Plus que quelques jours pour découvrir l’œuvre foisonnante de la photographe anglaise du XIXe siècle, parente de Virginia Woolf.
Des jeunes filles éthérées et gracieuses, des visages angéliques tout droit sortis de l’Angleterre victorienne… Julia Margaret Cameron cache bien son jeu : car en réalité, son travail grouille de femmes “en cheveux”, ce qui, à l’époque, ne se faisait guère. Loin d’être des modèles passifs, les femmes et filles qui se mettent en scène devant son objectif sont pleinement actrices de leur transformation. Dans le cabanon de jardin de Julia Margaret Cameron, qui lui sert de laboratoire photographique, on se déguise, on se costume et on pose en divinités grecques ou en personnages d’épisodes bibliques. Une “vitalité indomptable” émane de ces clichés, selon les mots de Virginia Woolf qui lui consacra un texte, en plus d’être sa petite-nièce. La mère de l’autrice, Julia Stephen, figure d’ailleurs en bonne place dans l’exposition que lui consacre le Jeu de Paume, à Paris.
Pionnière de la photo au XIXe siècle, Julia Margaret Cameron (1815−1879) est un spécimen de late bloomer, ce qui n’est pas pour nous déplaire. En effet, sa fille et son gendre lui offrent une chambre photographique lorsqu’elle a 48 ans. Sur l’île de Wight, où elle vit, défilent d’illustres voisins (Charles Darwin, le poète Tennyson…) ou des inconnu·es qui posent devant son objectif. Portraitiste autodidacte, elle prend des libertés avec la technique, cultivant même le flou sur ses tirages.
Cette somptueuse rétrospective, Capturer la beauté, la première en France depuis quarante ans, permet toutefois mal de mesurer sa renommée de son vivant. Plusieurs angles morts subsistent également, laissant le·a visiteur·euse sur sa faim. D’abord, la dimension coloniale de son travail : aristocrate excentrique élevée entre la France, l’Angleterre et l’Inde, Julia Margaret Cameron était l’épouse d’un propriétaire de plantations de café et finit sa vie à Ceylan (Sri Lanka). Dans la mesure où elle photographia des habitant·es du cru, que penser de ces images ? Ensuite, les rapports de domination en jeu avec certain·es de ses modèles, comme sa domestique, Mary Ann Hillier, qui apparaît sur bon nombre de photos, ne sont jamais interrogés. Celle-ci se prêtait-elle au jeu de bonne grâce ? Avait-elle le choix ? Difficile à dire. Hormis ces quelques interrogations, profitons de ces derniers jours pour (re)découvrir ce précieux travail, qui fait la part belle aux femmes.
Julia Margaret Cameron. Capturer la beauté. Exposition au Jeu de Paume (Paris), jusqu’au 28 janvier.