La san­té men­tale, dom­mage col­la­té­ral de la Covid-19

Troubles du sommeil, anxiété, dépression… Annoncées lors du confinement, les conséquences sur le long terme de la crise de la Covid-19 sur l’état psychique de nombre d’entre nous commencent à se dessiner. À l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, ce 10 septembre, Causette fait le point, auprès des professionnel·les de santé, pour qui la dégradation de l’état mental des Français·es n’est plus seulement théorique.

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© Priyanka Singh

« Il y a trois semaines, je me suis effondrée chez mon médecin généraliste à son simple et banal “ça va ?”. » Comme de nombreux·ses Français·es, Lucie, maman solo de jumelles de 4 ans, a constaté des changements liés à son bien-être mental depuis le début de la pandémie de Covid-19. Annoncée et vécue par certain·es dès le début du confinement, la dégradation de l’état psychique général de la population est aujourd’hui vérifiée dans les retours terrain des psychiatres, qui reçoivent nombre de patient·es dont les troubles sont liés à la Covid, comme dans les sondages réalisés sur le long terme, à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale qui se tient ce samedi 10 octobre. Ainsi, selon un sondage mené par l’Ifop pour l’application de méditation Headspace et publié le 8 octobre, 62 % des Français·es estiment rencontrer des effets secondaires psychiques de l’épidémie de Covid.

Un chiffre qui n’étonne par les professionnel·les de santé mentale. « Même si on n’a encore peu de données précises et récentes sur les conséquences psychiques du Covid-19, on voit clairement qu’une nouvelle frange de la population, sans antécédent psychiatrique, consulte pour des troubles mentaux », indique la psychiatre et épidémiologiste Astrid Chevance à Causette.

De nombreux troubles mentaux liés à la Covid-19

Angoisse permanente, peur de tomber malade ou qu’un proche le soit, trouble du sommeil, agitation, dépression, pensées suicidaires, nombreux sont ainsi les troubles mentaux liés directement à la Covid-19. « On a également vu apparaître des troubles liés à des causes indirectes de la maladie, comme la perte de lien social, l’incertitude liée à l’avenir, la précarité et un déclassement social et financier », énumère Antoine Pelissolo. À son niveau, le chef du service de psychiatrie de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil a vu se multiplier les consultations liées de près ou de loin à la Covid.

Pour les professionnel·es de santé interrogé·es, parmi tous les troubles mentaux observés depuis le début de la pandémie, les troubles du sommeil sont les plus récurrents. « Ils peuvent paraître anodins, mais ne sont pourtant pas à prendre à la légère, assure Astrid Chevance. Un manque fréquent de sommeil entraîne un trouble de l’humeur, du stress, allant parfois même jusqu’à la dépression. » C’est le cas d’Alice, 32 ans, responsable d’équipe dans un établissement de santé et qui souffre, pour la première fois de sa vie, de troubles du sommeil depuis trois semaines. « Cinq nuits sur sept, je me réveille en sursaut et il m’est impossible de me rendormir, car j’angoisse », déplore celle qui avait pourtant tenu bon depuis mars. Mais alors que l’épidémie semble repartir de plus belle, Alice ressent une anxiété à « prendre sur elle » pour rassurer l’équipe de soignants qu’elle encadre et qui est tout aussi angoissée.

« La crise met à mal également une des caractéristiques des sociétés occidentales, le déni de la mort »

Bertrand Lièvre, psychiatre et membre du conseil d’administration de Santé mentale France

Le caractère inédit de la crise de la Covid-19, sa durée ainsi que son ampleur déstabilisent la population et bouleversent complètement nos fondamentaux sociétaux. « La prévisibilité et la stabilité du lien social sont totalement ébranlées, souligne Xavier Briffault, chercheur en sciences sociales spécialiste en santé mentale et épistémologie au CNRS. Pour beaucoup de personnes, il est très difficile de ne plus pouvoir anticiper la vie sociale et le futur. » Mais l’épidémie ne fragilise pas uniquement le lien social. « La crise met à mal également une des caractéristiques des sociétés occidentales, le déni de la mort, ajoute Bertrand Lièvre, psychiatre et membre du conseil d’administration de Santé mentale France. L’épidémie plonge une très grande partie de la population dans une incertitude quasi permanente. »

Les psychiatres s’accordent sur un autre point : la Covid agit comme un révélateur des fragilités de certains. « La Covid-19 m’a permis de prendre conscience de ma fragilité mentale, abonde Simon, 24 ans, travailleur social et diagnostiqué hyperactif plus jeune. Une grande fatigue mentale s’est installée après le confinement avec une impossibilité de reprendre un rythme normal. » Après avoir enchaîné les crises d’angoisses et les arrêts de travail pour dépression, Simon a pris rendez-vous, il y a quatre mois, chez une psychiatre spécialisée dans les troubles de l’attention… qui ne pourra le recevoir qu’en novembre, son planning étant saturé.

Chez les personnes déjà suivies en psychiatrie, si la situation s’est aggravée pour certain·es, elle a pu agir sur d’autres comme un stabilisateur. « De par leurs pathologies, certains patients sont déjà confinés en permanence dans des institutions, c’est donc moins bouleversant », souligne la psychiatre Astrid Chevance. Pour d’autres, la crise et le confinement sont même un « soulagement ». « Une de mes patientes atteintes de phobie sociale m’a confié que le confinement était l’un des plus beaux moments de son existence », exprime ainsi Bernard Lièvre. Certain·es patient·es souffrant de TOC* sévères liés à la peur de la contamination se sentent également en sécurité avec les nouvelles normes d’hygiènes et la mise en place des téléconsultations.

