Une avocate novice qui nous émeut, une cohorte de vieilles et de vieux qui nous émerveillent, un triangle amoureux qui nous défie : voici les sorties ciné du 24 avril 2024.
Première Affaire
Toute première fois… à tout point de vue ! Ce premier film signé Victoria Musiedlak raconte la construction douloureuse, quoique galvanisante, de Nora, une avocate débutante de 25 ans qui, d’un coup d’un seul, est confrontée à la cruauté du réel alors qu’on l’en avait gentiment protégée jusqu’alors.
Tout démarre le jour où son patron, un avocat d’affaires cynique, lui demande à elle, jeune femme timide, naïve, encore adulescente (elle vit toujours chez ses parents), de partir sur le champ à Arras pour assister un jeune homme en garde à vue (il est entendu dans le cadre d’une enquête pour l’enlèvement et la séquestration d’une jeune fille, et sera finalement mis en examen pour homicide volontaire). Rien, ni dans ses études ni dans sa vie personnelle, n’a préparé Nora à une telle brutalité, sinon un tel inconfort. Alors plongée dans l’arène policière et judiciaire, tapissée d’obstacles et de manipulations, cette novice va commettre nombre d’erreurs, avant de mûrir, de s’affirmer, mais aussi de se forger une carapace, quitte à perdre ses illusions.
Certes, ce processus de ruptures (avec l’enfance, avec sa naïveté) est parfois chargé : Victoria Musiedlak, également scénariste, a ainsi voulu que son héroïne soit vierge, histoire d’étoffer sa candeur et son inexpérience (et de créer une relation trouble avec le bien trop séduisant policier chargé de l’enquête). Par-delà ces petites lourdeurs scénaristico-sentimentales, Première Affaire dresse toutefois le portrait convaincant d’une jeune femme d’aujourd’hui, à la fois fragile et fougueuse, éprise de justice (elle n’est pas avocate par hasard) et finalement transformée par son métier (elle devient pragmatique).
Sans doute, le travail soigné sur les couleurs – froides – et la lumière – en clair-obscur – participe-t-il du charme intrigant de ce récit d’apprentissage pas forcément aimable. Reste que l’interprétation de Noée Abita dans le rôle de Nora est assurément son atout… maître. Avec sa voix fluette, son corps menu, son expressivité à fleur de peau et d’émotion, la jeune actrice dégage une impression idéale de grande vulnérabilité et d’intelligence affûtée. Pas plus que la réalisatrice, on ne parvient à la lâcher du regard !
Challengers
Deux garçons, une fille, trois possibilités… En choisissant à son tour, après tant d’autres, de filmer un triangle amoureux, Lucas Guadagnino, réalisateur célébré de Call Me By Your Name, prend le risque de flirter avec le cliché, sinon le déjà-vu. Malin, il choisit donc d’électriser les relations de ses trois protagonistes en en faisant des sportifs de haut niveau, avides de compétition, rehaussant ainsi son mélo sexy d’une tension palpable, et même d’une férocité assez rare. C’est bien connu, il ne peut y avoir qu’un ou qu’une vainqueur·e à la fin… tous les coups, ou presque, vont donc être permis !
On parierait volontiers sur la fille au départ, Challengers nous entraînant dans les pas ultra décidés de Tashi, ex-jeune prodige du tennis qui a du mettre fin à sa carrière à la suite d’une blessure, mais qui s’est aussitôt reconvertie en coach exigeante de son futur mari, Art, également doué, totalement énamouré, quoique nettement moins enclin à gagner au fil des années. Jusqu’à ses retrouvailles, lors de la finale d’un championnat médiocre, avec Patrick, son ancien meilleur ami, lui-même tennisman brillant bien que cultivant l’échec avec obstination et panache. Un Patrick d’autant plus joueur qu’il est aussi l’ancien petit ami de Tashi et qu’il a toujours battu Art, sur tous les terrains…
La partie vous semble difficile à suivre ? Détrompez-vous ! Guadagnino a beau se donner du mal pour nous égarer dans ses filets, oscillant continuellement de flash-back en flash-forward, on comprend assez vite que son récit très physique, tout en sueur, muscles et volupté, va s’ordonner autour des trois règles (ou presque) du tennis : jeux, sexe et matchs (remarquablement filmés) ! Trois axes assez mouvants, cela étant… De fait, même si le cinéaste italo-hollywoodien insiste, parfois lourdement, sur la tension homoérotique entre Patrick et Art, semblant alors enfermer Tashi dans une posture (amusée) de briseuse de “ménage”, les désirs, les non-dits et les fâcheries qui animent nos trois champions se révèlent bien plus ambivalents et complexes. D’ailleurs, chacun·e va sembler gagner, puis perdre, puis gagner à nouveau ce tournoi sans merci… Jusqu’à la dernière balle de match (un peu longuette). Des échanges d’autant plus intéressants à regarder qu’ils sont menés par trois jeunes acteurs en très grande forme : Zendaya (Tashi), Josh O’Connor (Patrick) et Mike Faist (Art). Ce trio-là a tout du Grand Chelem !
Les Vieux
On le sait, notre société jeuniste, obsédée par la vitesse et la performance, a un peu trop tendance à mettre de côté les personnes âgées. Une invisibilité que Claus Drexel, documentariste franco-allemand renommé (Au bord du monde, en 2014), a décidé de contrer en leur consacrant un film tout entier. Bien lui en a pris : Les Vieux, documentaire itinérant, est un régal d’humour, d’humanité et d’émotions. Un régal de rencontres, surtout, puisque le cinéaste nous donne à voir et à entendre une quarantaine de vieux et de vieilles, issu·es de tous les milieux (on passe sans encombre du châtelain au mineur de fond), de toutes les régions (du Nord au Sud, accents au couteau à la clé), plus ou moins en forme c’est vrai, plus ou moins isolé·es aussi, mais qui ont tous et toutes bien des choses à nous dire et à nous apprendre !
Le constat est sans appel : cette génération des 85 ans et plus, pourtant marquée par l’histoire bouleversée du XXe siècle, que ce soit la Seconde Guerre mondiale, la décolonisation, la désertification rurale ou les luttes sociales et sociétales, notamment du côté des femmes, eh bien, cette génération chenue ne cesse de surprendre par sa force de vie et sa sagesse. Est-ce parce qu’on les entend trop rarement ? Est-ce parce que Claus Drexel a su les filmer à hauteur d’homme et de femme, à leur rythme, chez eux et chez elles, sans tomber dans le jugement ni dans l’angélisme ? Ce film transporte ! Géographiquement d’abord, puisqu’il est jalonné de parenthèses contemplatives entre deux témoignages, moments suspendus et champêtres qui offrent une respiration au récit, le transformant en une sorte de voyage dans la France villageoise. Émotionnellement ensuite, puisque ces paroles, tour à tour facétieuses, rebelles, douloureuses ou pudiques nous rappellent combien les racines de la France “éternelle” se sont nourries de départs, d’exils et de mélanges (avant)-hier comme aujourd’hui.