Yoga et fémi­nisme : pour­quoi ça matche ?

De plus en plus de jeunes femmes fémi­nistes ont pla­cé le yoga au centre de leur exis­tence, allant même jusqu’à l’enseigner par­fois. Quels liens existent entre cette pra­tique et l’engagement pour les droits des femmes ? Pourquoi ce sport inspire-​t-​il autant les féministes ?

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© Séverine Assous pour Causette

Quand elle a com­men­cé le yoga en 2016, Camille Teste, 29 ans, pen­sait qu’elle allait amé­lio­rer son bien-​être et sa sou­plesse. Évidemment, c’est le cas. Mais, au fil des cours et des pos­tures, cette fémi­niste très inves­tie dans les ques­tions de jus­tice sociale a aus­si remar­qué que sa pra­tique entrait plei­ne­ment en réso­nance avec son enga­ge­ment poli­tique. Comme des tas d’autres jeunes femmes de sa géné­ra­tion, elle a donc déci­dé que le yoga allait faire par­tie inté­grante de sa vie, au même titre que ses com­bats. Depuis trois ans, elle en a même fait son métier. « Le pre­mier lien évident que je fais entre les deux, c’est dans la per­cep­tion du corps, poursuit-​elle. Le yoga le place vrai­ment comme sujet. Dans une époque où on sexua­lise les femmes à outrance, c’est très empou­voi­rant de se vivre autre­ment que comme un objet. »

La jour­na­liste Victoire Tuaillon est elle aus­si entrée dans une nou­velle rela­tion avec son corps grâce au yoga. « Je pra­tique le yoga pour tou­cher ses limites et l’accepter quoi qu’il arrive », détaille celle pour qui le mou­ve­ment per­met d’être « plus libre et de décou­vrir des pos­si­bi­li­tés phy­siques igno­rées ». Une connais­sance de son corps, qui entraîne aus­si une modi­fi­ca­tion du regard. Victoire Tuaillon consi­dère que sa pra­tique du yoga lui a per­mis d’envisager les enve­loppes cor­po­relles d’une autre manière, loin des images stan­dar­di­sées et for­ma­tées par les normes esthé­tiques. « En dehors de mon tapis, j’emporte ce nou­veau regard sur les corps ; plus aucun ne me dégoûte », confie-t-elle.

Les valeurs véhi­cu­lées par le yoga coïn­cident par­fai­te­ment avec celles prô­nées par les mou­ve­ments inter­sec­tion­nels et éco­fé­mi­nistes. « Le yoga est bien plus qu’une
pra­tique phy­sique, c’est une phi­lo­so­phie mil­lé­naire dont les valeurs incitent à explo­rer l’intérieur de soi, à faire preuve d’humilité et à se conten­ter de ce que l’on a,
ana­lyse Camille Teste. Autant de notions qui m’ont paru infi­ni­ment libé­ra­trices dans la socié­té capi­ta­liste et pro­duc­ti­viste dans laquelle on vit. » La jeune ensei­gnante anime des retraites en non-​mixité choi­sie ouvertes aux femmes cis, trans ou non binaires. « Le fait qu’on soit entre nous per­met de nous extraire du regard du domi­nant », sou­ligne Camille Teste. « C’est une pra­tique dans laquelle plein de femmes se retrouvent, car sur un tapis de yoga, on a la paix, on est en sécu­ri­té », estime Victoire Tuaillon.

Féminisation récente

Mais la com­po­si­tion majo­ri­tai­re­ment fémi­nine n’a pas tou­jours été la norme. « Le yoga n’a pas été tel­le­ment pen­sé pour les femmes au départ, ana­lyse Marie Kock, jour­na­liste et autrice du livre Yoga, une histoire-​monde (La Découverte, 2019). Aux ori­gines du yoga, dans sa dimen­sion phi­lo­so­phique, elles n’avaient pas accès aux pra­tiques brah­ma­niques. Et les pos­tures n’ont pas vrai­ment été pen­sées pour elles. » La spé­cia­liste cite notam­ment le fait de pra­ti­quer pieds joints au niveau des orteils, en ash­tan­ga, qui ne serait pas adap­té à la mor­pho­lo­gie des hanches féminines.

Si le yoga a évo­lué au fil des ans et des divers amé­na­ge­ments cultu­rels, cer­taines pra­tiques ont per­du de vue la phi­lo­so­phie ini­tiale. « Il y a une forme de dévoie­ment du yoga, dénonce Audrey Billard, créa­trice du pod­cast Yogini et pra­ti­quante depuis vingt ans. Certains comptes Instagram mettent en avant une forme d’hypersexualisation des corps des profs, qui sont toutes minces, blanches et souples. Ça n’a rien à voir avec la réa­li­té de la pra­tique. » Marie Kock y voit l’un des para­doxes du yoga moderne : « Prôner une connexion au corps inté­rieur, tout en par­ti­ci­pant à per­pé­tuer un corps très nor­mé. » Elle pour­suit : « Même si l’on voit de plus en plus de corps dif­fé­rents et que cer­tains profs et cours com­mencent à être plus inclu­sifs, cela reste encore mar­gi­nal face au raz de marée nor­ma­tif de la repré­sen­ta­tion du corps fémi­nin véhi­cu­lée par les stu­dios et les réseaux sociaux. »

Outil d’ancrage et d’émancipation

Heureusement, plu­sieurs profs et stu­dios de yoga tentent de résis­ter à cette stan­dar­di­sa­tion et pro­posent des pra­tiques inclu­sives qui n’ont que le bien-​être comme objec­tif. Un bien-​être qui s’avère sou­vent plus poli­tique qu’il n’y paraît. « Faire du yoga m’a ren­due super atten­tive à mes varia­tions émo­tion­nelles. J’ai plus conscience des effets que des com­por­te­ments ou des situa­tions comme le har­cè­le­ment de rue peuvent avoir sur moi », pour­suit Camille Teste, qui estime que le yoga peut éga­le­ment consti­tuer un outil d’aide dans la ges­tion des trau­ma­tismes. Audrey Billard a res­sen­ti ce nou­vel élan. « Le yoga n’est pas un sport de défense mais il m’a don­né confiance en moi et en ma force. Je marche avec la poi­trine plus ouverte et les pieds plus ancrés dans le sol. »

Un ancrage que Camille Teste voit comme « la pre­mière étape de l’émancipation ». Si le yoga prône le calme et la non-​violence, cela n’annule pas pour autant le désir de lut­ter et la volon­té de défendre ses droits. Bien au contraire. « Le jour où on sera tous bien (re)connectés à nos corps, on sera plus capables de faire la révo­lu­tion », veut croire Camille Teste. À vos tapis !


C’est quoi un cours inclusif ?

Pour recon­naître un stu­dio aux valeurs fémi­nistes et inclu­sives, il faut veiller à quelques points. « Si vous ne voyez que des nanas blanches et minces sur les réseaux sociaux, c’est un pre­mier indice que le lieu n’est peut-​être pas si ouvert que ça », pré­vient Camille Teste. Autre détail : le recueil du consen­te­ment en début de cours avant de cor­ri­ger les pos­tures. Enfin, atten­tion au prix. Certains espaces pari­siens pro­posent des cours à 30 euros. Les loyers sont éle­vés et il faut payer les profs cor­rec­te­ment, mais il y a une limite car, comme le rap­pelle Camille Teste, le bien-​être doit res­ter « un bien com­mun accessible ». 

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