Lancée la semaine dernière par le gouvernement, la consultation publique sur la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement invite l'ensemble des citoyen·nes à passer au crible la future politique d'action à l'adresse de ce public, tout aussi bien en matière de scolarisation que d'accès aux soins ou à l'emploi ou encore d'accompagnement des familles. Entretien avec Claire Compagnon, déléguée interministérielle en charge du dossier.
Concerné·e ou simple curieux·euse, vous avez jusqu'au 24 mai pour participer à la consultation citoyenne sur la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement lancée par le gouvernement la semaine dernière. L'occasion de donner votre avis sur les 121 mesures émises par la délégation interministérielle dédiée à l'issue d'un premier tour de table avec les parties prenantes ces derniers mois : accompagnement des personnes présentant un trouble du neurodéveloppement et de leur famille, accès aux soins, à la scolarisation, à l'emploi, développement de la recherche scientifique, amélioration de la qualité des interventions des professionnel·les…
La consultation citoyenne vous permet également d'ajouter vos propres propositions ainsi que de donner votre opinion sur celles des autres. De son côté, la délégation interministérielle s'engage à prendre en compte les propositions les plus populaires lors de la remise de la synthèse de ces travaux au gouvernement au début de l'été. Causette s'est entretenue avec Claire Compagnon, qui a consacré sa carrière professionnelle aux politiques de santé publique (notamment dans la lutte contre le VIH et la ligue nationale contre le cancer), désormais haute fonctionnaire et déleguée interministerielle autisme et troubles du neurodéveloppement.
Causette : Dans l'appel à participation à cette consultation citoyenne, il est indiqué que 18% des enfants naissent avec un trouble du neurodéveloppement. Qu’est-ce que cette appellation englobe ?
Claire Compagnon : Lorsqu'on parle des maladies, des troubles et des handicaps, on se réfère toujours aux classifications internationales des maladies, qui s'appellent la CIM, la classification internationale des maladies, éditée par l'Organisation mondiale de la santé. On y trouve la catégorie des troubles du neurodéveloppement, qui regroupe les troubles du spectre de l'autisme, les troubles du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité, qu'on appelle plus communément les TDAH, les différents troubles DYS (dyscalculie, dyspraxie, dysorthographie…) et enfin, les troubles du développement intellectuel, les TDI, qu'on appelait auparavant de façon très péjorative « déficiences intellectuelles ». Les études épidémiologiques internationales montrent qu'on serait à un peu plus de 17% de prévalence de ces troubles du neurodéveloppement sur l’ensemble de la population.
Votre enjeu actuel, c’est de renouveler une première stratégie d'accompagnement des personnes présentant ces troubles, qui s’est déroulée entre 2018 et 2022 ?
C.C. : C'est ça. On a mené une politique publique d'accompagnement, de recherche, de soutien à l'inclusion, à la scolarisation de toutes ces personnes, arrivée à échéance en décembre. Dans le cadre du renouvellement des actions pour les quatre années à venir, on a mené des travaux de concertation avec les acteurs associatifs, les familles, les personnes elles-mêmes, les professionnels des différents champs, des scientifiques, les autorités publiques, les agences régionales de santé, la sécurité sociale. Désormais, nous soumettons les propositions issues de ces travaux à une consultation citoyenne.
Peut-on faire un court bilan de la stratégie précédente 2018–2022 ?
C.C. : Il y avait beaucoup d’actions à mener puisque la France est dans une situation très particulière où l'autisme a été peu pris en compte pendant des années. C'est ce qui a notamment engagé la première ministre à annoncer il y a quelques semaines la nécessité de poursuivre cette politique.
L'action a été organisée autour de cinq engagements majeurs : recherche ; repérage et l'action précoce auprès des enfants ; scolarisation au sens large des enfants autistes ; soutien aux personnes adultes ; soutien aux familles. On a eu d'importantes réalisations puisque la plupart des mesures prévues ont été mises en œuvre.
Premièrement, on a structuré, développé la recherche sur ces troupes du neurodéveloppement en multipliant les financements et le nombre de chercheurs dans des centres d'excellence sur ces troubles, au nombre de 5 sur le territoire.
Un autre élément marquant, c’est le financement des moyens de repérage et de l'intervention précoce auprès des enfants entre 0 et 6 ans. A la fin de l’année 2022, on avait aidé à repérer presque 41 000 enfants.
Sur la scolarisation, un effort considérable a été mené pour permettre une meilleure scolarisation des enfants autistes dans l'école ordinaire, avec la création de 425 dispositifs de scolarisation adaptés à ces enfants, et la formation d’enseignants ressources. On a beaucoup mis l'accent sur les écoles maternelle et élémentaire. Il nous reste encore de gros efforts à faire sur le collège, le lycée et l'université.
