Salvayre Lydie Sandrine Rousseau
Lydie Salvayre © Jean-Pierre Loubat et Sandrine Rousseau © Wikimedia

On a dis­cu­té "droit à la paresse" avec Sandrine Rousseau et Lydie Salvayre

Causette a réuni l’écrivaine Lydie Salvayre et la députée Sandrine Rousseau pour échanger sur le droit à la paresse. Et faire l’éloge de la glande.

L’écrivaine Lydie Salvayre, lauréate du prix Goncourt en 2014, vient de publier Depuis toujours nous aimons les dimanches, un récit littéraire vivifiant en forme de pamphlet contre le productivisme, son rythme effréné et ses travailleur·euses sous pression. La députée écolo Sandrine Rousseau, elle, s’est illustrée par une plaidoirie pour le “droit à la paresse”, lors du débat sur la réforme des retraites à l’Assemblée nationale. Causette a organisé la rencontre de ces deux utopistes du XXIe siècle qui défendent une société du temps libre. Pour enfin avoir le loisir de penser, contempler, créer !

Causette : Pour commencer, est-ce que vous travaillez le dimanche ?
Lydie Salvayre : Moi, je travaille le dimanche, car le travail que j’exerce est choisi, je l’aime, je décide de mes horaires, de ce que je vais y mettre… Rien à voir avec le travail tel qu’il est conçu dans l’entreprise, qui ne prend pas en compte que ce qui obéit aux codes de la société marchande : profit, consommation, performance, compétition… Plein de gens de tous âges sont préoccupés par la question du travail, qui est très centrale dans leur vie. J’ai grandi avec un père qui était maçon, il ne faut pas qu’on me la raconte ! Le travail ne l’émancipait pas, ne le rendait pas heureux, ça n’est pas vrai ! Si je vante la paresse, c’est parce qu’elle a des vertus, mais aussi parce que c’est un moyen de désobéir, de contester le travail qui nous est vendu comme un devoir moral.
Sandrine Rousseau : C’est un énorme sujet quand, comme moi, on est élue et en particulier députée. L’essentiel des rencontres avec les personnes a lieu sur des temps de loisirs pour eux, donc le week-end nous sommes très pris. Nous avons peu de moments disponibles à consacrer à la famille, aux amis, à la culture… C’est de nature à appauvrir l’exercice politique, quand on n’a plus de temps pour penser, pour avoir un rapport sensible à la nature et aux gens, pour entretenir la sphère privée de l’amitié et de l’amour, on s’assèche de l’intérieur. Cela nuit même à la confiance qu’ont les citoyens dans la politique. Les gens ont de moins en moins d’espaces pour faire ce qu’ils veulent, que ce soit dans le travail ou en dehors.

