je ne suis plus agressée. Je pense que les gens ont trop peur de moi maintenant. La vraie victoire serait que les jeunes filles qui arrivent dans n’importe quelle rédaction, dans n’importe quel métier, n’aient pas à vivre ce que moi j’ai vécu. Toutes ces situations ne m’ont pas empêchée de faire carrière et de faire ma vie, mais elles m’ont quand même pris énormément d’énergie et de temps. Je ne sais pas quelles sont les solutions. La solution, pour moi, c’est que les gens se comportent bien les uns avec les autres. À partir de ce moment-là, tout devrait bien se passer. Mais je suis peut-être un peu trop utopiste.

Votre documentaire Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste avait mystérieusement disparu, quelques jours seulement après sa mise en ligne sur la plateforme MyCanal de Canal+ en mars 2021. Il est désormais à nouveau disponible, trois ans après. Aviez-vous été prévenue ? Comment l’expliquez-vous ?
M.P. :
Je n’ai pas été prévenue de ce retour du documentaire sur la plateforme MyCanal. Mais je suis vraiment trop contente parce que beaucoup de gens qui ne l’avaient pas vu ont pu enfin le visionner. Ce travail nous a pris beaucoup de temps avec Guillaume Priou, son coréalisateur. On trouve qu’il est toujours d’actualité, possède un écho particulier. On est très, très heureux.

9782234093850 001 X

Je suis la femme du plateau, de Marie Portolano. Stock, 154 pages.


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