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“Love bom­bing” : quand trop d’amour tue l’amour

Le trop-​plein d’affection en début de rela­tion peut être un signe de mani­pu­la­tion et le début des vio­lences conju­gales. Méfiance. 

Love bom­bing ou bom­bar­de­ment amou­reux : à pre­mière vue, pas de quoi fré­mir, au contraire, qui son­ge­rait à se plaindre de rece­voir trop d’amour ? Et pour­tant : “Il s’agit, de manière inten­sive et outran­cière, de don­ner des preuves d’amour, d’affection et d’estime pour ensuite les reti­rer,” explique Louive Delavier de l’association En avant toute(s), coau­trice d’un manuel à des­ti­na­tion des jeunes, Comment on s’aime ? (édi­tions Mango). C’est pré­ci­sé­ment ce contraste entre le trai­te­ment de faveur empres­sé, les effu­sions à sens unique et l’indifférence qui doit aler­ter. Emma*, 43 ans, en a fait l’expérience avec un homme ren­con­tré sur Instagram, qui la flatte et la couvre très rapi­de­ment de mots doux : “Vingt-​quatre heures après m’avoir ren­con­trée, il m’invite à aller à un fes­ti­val avec lui, me pré­sente à tous ses amis, me dit que je suis enfin la bonne per­sonne.” Une fois qu’elle est sous le charme, il se dés­in­té­resse d’elle : “Le love bom­bing a duré deux mois, puis il n’a plus rien fait. Il s’est mis à me déva­lo­ri­ser.” 

Trop beau pour être vrai

Comment, alors, iden­ti­fier les signes du love bom­bing et le dif­fé­ren­cier d’un hon­nête coup de foudre ? “C’est une ques­tion de mesure : c’est sou­vent trop beau pour être vrai et très arti­fi­ciel, car rien de néga­tif ne peut être expri­mé, constate Louise Delavier. Alors que, lorsque l’on vit un grand amour, on peut dire quand ça ne va pas, expri­mer des dif­fi­cul­tés ou un malaise, de manière sécu­ri­sée.”
La des­si­na­trice Anaïs Schenké décrit ce méca­nisme per­vers dans son roman gra­phique, Fragments-Rassembler les cœurs bri­sés (édi­tions Les Insolentes), qui aus­culte sa rela­tion amou­reuse et sa rup­ture avec un ex en 2020. Elle se sou­vient : “J’ai vécu une rela­tion hyper intense dès le départ, pleine d’amour et de mots doux. Je me suis dit : ‘C’est fou d’être avec quelqu’un qui arrive autant à ver­ba­li­ser les choses, c’est si simple et agréable.’ Et puis je me suis fait lar­guer comme une crotte le len­de­main de mes 30 ans.” Nombre de ses lecteur·rices découvrent le terme en la lisant : “C’est l’un des trucs que l’on m’a le plus dit à pro­pos de la BD. Je suis tom­bée sur ce terme en lisant des bou­quins et en écou­tant des pod­casts sur l’amour et je me suis dit : “En effet, c’est ça.’ La des­crip­tion cochait toutes les cases : par­ler du futur, se pro­je­ter, évo­quer le mariage, les enfants hyper rapidement.”

Ego-​trip, volon­té de nuire ou condi­tion­ne­ment social genré ?

Si la des­si­na­trice ne voit pas, dans le cas de son ex, de mau­vaise inten­tion, mais plu­tôt un trait de per­son­na­li­té chez un conjoint nar­cis­sique qui ne vivait que pour faire plai­sir et “sau­ver” les autres, elle note que ce sché­ma est d’autant plus dif­fi­cile à détec­ter qu’il s’inscrit plei­ne­ment dans les inéga­li­tés et la domi­na­tion hommes-​femmes : “C’est le fruit d’une cho­ré­gra­phie hété­ro­sexuelle qu’on apprend aux hommes, analyse-​t-​elle. Qu’une femme ait envie de se marier, c’est cen­sé être nor­mal, mais quand c’est un homme, on se dit for­cé­ment que c’est une pépite, car il se pro­jette et veut s’engager, c’est si rare.” Louise Delavier com­plète : “C’est com­pli­qué dans notre socié­té quand on est des filles, car toute marque d’attention doit être hono­rée et il fau­drait y répondre presque avec recon­nais­sance.” 

Violences conju­gales 

L’expression love bom­bing est employée depuis les années 1990 par des chercheur·euses anglo-saxon·nes au sujet des méthodes addic­tives de cer­taines sectes (comme la secte Moon) et de leurs gou­rous pour cajo­ler, convaincre leurs ouailles et les main­te­nir sous emprise. Une stra­té­gie que se sont appro­priée les coachs en séduc­tion les plus miso­gynes pour faire miroi­ter monts et mer­veilles et appâ­ter leurs proies. Le love bom­bing conscient peut ain­si faire par­tie inté­grante de stra­té­gies de mani­pu­la­tion dans le cadre des vio­lences conju­gales : des agres­sions dans un gant de velours qui se font pas­ser pour des com­pli­ments. Lisa*, 28 ans, en a fait les frais avec des hommes qu’elle iden­ti­fie comme des per­vers nar­cis­siques : “Les per­vers nar­cis­siques te love bomb, tu tombes in love et puis ils se détachent petit à petit et deviennent toxiques.”
Dans le tchat ani­mé par l’association En avant toute(s), le sujet est régu­liè­re­ment abor­dé par des vic­times : “C’est une stra­té­gie de séduc­tion des agres­seurs, détaille Louise Delavier. On le constate dans qua­si­ment toutes les situa­tions de vio­lence, cela fait par­tie du ver­rouillage et du contrôle exer­cé sur les vic­times. D’autant que le défer­le­ment d’amour se fait par­fois à des­ti­na­tion de per­sonnes déjà fra­gi­li­sées pour qui il est d’autant plus sédui­sant de s’y réfu­gier et pour qui la chute n’en est que plus dif­fi­cile.” Anaïs Schenké confirme : “On se sent hyper valo­ri­sée, mais c’est en fait un cli­mat de dépen­dance affec­tive.”

"Je ne crois plus en rien"

Un “bom­bar­de­ment amou­reux” ampli­fié par l’omnipotence des réseaux sociaux et faci­li­té par l’omniprésence des smart­phones : “Quand on n’est pas ensemble, on est ensemble, car on conti­nue de se par­ler par mes­sages”, décrypte Louise Delavier. Les effets de cette pra­tique peuvent être dévas­ta­teurs pour les vic­times, flat­tées, séduites puis aban­don­nées. “C’est très dur de s’en défaire et cela m’a plu­sieurs fois détruite à petit feu”, déplore Lisa. Anaïs Schenké confirme : “Ça m’a flin­guée. Depuis, je n’ai eu aucune rela­tion amou­reuse, je ne crois plus en rien.”
Comment s’en dépê­trer ? “On peut dire : ça me ques­tionne, tu me dis plein de choses trop belles, ça me fait trop plai­sir, mais j’ai besoin d’un peu d’espace’, pro­pose Louise Delavier. “Ou encore, ‘Quand je tra­vaille, tu n’es pas obli­gé de m’écrire quatre tex­tos à la minute’, ça n’a rien de négatif.”

  • * Les pré­noms ont été modifiés.
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