cry 2764843 1280
© Pixabay

L’Espagne s’attaque au fléau de la "vio­lence vica­riante", soit celle infli­gée aux enfants pour faire souf­frir leur mère

Depuis le début de l’année, en Espagne, sept enfants ont été tué·es par leur père dans un contexte de vio­lences conju­gales. Ces infan­ti­cides ont pro­vo­qué l’indignation géné­rale et l’engagement du gou­ver­ne­ment à lut­ter contre la “vio­lence vica­riante”. Cette expres­sion, lar­ge­ment répan­due de l’autre côté des Pyrénées et encore mécon­nue en France, désigne un type de vio­lence de genre par pro­cu­ra­tion infli­gé aux enfants pour faire souf­frir leur mère. 

Xavi, Noa, Elisa, Larisa, Ayax, Yago, Maria. Leurs noms ont fait la Une des jour­naux et l’ouverture des mati­nales radio en Espagne entre jan­vier et avril 2024. Âgés de 2 à 10 ans, ces sept enfants ont tous et toutes été assassiné·es par un père auteur de vio­lences conju­gales. Des “vic­times de vio­lence vica­riante”, comme les désigne la presse espa­gnole, qui aborde ces infan­ti­cides non comme un fait divers, mais un pro­blème de société. 

L’expression “vio­lence vica­riante” a été intro­duite en Espagne en 2012 par la psy­cho­logue Sonia Vaccaro qui la défi­nit ain­si : “Une vio­lence exer­cée contre une femme, par le biais de ses enfants, avec l’objectif de la faire souf­frir.” Très fré­quente dans les cas de vio­lences conju­gales, elle va du simple chan­tage aux vio­lences psy­cho­lo­giques, sexuelles ou phy­siques sur les enfants, jusqu’à l’assassinat, par­tie visible de l’iceberg. 

Une “affaire d’état”

Repris par les fémi­nistes et le gou­ver­ne­ment socia­liste, l’expression s’est impo­sée dans la loi espa­gnole, où le Code pénal s’y réfère comme un sous-​type de vio­lences de genre depuis 2017. En 2013, le gou­ver­ne­ment a éga­le­ment com­men­cé à comp­ta­bi­li­ser le nombre de mineur·es tué·es dans ce contexte. Et en ce début d’année 2024, il n’y avait jamais eu autant de vic­times de vio­lence vica­riante en une si courte durée. 

La mort de ces petites vic­times a secoué le pays, jusqu’au plus haut som­met de l’État. Au point de pro­vo­quer minutes de silence et mani­fes­ta­tions fémi­nistes par­tout en Espagne, ain­si qu’une réunion inter­mi­nis­té­rielle extra­or­di­naire, le 16 avril, pré­si­dée par le Premier ministre, Pedro Sanchez, qui a décla­ré : “Ces vio­lences sont une affaire d’État.” 

Depuis, les 160 mil­lions d’euros annuels des­ti­nés à la lutte contre les vio­lences de genre ont été renou­ve­lés et la ministre de l’Égalité, Ana Redondo, a pro­mis d’annoncer pro­chai­ne­ment des mesures contre la vio­lence vica­riante. Par ailleurs, au niveau régio­nal, la Catalogne, a créé un groupe d’expertes consa­crées à ce sujet. 

Silence poli­tique

Cet esclandre poli­tique et média­tique tranche avec la France, où dans le même temps, le 11 avril, un double infan­ti­cide, un cas extrême de vio­lence vica­riante – deux enfants âgés de 3 ans et 20 mois ont été tués par leur père, dans l’Essonne, dans un contexte de sépa­ra­tion et de vio­lences conju­gales – n’a pro­vo­qué aucune réac­tion poli­tique. Ce qui n’étonne pas Claire Bourdille, fon­da­trice du Collectif Enfantiste, qui explique à Causette : “En France, per­sonne ne sait ce que c’est la vio­lence vica­riante, même pas les fémi­nistes. C’est un impen­sé total des vio­lences conju­gales. Ces infan­ti­cides sont trai­tés comme l’étaient avant les fémi­ni­cides, comme des cas iso­lés de vio­lences intra­fa­mi­liales et non comme un pro­blème socié­tal.” 

Nommer pour conscientiser

Avec le col­lec­tif, elle milite pour l’adoption des termes de “vio­lence vica­riante” en France. “Ça aide­rait déjà les femmes à com­prendre, car beau­coup n’arrivent pas à mettre de mot sur ce qu’elles vivent. Quand on va au com­mis­sa­riat pour dénon­cer du chan­tage ou des menaces visant nos enfants, les poli­ciers ne com­prennent pas non plus ce qu’on vit. Ils séparent les vio­lences faites aux femmes et celles faites aux enfants. Ils ne font pas le lien entre les deux”, poursuit-​elle. 

La psy­cho­logue Sonia Vaccaro, à l’origine de l’expression “vio­lence vica­riante”, estime aus­si que sans déno­mi­na­tion il ne peut y avoir conscien­ti­sa­tion. Interrogée par Causette, elle explique : “En psy­cho­lo­gie, on sait que ce qui n’a pas de nom n’existe pas. Les mots génèrent une pen­sée, et la pen­sée construit une réa­li­té. Si on n’a pas de mot pour dési­gner une réa­li­té, on ne peut pas la chan­ger.” 

Des juges conser­va­teurs et sexistes

Mais en Espagne, mal­gré la prise de conscience et la légis­la­tion, beau­coup de pro­grès res­tent à faire. Par exemple, alors que la loi exige, depuis 2021, la sup­pres­sion du droit de visite pour tout parent impli­qué dans une pro­cé­dure judi­ciaire pour vio­lences conju­gales, cela n’est appli­qué que dans 14% des cas. 

Ce qui révolte Rosalia Gonzalez, pré­si­dente de Mami, une asso­cia­tion de lutte contre la vio­lence vica­riante : “Il y a une clause qui per­met de main­te­nir le droit de visite en des cas excep­tion­nels, mais les juges s’en servent pour faire de l’exception la norme. Nos lois pion­nières, que l’Europe nous envie, ne suf­fisent pas si des juges conser­va­teurs et sexistes ne les appliquent pas ! On est tou­jours dans un sys­tème patriar­cal où le droit de visite du père prime sur la pro­tec­tion de l’enfant. Un agres­seur n’est jamais un bon père, un bon père, c’est autre chose, mais ça, ça ne rentre pas dans leur tête.

Lueur d’espoir pour l’association et les vic­times à la suite des récents infan­ti­cides : la ministre espa­gnole de l’égali­té, Ana Redondo, a lan­cé un appel aux juges pour appli­quer cor­rec­te­ment la loi. 

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.