capote, préservatif
@Deon Black/ Unsplash

Charge contra­cep­tive : à quand un monde où les femmes n’auront plus à négo­cier avec les hommes pour qu’ils daignent mettre des capotes ?

Quand on parle de charge contra­cep­tive, on pense pilule, sté­ri­let, rendez-​vous gyné­cos, effets secon­daires… On pense moins au pré­ser­va­tif. Pourtant, ce dis­po­si­tif contra­cep­tif mas­cu­lin est essen­tiel­le­ment géré par les femmes, qui peinent encore trop sou­vent à l’imposer à leurs par­te­naires mas­cu­lins. Messieurs, il est urgent d’apprendre à éja­cu­ler en toute responsabilité. 

Chez Charlotte, on trouve toute une col­lec­tion de pré­ser­va­tifs. Petits, larges, king size, latex ultra fin, goût fruits, lubri­fiés, spé­cial endu­rance, sen­sa­tions intenses, pre­miers prix, haut de gamme… Elle n’est pas col­lec­tion­neuse dans l’âme ni addict au sexe. Simplement, après des années de ren­contres sur les appli­ca­tions, cette qua­ran­te­naire tou­lou­saine a appris à parer à toute éven­tua­li­té. Enfin, sur­tout à toute excuse mas­cu­line pour ne pas mettre de pré­ser­va­tif. “Je n’en ai pas sur moi”, “ça serre”, “je ne sens rien”, “ça a cra­qué”. Elle les a toutes enten­dues. Et avec sa toute der­nière rela­tion, c’était car­ré­ment :“Non, je n’aime pas.” “Il était jeune et avait eu peu de rela­tions sexuelles, il m’a pro­mis qu’il était clean et qu’il allait se reti­rer”, raconte-​t-​elle. Comme elle avait des sen­ti­ments et qu’elle voyait cette rela­tion deve­nir sérieuse, elle a cédé. Et elle est allée faire seule les tests de gros­sesse, heu­reu­se­ment néga­tifs, quand ses règles ont eu du retard.

L’histoire de Charlotte res­semble à celle de beau­coup d’autres femmes. Dans les rela­tions hété­ro­sexuelles, la charge contra­cep­tive revient majo­ri­tai­re­ment aux femmes. Pour une rai­son simple : les contra­cep­tifs à leur dis­po­si­tion sont plus nom­breux et plus variés que pour les hommes. Mais il sem­ble­rait que même pour le pré­ser­va­tif, dis­po­si­tif pour­tant des­ti­né aux hommes, il revienne encore majo­ri­tai­re­ment aux femmes la charge d’en ache­ter, d’en avoir sur soi et même de s’assurer qu’il est por­té pen­dant les rela­tions sexuelles. C’est en tout cas ce qui res­sort de nom­breux témoi­gnages récol­tés : quand on inter­roge les femmes, la majo­ri­té répondent qu’elles ont eu affaire au moins une fois dans leur vie à un homme qui n’avait pas pen­sé au pré­ser­va­tif, refu­sait de le por­ter ou ten­tait au moins de négo­cier pour ne pas le faire, expo­sant ain­si leur par­te­naire à un risque de gros­sesse non dési­rée, ou d’infection sexuel­le­ment trans­mis­sible (IST).

“Ils tentent tou­jours de négocier”

Un constat par­ta­gé par Charline Vermont, créa­trice du compte Instagram Orgasme et moi, aux 760 000 abonné·es. Elle évoque régu­liè­re­ment le sujet dans ses posts, comme le 31 jan­vier der­nier, dans un son­dage dif­fu­sé en sto­ry : “Vous est-​il déjà arri­vé qu’un mec se pointe sans capote, négo­cie pour ne pas la mettre, ou refuse de la mettre ?” Sur les 20 000 répon­dantes, 81 % ont répon­du oui. “Dans la fou­lée, j’ai reçu une volée de mes­sages de femmes me disant que c’était qua­si sys­té­ma­tique”, raconte-​t-​elle. Pour Hedwige, 39 ans, c’est arri­vé au cours de ses quatre der­niers dates, ren­con­trés sur des appli­ca­tions. “Ils tentent tou­jours de négo­cier”, explique-​t-​elle. Elle est très claire avec eux : après dix années en couple, dont plu­sieurs sous pilule, elle n’a pas de rap­ports sexuels assez fré­quents pour s’embarrasser de cette charge qui, par ailleurs, freine sa libi­do. Et elle ne veut pas tom­ber enceinte, donc le pré­ser­va­tif, c’est obli­ga­toire. “Ils finissent par le mettre. Mais pen­dant le rap­port, ils trouvent un pré­texte pour l’enlever et me pro­mettent de faire atten­tion. Et mal­heu­reu­se­ment, dans le feu de l’action, je cède, je n’arrive pas à dire non”, confesse-​t-​elle. 