Nous avons aussi développé des structures pour les adultes, les adultes autistes en particulier, des services d'accompagnement, des développements de projets pour le logement partagé, le logement inclusif, l'accompagnement dans l'emploi des personnes, autistes notamment.
Pourquoi la question de la recherche est-elle primordiale ?
C.C. : Nous sommes face à un sujet fondamental : permettre aux personnes et à leur famille de bénéficier des accompagnements thérapeutiques de la meilleure qualité. Pour cela, il faut que les données de la connaissance de la recherche soient transférées vers les professionnels. Donc, il faut à la fois de la recherche et à la fois du transfert de cette recherche vers les professionnels qui accompagnent les personnes pour proposer les meilleures thérapies cognitives et comportementales [les troubles du neurodéveloppement ne sont pas des pathologies mais des handicaps, ndlr].
Cette consultation citoyenne a‑t-elle pour enjeu de dégager des priorités dans le cadre d’un budget qui serait contraint ?
C.C. : La politique publique que nous avons mis en œuvre entre 2018 et 2022 a représenté un demi milliard de moyens nouveaux. La Cour des comptes avait publié en 2019 un rapport sur l'autisme en France. Elle avait estimé que ça représentait environ 7 milliards d'euros de dépenses pour la collectivité. On n'est donc pas du tout dans des moyens contraints.
L’idée est de tenir compte des propositions qui vont nous être faites, de les analyser et d’intégrer les plus pertinentes. De voir aussi quelles priorités se dégagent. Ensuite, il y aura une décision qui relève des services du gouvernement pour financer cette politique.
Vous avez soulevé de gros efforts à mener sur les collèges, lycées et universités. C'est-à-dire ?
C.C. : C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on voit, mais c'est la même chose dans beaucoup de pays du monde, on voit qu'il y a une scolarisation des enfants concernés par ces troubles du neurodéveloppement de plus en plus importante, notamment en maternelle et en élémentaire. En France, nous avons par ailleurs la chance d’avoir la scolarisation obligatoire pour tous les enfants à partir de 3 ans. Mais on sait qu'on a des zones à risque qui sont l'entrée au collège, l'entrée au lycée et puis ensuite l'entrée à l'université. Là, les dispositifs d'accompagnement ne sont pas suffisamment nombreux, pas suffisamment adaptés, notamment aux élèves qui ont un trouble du spectre de l'autisme. Nous devons donc renforcer ces aspects-là, un certain nombre de nos propositions y sont dédiées.
Au-delà de la dimension scolaire, nous proposons plusieurs dispositifs pour les adolescents et jeunes adultes : un accompagnement à la parentalité pour les jeunes autistes, une politique de prévention du suicide, phénomène encore plus conséquent dans ces populations que dans la population générale, une politique d’information sur les droits sexuels et reprodutifs dédiée à ce public…
Y a‑t-il d'autres priorités à vos yeux parmi toutes ces propositions consultables sur le site ?
C.C. : Nous avons un axe important pour les personnes présentant des troubles du déficit de l'attention, puisqu'on sait que ce sont des publics qui n'ont pas fait l'objet d'une politique publique suffisante pendant plusieurs années. Les enjeux sont donc l'accès aux soins et aux traitements, puisque, à la différence de l'autisme, des traitements médicamenteux sont possibles pour les TDAH. Il s’agit aussi de trouver des solutions pour que les personnes concernées puissent trouver un professionnel compétent, pas très loin de chez elles.
Vous invitez tout un chacun à donner son avis.
C.C. : Notre souci à travers cette consultation, c'est aussi de rendre visibles les personnes qui présentent ces difficultés et qu'il faut bien accompagner. Quand on a des troubles qui sont aujourd'hui aussi importants en termes de nombre de personnes affectées, cela veut dire aussi que chacun est concerné. Chacun d'entre nous peut avoir dans son environnement un enfant, un adulte, une famille impactée par l'existence de ces troubles.
Nous devons faire advenir une société inclusive et bienveillante envers ces personnes. Par exemple, en ce qui concerne les enfants présentant des troubles de l’attention, comprendre qu’il ne s’agit pas d’enfants mal élevés ou indisciplinés.
Lorsque vous regardez les rencontres du Papotin diffusées sur France Télévisions, le travail de cette équipe de journalistes autistes appelle à apporter un regard un peu différent sur ces troubles et sur la bienveillance que l’on doit à tous. Nous devons accepter que des gens aient des attitudes différentes, ça n'en fait pas des gens à part, ni des gens dont la vie serait moins importante. C'est aux « neurotypiques » et à la société de s’adapter.