« Quand la maladie tue, il est normal d’avoir peur »

Antoine Pelissolo, psychiatre

Par contre, selon Antoine Pelissolo, les personnes un peu trop zélées sur les tests PCR, qui y retournent plusieurs fois par semaine, ne sont pas toutes subitement atteintes d’hypocondrie. « Quand la maladie tue, il est normal d’avoir peur », observe-t-il.

Dans ce moment si particulier que nous traversons, les peurs liées à la maladie s’entrechoquent pour beaucoup avec les anxiétés nées d’une précarité grandissante. En effet, si le taux de pauvreté de 2020 ne sera connu que dans quelques mois, déjà les associations craignent qu’un million de personnes ne viennent s’ajouter aux 9,3 millions de Français·es vivant sous le seuil de pauvreté en 2019. Perte de revenus, distributions alimentaires et bénéficiaires du RSA en hausse, l’impact social de la crise liée à la Covid pèse lourdement sur la santé mentale des Français·es. « Le déclassement social et financier entraîne une fragilité psychologique importante », appuie le sociologue Xavier Briffault.

Lucie, la maman des jumelles, fait partie de ces milliers de Français·es dont le quotidien a plongé dans la précarité. « J’ai dû arrêter mon activité d’énergéticienne, que je venais tout juste de débuter, et je n’ai plus aucune motivation pour me lancer dans la recherche d’emploi, confie la jeune femme de 40 ans à Causette. Je suis désormais au RSA et je vis dans un certain fatalisme. La phrase “à quoi bon ?” résonne très souvent dans ma tête. » Lucie, qui voyait une psychologue avant l’épidémie, a dû arrêter, car elle lui revenait trop cher. Elle s’est donc tournée vers un cabinet libéral de psychiatrie, dont les consultations médicales sont, elles, remboursées.

Quand se rendre au travail devient une source d’angoisse

Dans cette période anxiogène, continuer à travailler peut être tout aussi angoissant que de perdre son emploi. Léonie, 25 ans, travaille dans un hôtel de luxe parisien. Ce dernier a rouvert presque immédiatement lors du déconfinement, le 11 mai, mais avec une grande partie de l’équipe demeurée au chômage partiel. Les dix employé·es restant·es ont dû pallier les absences. « Ça fait cinq mois que je fais toute seule le travail de quatre personnes, témoigne Léonie. La direction nous met une pression constante pour que l’hôtel tourne à tout prix, je culpabilise même quand je vais aux toilettes, car le téléphone continue de sonner et je suis la seule pour répondre. » À bout mentalement et physiquement, la jeune femme doit faire face à la pression de sa direction, mais également à l’incivilité des clients. « Ils s’attendent à ce que tout redevienne comme avant, certains font des scandales, car on ne peut plus toucher leurs bagages [en raison des gestes barrières, ndlr], d’autres refusent même de porter le masque et nous le jettent en pleine figure. » Un comportement qui a poussé Léonie à hurler sur une cliente il y a un mois. « Les discours de la direction changent toutes les semaines, je vais au travail avec la peur d’être virée dans six mois. »

L’instabilité au travail va d’ailleurs de pair avec l’instabilité globale qui règne depuis le mois de mars. « La communication du gouvernement sur la Covid-19 est désastreuse, affirme le sociologue Xavier Briffault. On a l’impression d’entendre inlassablement “dans quinze jours, ça ira mieux”, sauf qu’ensuite, non, cela ne s’arrange pas. Cette stratégie court-termiste des autorités, dont l’optimisme ne se vérifie pas, engendre de l’anxiété et provoque des traumatismes additionnels. »

« La santé mentale devient un dommage collatéral de la crise qu’il faut tolérer puisque nous sommes en guerre »

Xavier Briffault, sociologue

Dans notre société, il y a une certaine honte à ne pas aller bien. Comme si on pouvait avoir mal à la tête, mais pas « dans la tête ». D’ailleurs, aux yeux des professionnel·les de santé interrogé·es par Causette, la Covid-19 a révélé que la santé mentale est toujours le dernier maillon de la médecine française. « Dans cette réalité énoncée que la maladie tue, la santé mentale devient un dommage collatéral de la crise qu’il faut tolérer puisque nous sommes en guerre, selon les mots du président », dénonce Xavier Briffault. Un délaissement qui s’accompagne d’une stigmatisation des troubles mentaux, selon la psychiatre Astrid Chevance, spécialisée dans les dépressions. « C’est soit perçu comme de la déviance, soit comme un manque de volonté. »

En cette Journée mondiale de la santé mentale, les psychiatres et autres professionnel·les de santé s’accordent à pointer un cruel manque de moyens pour la santé mentale en France et aimeraient qu’elle devienne un sujet de préoccupation. Une réforme de la profession, les remboursements des psychothérapies, l’augmentation des téléconsultations amorcées pendant le confinement, l’ouverture de postes dans des régions sinistrées médicalement, mais également des campagnes de sensibilisation et de prévention autour de la santé mentale sont autant de vœux que formulent ces professionnel·les de santé. En ce sens, le marasme de la Covid a permis une petite ouverture : « Durant le confinement, observe Astrid Chevance, on a beaucoup parlé de santé mentale, dans les médias comme dans les conversations avec nos proches, parce que tout le monde a pu mesurer les risques de l’enfermement. » L’enjeu est aujourd'hui de ne pas la faire se refermer.


* Trouble obsessionnel compulsif caractérisé par l’apparition répétée de pensées intrusives.

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