De plus en plus de jeunes femmes féministes ont placé le yoga au centre de leur existence, allant même jusqu’à l’enseigner parfois. Quels liens existent entre cette pratique et l’engagement pour les droits des femmes ? Pourquoi ce sport inspire-t-il autant les féministes ?
![Yoga et féminisme : pourquoi ça matche ? 1 Screenshot 2023 02 20 16.55.37](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2023/02/Screenshot-2023-02-20-16.55.37.jpg)
Quand elle a commencé le yoga en 2016, Camille Teste, 29 ans, pensait qu’elle allait améliorer son bien-être et sa souplesse. Évidemment, c’est le cas. Mais, au fil des cours et des postures, cette féministe très investie dans les questions de justice sociale a aussi remarqué que sa pratique entrait pleinement en résonance avec son engagement politique. Comme des tas d’autres jeunes femmes de sa génération, elle a donc décidé que le yoga allait faire partie intégrante de sa vie, au même titre que ses combats. Depuis trois ans, elle en a même fait son métier. « Le premier lien évident que je fais entre les deux, c’est dans la perception du corps, poursuit-elle. Le yoga le place vraiment comme sujet. Dans une époque où on sexualise les femmes à outrance, c’est très empouvoirant de se vivre autrement que comme un objet. »
La journaliste Victoire Tuaillon est elle aussi entrée dans une nouvelle relation avec son corps grâce au yoga. « Je pratique le yoga pour toucher ses limites et l’accepter quoi qu’il arrive », détaille celle pour qui le mouvement permet d’être « plus libre et de découvrir des possibilités physiques ignorées ». Une connaissance de son corps, qui entraîne aussi une modification du regard. Victoire Tuaillon considère que sa pratique du yoga lui a permis d’envisager les enveloppes corporelles d’une autre manière, loin des images standardisées et formatées par les normes esthétiques. « En dehors de mon tapis, j’emporte ce nouveau regard sur les corps ; plus aucun ne me dégoûte », confie-t-elle.
Les valeurs véhiculées par le yoga coïncident parfaitement avec celles prônées par les mouvements intersectionnels et écoféministes. « Le yoga est bien plus qu’une
pratique physique, c’est une philosophie millénaire dont les valeurs incitent à explorer l’intérieur de soi, à faire preuve d’humilité et à se contenter de ce que l’on a, analyse Camille Teste. Autant de notions qui m’ont paru infiniment libératrices dans la société capitaliste et productiviste dans laquelle on vit. » La jeune enseignante anime des retraites en non-mixité choisie ouvertes aux femmes cis, trans ou non binaires. « Le fait qu’on soit entre nous permet de nous extraire du regard du dominant », souligne Camille Teste. « C’est une pratique dans laquelle plein de femmes se retrouvent, car sur un tapis de yoga, on a la paix, on est en sécurité », estime Victoire Tuaillon.
Féminisation récente
Mais la composition majoritairement féminine n’a pas toujours été la norme. « Le yoga n’a pas été tellement pensé pour les femmes au départ, analyse Marie Kock, journaliste et autrice du livre Yoga, une histoire-monde (La Découverte, 2019). Aux origines du yoga, dans sa dimension philosophique, elles n’avaient pas accès aux pratiques brahmaniques. Et les postures n’ont pas vraiment été pensées pour elles. » La spécialiste cite notamment le fait de pratiquer pieds joints au niveau des orteils, en ashtanga, qui ne serait pas adapté à la morphologie des hanches féminines.
Si le yoga a évolué au fil des ans et des divers aménagements culturels, certaines pratiques ont perdu de vue la philosophie initiale. « Il y a une forme de dévoiement du yoga, dénonce Audrey Billard, créatrice du podcast Yogini et pratiquante depuis vingt ans. Certains comptes Instagram mettent en avant une forme d’hypersexualisation des corps des profs, qui sont toutes minces, blanches et souples. Ça n’a rien à voir avec la réalité de la pratique. » Marie Kock y voit l’un des paradoxes du yoga moderne : « Prôner une connexion au corps intérieur, tout en participant à perpétuer un corps très normé. » Elle poursuit : « Même si l’on voit de plus en plus de corps différents et que certains profs et cours commencent à être plus inclusifs, cela reste encore marginal face au raz de marée normatif de la représentation du corps féminin véhiculée par les studios et les réseaux sociaux. »
Outil d’ancrage et d’émancipation
Heureusement, plusieurs profs et studios de yoga tentent de résister à cette standardisation et proposent des pratiques inclusives qui n’ont que le bien-être comme objectif. Un bien-être qui s’avère souvent plus politique qu’il n’y paraît. « Faire du yoga m’a rendue super attentive à mes variations émotionnelles. J’ai plus conscience des effets que des comportements ou des situations comme le harcèlement de rue peuvent avoir sur moi », poursuit Camille Teste, qui estime que le yoga peut également constituer un outil d’aide dans la gestion des traumatismes. Audrey Billard a ressenti ce nouvel élan. « Le yoga n’est pas un sport de défense mais il m’a donné confiance en moi et en ma force. Je marche avec la poitrine plus ouverte et les pieds plus ancrés dans le sol. »
Un ancrage que Camille Teste voit comme « la première étape de l’émancipation ». Si le yoga prône le calme et la non-violence, cela n’annule pas pour autant le désir de lutter et la volonté de défendre ses droits. Bien au contraire. « Le jour où on sera tous bien (re)connectés à nos corps, on sera plus capables de faire la révolution », veut croire Camille Teste. À vos tapis !
C’est quoi un cours inclusif ?
Pour reconnaître un studio aux valeurs féministes et inclusives, il faut veiller à quelques points. « Si vous ne voyez que des nanas blanches et minces sur les réseaux sociaux, c’est un premier indice que le lieu n’est peut-être pas si ouvert que ça », prévient Camille Teste. Autre détail : le recueil du consentement en début de cours avant de corriger les postures. Enfin, attention au prix. Certains espaces parisiens proposent des cours à 30 euros. Les loyers sont élevés et il faut payer les profs correctement, mais il y a une limite car, comme le rappelle Camille Teste, le bien-être doit rester « un bien commun accessible ».