Une pra­tique proche de celle du steal­thing : le fait de reti­rer le pré­ser­va­tif pen­dant le rap­port, sans le consen­te­ment de sa par­te­naire. C’est arri­vé à Charlotte, avec un homme ren­con­tré sur une appli­ca­tion il y a quelques années. “Je l’ai vu mettre une capote avant qu’on com­mence, se souvient-​elle. Et puis pen­dant le rap­port, j’ai mis ma main sur le lit et j’ai sen­ti le pré­ser­va­tif.” Le steal­thing est consi­dé­ré comme un délit par plu­sieurs pays. “Dans une socié­té où les rap­ports de genre sont inégaux, les femmes ne sont pas tou­jours en posi­tion de négo­cier ou d’imposer le pré­ser­va­tif”, ana­lyse Cécile Thomé, socio­logue spé­cia­liste de la contra­cep­tion et des rap­ports de genre. 

Si Hedwige a “accep­té de pour­suivre les rap­ports sans pré­ser­va­tif”, elle res­sent pour­tant une grande culpa­bi­li­té. “J’ai une bonne édu­ca­tion sexuelle, je sais que je prends de gros risques” dit-​elle. Comme Charlotte, qui se sent “bécasse” de ne pas insis­ter davan­tage auprès de son der­nier com­pa­gnon pour qu’il en mette un. Ce sen­ti­ment de culpa­bi­li­té est très répan­du chez les femmes, selon Cécile Thomé, sur­tout celles qui appar­tiennent aux classes moyennes et supé­rieures, qui ont reçu une édu­ca­tion sexuelle. “C’est ce qui res­sort d’une enquête que j’ai menée en 2010. Ces femmes ont un côté bonne élève : on leur a appris que mettre un pré­ser­va­tif était la bonne chose à faire, donc il faut en avoir sur soi et convaincre son par­te­naire d’en mettre un. Et quand elles n’en uti­lisent pas, elles se jugent très dure­ment.” Ce que la socio­logue a beau­coup moins obser­vé chez les hommes : “Ils disent plu­tôt : ‘J’étais trop à fond, je n’y ai pas pen­sé’, sans juge­ment de valeur.” “C’est leur plai­sir avant tout”, résume Charlotte.

Et au sein du couple, c’est pire encore…

Si les femmes peinent à impo­ser le pré­ser­va­tif lors de rela­tions courtes ou nais­santes, c’est encore pire dans le cadre du couple. Avec l’idée que dans une rela­tion ins­tal­lée, le risque d’IST est éva­cué, ne reste que celui de la gros­sesse, dont la ges­tion incombe aux femmes. Souhaitant arrê­ter la pilule après plu­sieurs années en couple, Hedwige a sug­gé­ré le pré­ser­va­tif à son ex-​compagnon. “Il m’a dit qu’il n’était pas dans une rela­tion longue et sérieuse pour mettre une capote et qu’il avait pas­sé l’âge. Donc il se reti­rait. Je suis tom­bée enceinte et j’ai avor­té.” Elle s’est ensuite fait poser un DIU (dis­po­si­tif intra-​utérin, soit un sté­ri­let), qu’elle n’a pas sup­por­té. Et le même sché­ma s’est repro­duit, avec un nou­vel avor­te­ment. Quand, appro­chant la qua­ran­taine, elle a sug­gé­ré à son com­pa­gnon de faire une vasec­to­mie, puisque le couple ne vou­lait pas d’enfant, il lui a répon­du : “Non, peut-​être qu’un jour je serai avec une fille plus jeune qui vou­dra des enfants”, sur le ton de la rigo­lade. Mais il ne plai­san­tait pas : il a fini par quit­ter Hedwige pour une femme plus jeune. Anna, Parisienne de 33 ans, a vécu une his­toire simi­laire avec son ex-​compagnon : il refu­sait la capote sous pré­texte que ça le blo­quait et que les sen­sa­tions étaient moins bonnes. Quand elle est tom­bée enceinte, il était pani­qué. “Il était très sou­cieux de l’impact qu’aurait un enfant sur sa vie à lui”, ironise-​t-​elle. Il ne s’est pas pré­oc­cu­pé du trau­ma­tisme qu’a repré­sen­té ce pre­mier avor­te­ment pour sa com­pagne. D’ailleurs, il a conti­nué à avoir des rap­ports sexuels avec elle sans pré­ser­va­tif. Elle est à nou­veau tom­bée enceinte et a failli y res­ter : c’était une gros­sesse extra-utérine.

