Arnacoeur © Canal Plus

Télé-​réalité : “Arnacoeur ou Prince Charmant”, red flags à tous les étages

Pour sa nou­velle émis­sion, Arnacœur ou Prince char­mant, Studio 89 Productions, réuti­lise tous les pon­cifs patriar­caux sur le couple et la famille nucléaire et jette en pâture une jeune influen­ceuse face à une dizaine d’hommes – déses­pé­rés ou sadiques, c’est au choix – dans l’espoir de faire le buzz. 

Depuis le 25 mars, M6 nous gra­ti­fie d’une nou­velle émis­sion de télé-​réalité de graaanndd­deeee qua­li­té : Arnacœur ou Prince char­mant. Au cœur de ce pro­gramme, sous-​titré “Trouvera-​t-​elle le grand amour ?” – déjà bien pro­blé­ma­tique en termes de sté­réo­type –, Cassandra Jullia, une influen­ceuse de 25 ans déjà connue des téléspectateur·rices, tente de choi­sir le père de ses futurs enfants (puisque c’est évi­dem­ment le but ultime de n’importe quelle jeune femme dans la vie) par­mi qua­torze pré­ten­dants sous pro­téines. Parmi ces hommes au sou­rire Colgate se cachent des hommes “sin­cères” (pour autant qu’on puisse l’être dans ce type de mises en scène gro­tesques), et des “arna­cœurs”. Le meilleur d’entre eux, celui qui réus­si­ra à la séduire en la carot­tant, donc, rem­por­te­ra 20 000 euros. Cela, Cassandra l’ignore. Car si elle découvre, au troi­sième épi­sode seule­ment, que, par­mi ces gendres idéaux, cer­tains ne sont pas “sin­cères”, qu’ils ne sont là que pour “jouer” ou “s’amuser, elle ignore tou­jours à ce jour – le pro­gramme est en cours – qu’elle est mise à prix.

On ne vous appren­dra rien en disant que la télé-​réalité pose quelques pro­blèmes en termes de miso­gy­nie et de per­pé­tua­tion des sté­réo­types de genre. Mais celle-​ci nous fait par­ti­cu­liè­re­ment mal aux man­di­bules. Alors, petit tour d’horizon de tous les énormes red flags de cette émis­sion. Et des dan­gers qu’elle comporte.

EXPLOITER LA VULNÉRABILITÉ D’UNE FEMME

Cassandra Jullia, ancienne can­di­date au concours Miss France, a été décou­verte en 2019 dans la cin­quième sai­son de La Villa des cœurs bri­sés, dif­fu­sée sur TFX. Alors âgée de 20 ans, elle arri­vait dans la vil­la en tant que “cœur bri­sé”, donc, pour béné­fi­cier des conseils de la love coach Lucie Mariotti. Cinq ans plus tard, après être retour­née dans La Villa des Cœurs bri­sés et avoir par­ti­ci­pé aux pro­grammes Les Cinquante et Les Apprentis Aventuriers, la jeune femme passe de nou­veau la porte d’une vil­la bien simi­laire dans l’espoir de trou­ver l’amour. Lors des émis­sions pas­sées, Cassandra Jullia s’est en par­tie fait remar­quée pour ses cha­grins sen­ti­men­taux intenses et a essuyé, pour cela, des vagues de cybe­rhar­cè­le­ment de la part de téléspectateur·rices la trou­vant trop excessive. 

“Voici l’histoire de Cassandra, une jeune femme per­due dans les méandres amou­reux de notre époque”, déclare une voix dés­in­car­née dans le géné­rique d’ouverture de l’émission. Cassandra le confirme elle-​même : “Toutes mes rela­tions ont été des échecs, j’ai été trom­pée, il n’y en a pas eu une dans mes sou­ve­nirs qui se soit bien pas­sée. Pour moi, les hommes ne sont pas sin­cères.” Lors d’un rendez-​vous, elle annonce cher­cher “quelque chose de pas trop toxique”. Quelle ambi­tion ! En effet, la jeune femme revient de loin. Sans que cela ne soit jamais men­tion­né dans Arnacœur ou Prince char­mant, en décembre der­nier, Cassandra a publié une vidéo sur Instagram dans laquelle elle accuse Simon Castaldi, son ex-​copain, d’avoir pos­sé­dé sur son télé­phone “des vidéos et des pho­tos [d’elle ] nue prises à [s]on insu chez [elle]”. Ajoutant : “Je ne par­le­rai pas de la vio­lence ver­bale de Simon ! C’est quelqu’un qui me met­tait la boule au ventre, qui parle mal, très ner­veux. Il avait des com­por­te­ments qui pou­vaient faire peur en voiture.”