Faut-il être un peu “illuminée” – expression que vous utilisez, Lydie Salvayre, pour désigner l’utopiste Charles Fourier – pour revendiquer un droit à la paresse, dans une société où la valeur travail a pris une telle place ?
L.S. : Oui et non. Le mathématicien et philosophe Bertrand Russell, par exemple, qui était tout sauf un illuminé, avait fait le calcul très sérieux, très consciencieux, qu’avec une meilleure répartition on pourrait travailler facilement quatre heures par jour. Et Keynes, économiste libéral qui croyait au capitalisme, disait que trois heures suffiraient et qu’il arriverait même un moment où l’on ne travaillerait plus. Ce n’était pourtant pas des utopistes comme a pu l’être Charles Fourier, qui, avec son phalanstère, avait l’ambition de mettre fin au travail tel qu’il se pratiquait dans les usines de son temps. Pour lui, le refus du labeur épuisant, répétitif, oppressif et morne devra constituer le premier des droits de l’homme. Ou Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx qui rédige un petit traité sur le “droit à la paresse”, alors que les insurgés de 1848 revendiquaient le “droit au travail”. Russell comme Keynes n’avaient pas ce côté fantasque et turbulent, ils avaient les pieds sur terre. C’est pour des raisons idéologiques que l’on refuse de faire de la paresse un droit. Nietzsche disait que le travail, c’était la meilleure des polices. Beaucoup ont intérêt à ce qu’on soit au travail, et le plus longtemps possible. Tant que les individus se comportent comme de bons petits soldats assignés à une place, la sécurité est garantie, comme l’absence de désordre. Car plus on travaille, moins on a le temps de penser, de reconsidérer le sens de son métier, les conditions dans lesquelles on l’exerce, la place qu’il prend, etc. Dans les sociétés artisanales et agraires préindustrielles, on ne travaillait pas pour créer des besoins, comme aujourd’hui, mais pour subvenir à ses besoins.
S.R. : Nous nous sommes enfermés dans un mode de pensée très dangereux pour nos conditions de vie. Tout ce qui est en dehors du travail et de la consommation est considéré comme perdu pour la cause, pour le collectif, alors que c’est tout le contraire ! On est passés du courrier au mail, puis du mail à la visio, et tout cela a accru notre productivité. Des tas de gens n’ont même plus le loisir de prendre un café sur leur lieu de travail avec quelques collègues, alors même que ces moments de détente sont aussi l’occasion de nouer du lien social, de partager des discussions informelles qui créent de la valeur et de la qualité. À force de courir, on perd de vue ce qui est essentiel. Pour aller vers une société écologique et plus respectueuse de ses membres, nous devons absolument ralentir et nous questionner sur le sens de ce que nous faisons ! Il va bien falloir sortir de ce mode de réflexion qui nous conduit à notre perte. Et ça va demander de la créativité. Un tiers des personnes pensent à quitter leur travail, ce que les politiques n’entendent pas les gens le font.

C’est quoi, pour vous, la paresse ?
L.S. : Dans notre système, on considère comme de la paresse tout ce qui échappe aux codes du productivisme. À savoir : penser, lire, jardiner, méditer, créer des liens, contempler la nature, etc. Pourquoi toutes ces activités sont-elles si méprisées ? Pourquoi les chômeurs sont-ils si déconsidérés ? La paresse, pour moi, c’est ce qui permet de penser. Tout simplement. Prenez Archimède dans sa baignoire. Il se prélasse et soudain, parce qu’il sent une pression sur ses jambes, il a cette intuition du principe d’Archimède. Il sort nu de sa baignoire en criant eurêka ! Rappelez-vous Newton qui paresse sous un pommier et qui, d’un coup, a l’idée de la gravitation parce qu’il reçoit une pomme sur la tête. Michaud [Henri, ndlr] disait que pendant la paresse, notre âme nage…
S.R. : Pour moi, la paresse, c’est vraiment le privilège des dominants. Aujourd’hui, les personnes qui peuvent se permettre d’être paresseuses sont celles qui ont les moyens de se payer un week-end où toutes les modalités pratiques sont assurées par d’autres, de sorte qu’elles n’ont plus qu’à se prélasser. Autoriser un droit à la paresse, c’est un geste très subversif qui consiste à libérer les plus dominés, a fortiori les femmes, qui ont des temps de paresse bien plus faibles que ceux des hommes. Mais aussi tous ceux qui occupent des emplois à domicile et qui sont payés à travailler 6 heures par jour, en commençant à 7 heures du matin et en finissant à 20 heures. Quand j’ai revendiqué un droit à la paresse pour tous, au moment de la réforme des retraites, j’ai remis en cause le monopole des dominants. C’est ça qui a mis la France en PLS [position latérale de sécurité] ! Au début du débat à l’Assemblée nationale, un orateur sur deux parlait de ma proposition comme d’un épouvantail. C’était l’horreur absolue, la pire des âneries politiques.

Ce serait un bon programme pour la gauche ?
S.R. : Toutes les conquêtes sociales de l’humanité, depuis la fin de l’esclavage en passant par les congés payés, ont consisté à gagner du temps sur le travail, pour les catégories les plus dominées. Que des communistes ne veuillent pas aujourd’hui le reconnaître me pose beaucoup de questions. La gauche a encore du mal à ouvrir ses chakras. 

155455 couverture Lydia

Depuis toujours nous aimons les dimanches, de Lydie Salvayre. Seuil, 144 pages, 16,50 euros.

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