Ce déta­che­ment mas­cu­lin de la charge contra­cep­tive dans le couple n’est pas si vieux qu’on le pense. “Avant la dif­fu­sion de la contra­cep­tion médi­ca­li­sée en France dans les années 1970, la contra­cep­tion était une com­pé­tence mas­cu­line”, retrace Cécile Thomé. “Savoir se maî­tri­ser repré­sen­tait une vraie réus­site pour l’homme et pour le couple”, ajoute la socio­logue. En résu­mé, un homme un vrai ne met pas sa femme enceinte tous les mois. Tout a chan­gé avec la démo­cra­ti­sa­tion de la pilule. De com­pé­tence mas­cu­line, la contra­cep­tion est deve­nue une res­pon­sa­bi­li­té fémi­nine. Et quand le pré­ser­va­tif est appa­ru après l’arrivée du VIH, à qui se sont adres­sées les pre­mières cam­pagnes de sen­si­bi­li­sa­tion pour convaincre les hété­ro­sexuels de le por­ter ? “Aux femmes, tranche la socio­logue. Les pou­voirs publics se sont dits qu’elles avaient déjà l’habitude de gérer tout ce qui ne concerne pas le plai­sir dans les rela­tions sexuelles : contra­cep­tion, rendez-​vous gyné­co­lo­giques… Donc qu’il était plus sûr de leur confier aus­si la charge du pré­ser­va­tif.” Avec l’héritage que l’on constate aujourd’hui.

D’ailleurs, quand on cherche des chiffres sur l’usage de la contra­cep­tion en France, on trouve essen­tiel­le­ment des don­nées sur les femmes. Ainsi, sur le site de l’Inserm, on apprend que 92% des femmes en âge de pro­créer et qui ne dési­rent pas de gros­sesse uti­lisent un moyen de contra­cep­tion. Mais ce chiffre n’est pas pré­ci­sé pour les hommes. Les études évo­quant l’usage du pré­ser­va­tif par ces der­niers se concentrent essen­tiel­le­ment sur la pré­ven­tion des IST. Dans l’inconscient col­lec­tif, le risque de gros­sesse est donc exclu­si­ve­ment un pro­blème de femme.

Un para­digme que cherche à inver­ser l’autrice amé­ri­caine Gabrielle Blair. Cette mor­mone, mili­tante pro-​choix et mère de six enfants est connue pour son blog Design Mom. En 2022, à la suite de la révo­ca­tion par la Cour suprême amé­ri­caine de l’arrêt Roe vs Wade qui pro­té­geait le droit à l’avortement, elle écrit Éjaculer en toute res­pon­sa­bi­li­té, un mani­feste de 143 pages en 28 argu­ments pour repen­ser la contra­cep­tion et pous­ser les hommes à prendre leur part en met­tant des pré­ser­va­tifs ou en fai­sant une vasec­to­mie. Elle com­mence son ouvrage par une mise au point : “Les hommes sont la cause de toutes les gros­sesses non dési­rées”, écrit-​elle. “Une gros­sesse non dési­rée sur­vient uni­que­ment si un homme éja­cule de manière irres­pon­sable – qu’il dépose son sperme dans un vagin alors que lui et sa par­te­naire n’essaient pas de conce­voir d’enfant. Ce n’est pas beau­coup deman­der aux hommes que d’éviter cela. La pré­ven­tion des gros­sesses est un poids qui repose sur la per­sonne qui est fer­tile 24 heures par mois, et non sur la per­sonne qui est fer­tile 24 heures sur 24, 365 jours par an”, dénonce l’autrice.

Pour ren­ver­ser cette charge contra­cep­tive, Charline Vermont, éga­le­ment for­ma­trice en san­té sexuelle, n’a qu’un mot à la bouche : l’éducation. Des jeunes hommes bien sûr, mais aus­si du corps médi­cal, qui doit les res­pon­sa­bi­li­ser. Pour ces der­niers, elle dis­pense des for­ma­tions en san­té sexuelle. Et pour les pre­miers, elle s’adresse à eux sur son compte Instagram avec péda­go­gie et prag­ma­tisme. “Les deux prin­ci­paux argu­ments des hommes contre le pré­ser­va­tif sont ‘ça serre’ et ‘ça fait déban­der’, analyse-​t-​elle. Le second est la consé­quence du pre­mier : une capote qui serre, ça peut faire un effet gar­rot, c’est incon­for­table et dou­lou­reux, for­cé­ment on débande.” Pour y remé­dier, elle a une solu­tion toute simple : “Trouvez des pré­ser­va­tifs à votre taille !” En plus de rendre le rap­port plus agréable, c’est plus effi­cace pour évi­ter les risques de gros­sesse et d’IST. Pour ça, il suf­fit de mesu­rer le pénis en érec­tion. Ça va les mecs, vous avez l’habitude, non ?

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