Selon l’Arcom, 2,3 millions de mineur·es fréquentent des sites pornographiques en France. Le gouvernement a mis en place le projet de loi dit “Sren” pour contrôler ces pratiques, mais les associations de protection des mineur·es évoquent une usine à gaz.
“Un micmac inapplicable” : des associations de protection de l’enfance déplorent une occasion manquée avant le vote final, mercredi à l’Assemblée nationale, du projet de loi sur la régulation numérique. Le volet sur la protection des enfants leur laisse un “goût amer”. “Tout ce qui peut aller dans le sens de mieux protéger les enfants face à ces contenus, on est prêt à signer”, assure Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open). “Mais là, on nous réinvente une espèce d’usine à gaz, on ne peut pas faire plus compliqué, c’est un micmac incompréhensible et inapplicable”, ajoute-t-il, déplorant “beaucoup de blabla, de temps perdu” et “une occasion manquée”.
Un blocage administratif
Près de 2,5 millions de mineur·es consomment de la pornographie en France et, dès 12 ans, plus de la moitié des garçons utilisant Internet se rendent en moyenne chaque mois sur ces sites. Face à ce constat, les autorités tentent depuis plusieurs années d’accentuer la pression sur les sites pornos en leur imposant de vérifier l’âge des utilisateur·rices, une obligation réaffirmée dans une loi de 2020, mais sans succès probant à ce stade.
Lire aussi l Selon l’Arcom, 51 % des garçons de 12–13 ans fréquentent des sites pornographiques chaque mois
Afin d’agir “plus vite et plus fort”, le gouvernement souhaite, via son projet de loi dit “Sren”, donner à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) un pouvoir de blocage administratif des sites qui ne vérifieraient pas correctement l’âge, sans passer par un juge comme c’est le cas actuellement. La question de la méthode de vérification de l’âge, qui soulève de nombreuses questions en termes de faisabilité technique, n’a toujours pas été tranchée. Le texte renvoie à l’Arcom la responsabilité de dessiner les contours d’un “référentiel technique”, c’est-à-dire une solution concrète pour permettre cette vérification au-delà d’un simple clic.
Une “déresponsabilisation” des plateformes qui fait bondir Arthur Melon, délégué général du Conseil français des associations pour les droits de l’enfant (Cofrade). “Si on constate que les mineurs ont toujours accès aux contenus, les plateformes vont dire que ce n’est pas de leur faute, qu’elles se sont conformées au référentiel et que si ce dernier n’est pas efficace, il faut voir avec l’Arcom”, estime-t-il.
"Ergotages juridiques"
Cet avis est partagé par Céline Piques, d’Osez le féminisme !. “Le référentiel, c’est ce que les sites veulent pour gagner du temps. Le gouvernement déroule le tapis rouge aux sites pornos”, déclare-t-elle à l’AFP, dénonçant “un sabotage”. Elle déplore également le fait que les prérogatives de blocage de données à titre uniquement expérimental à la plateforme de signalement Pharos soient limitées aux images d’actes de torture ou de barbarie, laissant de côté le viol, l’inceste et la diffusion de contenus contre l’avis de la personne.
Autre problématique que laisse en suspens le projet de loi : le périmètre d’action de l’Arcom en matière de blocage des sites, dont sont exclus les pays de l’UE. Le problème, c’est que les principales plateformes s’y trouvent, comme Pornhub et Xhamster à Chypre, Xvideos et Xnxx en République tchèque et Tukif au Portugal. Plus globalement, le projet de loi ne va faire que “complexifier” la donne par rapport à la loi de 2020 qui comporte certes des écueils, mais qui était “plus simple à mettre en œuvre”, selon le Cofrade et l’Open. “La loi actuelle ne comporte qu’un alinéa et malgré cela, les plateformes ont réussi à faire traîner les procédures judiciaires pendant des mois et des mois”, relève Arthur Melon, qui estime que le nouveau texte, avec sa “multitude de procédures”, va “prêter le flanc à des ergotages juridiques”.
“Au prétexte que la loi actuelle ne fonctionne pas totalement, on vient avec un texte, avec des délais et des interlocuteurs qui s’entremêlent, on vient complexifier les choses”, renchérit Thomas Rohmer, qui “prend le pari que le Conseil constitutionnel va être rapidement saisi par les sites”. “On est dans une mauvaise série qui est loin de se terminer, avec, en attendant, des millions d’enfants qui risquent d’être exposés aux sites pornos”, s’alarme-t-il.
Lire aussi l L'Union européenne impose des règles renforcées à trois grands sites pornographiques