Simon Castaldi est éga­le­ment mis en cause sur les réseaux sociaux, depuis décembre, par une autre de ses anciennes com­pagnes, Adeline Romaniello, sur­nom­mée Adixia, qui l’accuse de vol d’argent et d’abus psy­cho­lo­gique. Celui que cer­tains can­di­dats de télé-​réalité appellent “le lapin blanc” avait alors rétor­qué sur Instagram : “Je ne suc­com­be­rai pas à ce chan­tage et à cette ten­ta­tive de dia­bo­li­sa­tion. Tout vient à point à qui sait attendre.” 

Deux ans plus tôt, une affaire tris­te­ment simi­laire était déjà révé­lée sur les réseaux sociaux. Vaarruecos, un blo­gueur qui pré­sente l’émission Sans langue de bois consa­crée à l’actualité télé-​réalité/​people, avait sor­ti une vidéo Snapchat, le le 22 juillet 2022, sur Théo Sentenac, autre ex de Cassandra Jullia, pour pro­tes­ter contre l’arrivée de ce der­nier dans le pro­gramme Le Reste du monde : Romance à Ibiza. Vaarruecos avait alors décla­ré : “On conti­nue de fer­mer les yeux sur cer­tains can­di­dats, et la pro­duc­tion est par­fai­te­ment au cou­rant puisqu’ils ont eu Cassandra au télé­phone pour orga­ni­ser une confron­ta­tion avec son ex [Théo, ndlr]. Il l’a déjà humi­liée, rayé sa voi­ture ! Des trucs hyper sombres…” Et d’ajouter : “Il n’aurait pas fait que ça. Il l’aurait aus­si… [Vaarruecos lève la main pour mimer quelqu’un qui frappe une per­sonne], voi­là ! Quand Cassandra était avec lui, elle a ache­té un bateau pour 6 000 euros. Théo l’a gar­dé et ne veut pas lui rendre. Théo envoyait même des vidéos de lui en plein rap­port avec Cassandra à des filles. Évidemment, Cassandra n’était pas au cou­rant.” à la suite de ces révé­la­tions, une inter­naute aurait d’ailleurs contac­té le blo­gueur et confir­mé ses dires en lui envoyant des cap­tures d’écrans de conver­sa­tions pri­vées avec Théo Sentenac. Cassandra Jullia n’a jamais pris la parole en public à ce sujet et, à notre connais­sance, aucune enquête judi­ciaire n’a été ouverte pour ces deux affaires, réelles ou présumées. 

Lire aus­si l Téléréalité : Hilona Gos accuse son ex-​fiancé Julien Bert de vio­lences conjugales

MASCULINITÉ TOXIQUE EN MODE PICK UP ARTISTE

La jeune femme n’a par ailleurs jamais caché avoir été trom­pée et tra­hie de mul­tiples fois et être trau­ma­ti­sée par ces expé­riences. Quelle bonne idée, donc, de la jeter en pâture dans la fosse aux lions de la mas­cu­li­ni­té toxique et de la mani­pu­la­tion décom­plexée ! Quelle dose de sadisme faut-​il pour en faire l’égérie de cette nou­velle émis­sion où ses sen­ti­ments sont tro­qués pour quelques mil­liers d’euros ? Ainsi, les “pré­ten­dants” se réjouissent-​ils de la super­che­rie et de pou­voir pié­ti­ner sa sen­si­bi­li­té sans jamais prendre en compte les risques que cela com­porte pour une per­sonne vul­né­rable, voire trau­ma­ti­sée : “Cassandra, je suis déso­lé pour ton petit cœur” , “On va se concer­ter pour avoir la meilleure manière de la mani­pu­ler”, “Plus les minutes passent plus elle est KO”, “J’essaie de pro­fi­ter de chaque moment que la vie me donne sans faire de mal à per­sonne, mais mal­heu­reu­se­ment, il y a des dom­mages col­la­té­raux, on fait pas d’omelettes sans cas­ser des œufs”

La star de l’émission, qui en est sur­tout la vic­time, devient donc le ter­rain de jeu de cer­tains par­ti­ci­pants qui en pro­fitent au pas­sage pour pro­di­guer leurs conseils tout pétés de coachs en séduc­tion de seconde zone. Écoutez plu­tôt : “Technique numé­ro 1 : les femmes aiment l’astrologie. Technique numé­ro 2 : aller sur la famille, c’est une valeur sûre. Technique numé­ro 3 : je fais une soupe, je mets du vrai, du faux, je la mets en confiance. Technique 128 : ne jamais avouer qu’on passe autant de temps à la salle.” Le meilleur des tech­niques incels.

Certains haussent le ton dans des accès de jalou­sie, quand d’autres se vantent en cla­mant “Je suis le roi des mythos.” Les pré­ten­dants sont abso­lu­ment convain­cus de leur pou­voir de séduc­tion, para­dant comme des paons. Dylan, qui s’est fait évin­cer dès son arri­vée, pro­cla­mait pour­tant : “En géné­ral, quand je vois une fille, je l’ai, mon taux de sta­tis­tique, c’est 90 % de réus­site.” Et Nabil déclare : “Je n’ai pas une lon­gueur d’avance (face à mes concur­rents), mais une pis­cine.” Ils ne doutent de rien. C’est le propre des mascus. 

CHARGE ÉMOTIONNELLE AU MAX

Durant le tour­nage, qui s’est dérou­lé à Tenerife (Canaries), la jeune femme ori­gi­naire du Sud-​Ouest voit régu­liè­re­ment la thé­ra­peute et psy­cho­pra­ti­cienne Cindy Cayrasso afin de démas­quer les men­teurs. Habile tour de passe-​passe de la part de la pro­duc­tion qui tente de pré­sen­ter Arnacœur ou Prince char­mant comme une expé­rience enri­chis­sante pour Cassandra Jullia.

Dans la vil­la de l’émission Arnacœur ou Prince char­mant, il est donc logique qu’elle réa­lise tout le tra­vail émo­tion­nel néces­saire pour la construc­tion d’une rela­tion amou­reuse stable. Tandis que les mecs déroulent leurs cyniques mani­gances en toute détente, la sudiste ne cesse de se pré­sen­ter comme la cou­pable de son ancien par­cours amou­reux : “J’ai tou­jours fait les mau­vais choix en amour” et sou­haite “ne pas [le] refaire encore”. C’est donc la seule à voir une thé­ra­peute – en secret – qui l’entraîne à “détec­ter” les men­teurs, qui eux, n’ont jamais à se remettre en ques­tion. Lors de l’une de ses séances de thé­ra­pie, les pré­ten­dants pro­fitent de son absence pour faire une séance de sport au soleil. Aux femmes, le tra­vail du care, aux hommes, la mus­cu. Impeccable.

Dans son ouvrage, Télé-​réalité : la fabrique du sexisme, l’essayiste fémi­niste Valérie Rey-​Robert l’a déjà ana­ly­sé : “La réus­site du couple est mon­trée comme tenant tout entière dans les mains des femmes, c’est-à-dire qu’elles doivent sup­por­ter le com­por­te­ment des hommes. Elles doivent consom­mer des pro­duits comme des vête­ments, du maquillage, pour faire envie aux hommes, pour se mettre en couple avec eux, pour qu’ils res­tent avec elles. Il est consi­dé­ré que l’homme n’a pas beau­coup d’efforts à faire pour res­ter en couple, c’est à la femme tout entière de faire ces efforts-là.” 

Bref, Arnacoeur ou Prince char­mant est une énième émis­sion prô­nant un idéal amou­reux por­té vers le mariage et la créa­tion d’une famille – si pos­sible avant la tren­taine. Et la réa­li­sa­tion de cet objec­tif repose entiè­re­ment sur Cassandra Jullia, seule avec ses expé­riences trau­ma­tiques pas­sées, le poids du patriar­cat et face à qua­torze hommes qui estiment que cui­si­ner une ome­lette en forme de cœur est un geste suf­fi­sant pour “trou­ver le grand amour. Sortez-​la de là !

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